Dialogue social QUI AURA LA PLACE DU MEILLEUR NÉGOCIATEUR ? - L'Infirmière Libérale Magazine n° 286 du 01/11/2012 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 286 du 01/11/2012

 

Le débat

Alors que les infirmières libérales voient régulièrement leurs missions grignotées par d’autres structures de soins ou d’aides à domicile, chacune tente à sa manière de défendre son métier. Mais comment s’y prendre ? Vaut-il mieux se syndiquer ou s’investir dans une association professionnelle ?

Dominique Andolfatto, professeur de sciences politiques à l’université de Bourgogne, auteur (avec Dominique Labbé) de Sociologie des syndicats aux éditions La Découverte

Quelle est, d’après vous, la place des syndicats dans le dialogue social français ?

En tant que porte-parole des salariés, les syndicats sont logiquement des vecteurs incontournables du dialogue social.

La loi en fait d’ailleurs des interlocuteurs obligés pour l’employeur. Naturellement, selon les entreprises, la qualité et les retombées effectives pour les salariés de ce dialogue seront variables.

Que pensez-vous des nouvelles formes revendicatives à travers des regroupements professionnels associatifs (hors syndicat) ?

Cela n’a rien de nouveau ! Tous les groupes professionnels – salariés ou travailleurs indépendants – ont cherché à peser dans leur secteur professionnel respectif pour l’adoption des diverses normes qui les régissent, la demande de soutiens dans certaines circonstances, la revalorisation des tarifs lorsque ceux-ci sont réglementés, la reconnaissance de bonnes pratiques…

Et, dans un pays comme le nôtre, où l’État conserve un tel poids, ces groupements ont toujours cherché à influencer les pouvoirs publics afin de faire droit à leurs revendications. Bref, toute profession est aussi un groupe de pression, un groupe qui va défendre certains intérêts face à d’autres secteurs ou face à l’État.

Quel est le modèle le plus efficace pour une profession comme celle d’infirmier libéral ?

La formule “syndicat” concerne habituellement les salariés. S’agissant des professions libérales, on parle d’organisations professionnelles qui vont donc être porteuses, auprès des pouvoirs publics, des revendications de ces groupements. Ici, le terme “syndicat” serait impropre, car l’institution syndicale concerne les “relations industrielles”, soit les rapports entre salariés et employeurs et, en lien avec l’État, un processus de coproduction des règles qui régissent leurs rapports. Les infirmiers libéraux échappent à ce cadre. Le problème n’est pas de définir les relations entre eux et leurs salariés éventuels, mais leurs rapports avec d’autres professionnels – notamment de la santé –, avec les organisations de la Sécurité sociale ou avec l’État. Et c’est bien dans le cadre d’une association professionnelle, voire de plusieurs associations (mais cela risque alors de diluer leurs intérêts communs), qu’ils doivent promouvoir et défendre leurs intérêts.

Philippe Bordieu, infirmier libéral, vice-président de l’Anfiide*, et conseiller régional de l’Ordre infirmier de Midi-Pyrénées, a également exercé des fonctions syndicales

Quelle est, d’après vous, la place des syndicats dans le dialogue social français ?

Je considère que les syndicats ont une légitimité concernant toutes les négociations avec la Sécurité sociale et autres. Dans l’organisation actuelle, tout ce qui relève des conditions de travail représente la mission première des syndicats.

Que pensez-vous des nouvelles formes revendicatives à travers des regroupements professionnels associatifs (hors syndicat) ?

Elles ont aussi une place à tenir. Je fais bien un distinguo entre le rôle du syndicat, celui de l’Ordre et celui des associations. L’essence d’un syndicat repose dans le fait d’être un interlocuteur auprès des pouvoirs publics et de porter des revendications éventuellement ou, du moins, défendre le corps professionnel qu’il représente. L’Ordre a des missions déontologiques et s’intéresse à la défense de la profession au sens large. On pourrait même dire que, comme il est garant de la qualité des soins, c’est le patient qui en est directement bénéficiaire. Tandis que le syndicat bénéficie directement à l’infirmier. L’association “de travail” intervient dans un autre domaine. Elle n’est pas forcément légitime à porter des revendications. En revanche, elle est légitime pour porter un regard sur le métier, de façon globale ou plus ciblée. Elle dispose peut-être d’une liberté que n’a pas le syndicat. Cette liberté peut se manifester dans des actions de recherche ou des partenariats divers et variés.

Quel est le modèle le plus efficace pour une profession comme celle d’infirmier libéral ?

Pour connaître de près ces différents modèles, je suis en peine de répondre à cette question. L’Ordre souffre clairement d’un problème de crédibilité et il est récent. Il est donc un peu tôt pour juger de son efficacité. Concernant les associations, par exemple, l’Anfiide a fait avancer des choses qui sont encore appliquées aujourd’hui. Quant aux syndicats, dans mon expérience personnelle, j’ai pu mesurer la dépendance qu’ils peuvent avoir face à une tutelle. Mais je persiste à croire que la légitimité est du côté des syndicats. La loi leur confère un pouvoir. Comment se plaindre si on ne s’en saisit pas ? 

* Anfiide : Association nationale des infirmières et infirmiers diplômés et étudiants.