Pharmacologie REMBOURSE-T-ON DES MÉDICAMENTS INUTILES OU INEFFICACES ? - L'Infirmière Libérale Magazine n° 285 du 01/10/2012 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 285 du 01/10/2012

 

Le débat

Selon le Guide des 4 000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux, paru le mois dernier, la moitié des médicaments serait inutile, mais 75 % d’entre eux sont remboursés. Ouvrage polémique ou plutôt livre indispensable pour éveiller l’esprit critique des patients et des soignants ?

Pr Philippe Even, ancien doyen de la faculté de médecine de Paris, président de l’Institut Necker, et co-auteur, avec le Pr Bernard Debré, du Guide des 4 000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux aux éditions du Cherche-Midi

Est-ce qu’aujourd’hui encore, après différentes vagues de déremboursement, on rembourse des médicaments inutiles ?

En 1999, une liste de 835 molécules à dérembourser avait été établie. Aujourd’hui, 5 à 10 % d’entre elles sont encore remboursées. Il faut distinguer les médicaments inefficaces de ceux qui sont inutiles. Actuellement, sur l’ensemble du marché, environ 10 % de médicaments inefficaces – pour lesquels aucune preuve d’efficacité n’a été apportée – sont remboursés. Ensuite, il y a les médicament inutiles, à savoir les molécules mal prescrites. Exemple : Byetta et les gliptines, des antidiabétiques oraux, sortis depuis une dizaine d’années qui sont moins efficaces, plus dangereux et surtout bien plus chers que la metformine et les sulfamides hypoglycémiants. C’est une erreur de santé publique de continuer à les rembourser ! Il y a aussi les produits surprescrits, comme les statines pour 2 milliards d’euros par an alors que le cholesterol n’est véritablement dangereux que pour le millier de patients atteints d’hypercholestérolémie familiale.

Ne diabolisez-vous pas l’industrie pharmaceutique ?

Cette industrie n’est plus ce qu’elle était. Depuis vingt ans, il n’y a plus de découverte de molécules innovantes. Devenue capitalistique et spéculative, elle poursuit une logique de profit. Par ailleurs, son influence est prépondérante, au niveau de l’État et des agences, des médecins… L’État et ces agences sont aussi responsables de ne pas avoir rempli leurs missions : l’ancienne Afssaps*, la Haute Autorité de santé (HAS) et le Comité économique des produits de santé (CEPS), qui fixe les prix et le niveau de remboursement.

Quels sont les objectifs de cet ouvrage  ?

Tout d’abord, informer les malades et les amener à poser des questions à leur médecin. Les patients sont en demande d’informations objectives, qu’ils peuvent difficilement trouver. Ensuite, informer les médecins et les aider à répondre aux interrogations des patients. Enfin, peut-être, permettre de réduire le gaspillage annuel de 10 à 15 milliards d’euros.

Pr Jean-François Bergmann, chef du service de médecine interne à l’hôpital Lariboisière (AP-HP) et vice– président de la commission d’autorisation de mise sur le marché (AMM) à l’ANSM*

Qu’en est-il de la liste des 835 médicaments à dérembourser établie en 1999 ?

Un certain nombre d’entre eux sont encore remboursés alors qu’ils ne devraient pas l’être. Aucun gouvernement n’a eu le courage de prendre les mesures draconiennes qui s’imposent. Cela dit, il faut aussi s’entendre sur les termes. Que signifie “utile” ? Un placebo est-il utile ? Faut-il rembourser les placebos s’ils ont une certaine efficacité ? Ces questions méritent d’être posées.

Que pensez-vous du guide des professeurs Even et Debré ?

Je suis d’accord avec le constat de la première partie : frénésie du médicament en France, manque de sévérité dans la mise sur le marché de nouvelles molécules… La deuxième partie du livre porte sur l’évaluation et la mise sur le marché : il s’agit d’un pamphlet sur le thème “tous pourris”, truffé d’amalgames excessifs. La troisième partie est un guide sur les médicaments, présenté comme objectif.

On y trouve de tout, des vérités, mais aussi de grosses erreurs concernant le traitement de maladies graves : hypercholestérolémie, tuberculose, paludisme, dépression sévère… Je suis inquiet, car certains patients chroniques seront tentés d’interrompre leur traitement. En diabolisant tout le système, cela retentit sur la partie vertueuse de celui-ci.

Y a-t-il du laxisme dans la procédure d’autorisation de mise sur le marché ?

Oui, il y en a encore. Mais l’ANSM n’est qu’une chambre d’enregistrement des décisions prises au niveau européen, par l’Agence européenne du médicament (Emea). L’AMM est une autorisation délivrée en France, qui atteste de la sécurité et de la qualité du produit. Même si ce dernier n’apporte rien de particulier par rapport à ses prédécesseurs, il a le droit d’exister. Il est vrai que l’industrie pharmaceutique fait du lobbying. Mais elle n’est pas la seule responsable. Il y a une spécificité française de prescription et de consommation des médicaments. Les Français étant très attachés à leurs comprimés, il faudrait y remédier par des actions d’éducation des patients et de formation des professionnels et des étudiants.

* L’Afssaps (Agence nationale pour la sécurité sanitaire des produits de santé) est devenue l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé).