La croisée du soin et de l’art - L'Infirmière Libérale Magazine n° 285 du 01/10/2012 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 285 du 01/10/2012

 

Alain Bazin, art-thérapeute à Charleville-Mézières (08)

La vie des autres

Alain Bazin est art-thérapeute depuis 1986. Ce sont sa passion pour les arts et son métier d’infirmier qui l’ont conduit à s’orienter vers cette discipline, qui se fonde sur une utilisation thérapeutique du processus de création artistique.

En 1976, j’étais sans emploi, et j’ai suivi une formation rémunérée pour devenir infirmier en psychiatrie », explique Alain Bazin. Parallèlement à son métier, il pratique la peinture dans des clubs locaux, une passion qui remonte à son enfance. « Quand j’étais gamin, j’avais un diabète insulinodépendant, raconte Alain. Pour m’occuper, ma mère m’a donc mis à la peinture, car le sport ne m’était pas conseillé. »

Une envie venue de la psychiatrie

En 1986, il décide de se former à l’art-thérapie au Centre d’étude de l’expression de Saint-Anne, à Paris. Cette discipline s’est imposée à lui en raison de son intérêt pour l’art, mais aussi parce qu’en psychiatrie, il était important de proposer une activité aux patients pour « les aider à tenir ». L’infirmier a pratiqué l’art-thérapie en milieu psychiatrique dans les services de patients hautement dépendants qui n’ont pas d’avenir en dehors de l’hôpital, dans les services de longs séjours avec des personnes souffrant de gros troubles psychiatriques, dans des services mixtes avec des patients atteints de psychoses et de névroses.

L’art-thérapie en milieu psychiatrique est conditionnée au volontariat des patients. « Les résultats sont souvent positifs, sauf lorsque le patient n’a pas été volontaire, ce qui peut être le cas quand il y a eu une prescription du médecin. » Et Alain d’ajouter : « La démarche de l’art-thérapeute est parfois mal comprise par le prescripteur, car il le voit comme une pratique occupationnelle pour le patient, alors qu’il s’agit d’une thérapie. L’art-thérapie répond à des paramètres assez stricts, à savoir une pratique régulière de son art et un savoir psychologique. Il s’agit d’un élan créatif pour soi et pour les autres. » Les art-thérapeutes peuvent aussi exercer dans les foyers d’accueil, les maisons de retraite, les centres médico-psychologiques, les centres pénitentiaires, les instituts médico-éducatifs ou encore les établissements médico-pédagogiques. Alain est retraité de la fonction publique hospitalière depuis un an, mais il continue d’exercer son métier d’art-thérapeute dans une Maison d’enfants à caractère social (MECS) au sein de laquelle il se rend deux fois par semaine pour dispenser des séances de deux heures auprès d’enfants ayant des problèmes psycho-sociaux. Il intervient également en tant qu’artiste dans les institutions scolaires, toujours avec sa sensibilité art-thérapeutique.

L’ancien infirmier reçoit également des patients à Charleville-Mézières dans son atelier. « J’ai toujours eu mon atelier que j’utilise à des fins artistiques. Mais, depuis que je suis à la retraite, je l’ai ouvert à l’art-thérapie. » Une personne sensible à la pratique artistique consultera plus facilement un art-thérapeute dont le rôle est de trouver une ouverture pour que lle patient se sente mieux.

L’apport aux patients

L’art-thérapie s’adresse aux personnes qui ont besoin de se rétablir lorsqu’elles ont des tendances dépressives, qui ont besoin de se valoriser ou d’avoir davantage confiance en elles, mais aussi pour les personnes qui veulent découvrir leur potentialité artistique. L’objectif est de leur permettre de retrouver un sens social. Cette discipline apporte une revalorisation et une affirmation de soi, une réassurance, un développement personnel, l’apprentissage du vivre ensemble et l’acceptation du regard de l’autre qui peut parfois être angoissant. Concrètement, « dans un premier temps, je propose au patient de faire un dessin libre, par exemple de faire un coup de crayon sur une feuille de papier. Lorsqu’il dessine assis sur une chaise, je l’invite progressivement à se mettre debout afin de gagner en autonomie, d’être face à lui-même. L’attitude soignante est adaptée aux problèmes présentés par le patient ». Les patients de son atelier ne bénéficient pas de prescription, mais certains sont adressés par leur médecin. Le prix de la consultation est variable, entre 30 et 50 euros par heure. Alain dispense des activités individuelles ou de groupe en fonction de l’affinité des patients. « Le travail de groupe leur permet de se confronter au regard de l’autre, sous la bienveillante neutralité de l’art-thérapeute. Ce travail n’est pas conseillé pour tous, mais il peut être intéressant pour le patient inhibé, pour apprendre ou réapprendre à s’intégrer socialement. »

Ne rien imposer

La personne arrive parfois dans son atelier avec une envie qu’elle essaiera de travailler et qui pourra être reprise dans un travail futur. « Si la personne vient et que son désir est autre que de réaliser une œuvre, je lui propose alors d’en discuter. Je n’impose rien, mais j’oriente. » L’une des dernières patientes d’Alain s’est dite très satisfaite du travail accompli et a émis le désir d’exposer ses œuvres. « Cela peut parfois être dangereux de montrer son travail, car il représente en partie la personnalité de son auteur et attire parfois des critiques qui peuvent blesser outrageusement », souligne Alain. Et de conclure : « C’est donc un progrès pour ma patiente, car elle accepte de prendre le risque de montrer la singularité de son propos artistique. »

Il dit de vous !

« Je n’ai pas de lien direct avec les infirmières libérales, sauf avec celle qui intervient au sein de la Maison d’enfants à caractère social où je dispense l’art-thérapie. Nous échangeons, avec elle et ses collègues éducateurs, sur les productions des enfants qui peuvent parfois être révélatrices de certaines difficultés existentielles. L’infirmière libérale fait office de tiers et la pertinence de ses observations en fait un quasi-superviseur. Elle me permet aussi d’exprimer des craintes, des questionnements, et elle m’aide à mieux connaître les enfants, à obtenir certaines informations sur eux et sur leur vie. Je peux ainsi recouper certaines données, qui m’aident à avancer le travail autrement. Côtoyer l’infirmière libérale dans ce cadre me donne l’opportunité de faire évoluer mon engagement altruiste. »

DIPLÔMES ET CERTIFICATS

Quelle reconnaissance du métier ?

En France, l’État reconnaît le certificat d’art-thérapeute dispensé par l’Institut national d’expression de création, d’art et transformation (INECAT), celui de l’institut Profac, un centre de psychologie appliquée, organisme de formation professionnelle, ainsi que le master de l’université Paris-Descartes. La Fédération française des art-thérapeutes (non accréditée par l’État) propose, de son côté, une accréditation d’art-thérapeute pour les personnes ayant suivi sa formation. À ce jour, il n’y a pas de reconnaissance statutaire de l’art-thérapie dans la fonction publique hospitalière. « Cela devrait être une reconnaissance par nos pairs comme pour la psychanalyse, estime Alain, car, une fois diplômé, l’art-thérapeute peut abandonner toutes velléités artistiques et créatives. Or la pratique régulière de son art est indispensable conjointement à un savoir psychologique à remettre toujours en cause. »