Don de vie en ville - L'Infirmière Libérale Magazine n° 282 du 01/06/2012 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 282 du 01/06/2012

 

Santé publique

Dossier

Encore rarement évoqués entre les murs du cabinet, le don et la greffe peuvent néanmoins s’aborder lors des tournées à domicile ou, plus spontanément, dans les centres de dialyse. Pour le patient greffé ou inscrit sur liste d’attente, l’accompagnement à domicile demeure indispensable. Une prise en charge où le partenariat ville-hôpital reste encore à développer.

Chaque jour, vous poussez la porte de dizaines de foyers, vous bénéficiez d’un capital “confiance” important et, pourtant, pas la moindre petite plaquette d’information rédigée à votre intention. Au mieux, on pense à vous comme à une personne dont les proches seront mieux préparés que d’autres – on connaît votre disposition naturelle à sauver des vies – à accepter le prélèvement de vos organes “si jamais”.

Il faudra effectivement pas mal de temps avant que la greffe perde cette image très hospitalière « de thérapeutique d’excellence, une activité un peu isolée, de dernier recours, un peu coupée de l’amont et qui assurait seule le suivi des patients greffés en aval », comme le souligne la directrice générale de l’Agence de la biomédecine (ABM)(1), Emmanuelle Prada-Bordenave, au cours de la présentation à la presse du nouveau Plan greffe. Principale mesure de ce Plan 2012-2015 : encourager la collaboration des professionnels de santé de l’hôpital et de ville autour du patient. « La cassure entre les transplantés et les autres se constate dès la salle d’attente d’un cardiologue. Il faut pourtant réapprendre à vivre ensemble, ce qui ne demande aucune dépense supplémentaire. » Il n’est d’ailleurs pas prévu d’accompagner le Plan de financements spécifiques ni pour les réseaux, ni pour l’hôpital(2). D’après l’ABM, davantage que les montants alloués, c’est « l’évaporation des financements destinés à l’activité de greffe », attribués sous forme de forfaits aux établissements, qui pose problème. « Une partie est utilisée pour combler les déficits. » L’implication des directeurs d’établissements, mais aussi des ARS, semble indispensable pour que l’activité greffe se développe.

En Lorraine, le réseau Néphrolor a pris de l’avance. Alors qu’il visait initialement à fédérer tous les services de néphrologie des établissements hospitaliers de la région autour des patients souffrants d’IRC en phase terminale ou préterminale, il s’est très vite étendu à la ville, en articulant autour des patients à des stades d’IRC encore peu avancés « leur médecin traitant et les professionnels de santé libéraux : l’Idel, le diététicien, le psychologue, le kinésithérapeute et le pharmacien. Ils les suivent au quotidien, les connaissent bien et seront donc toujours là après la greffe, qui n’est qu’une des étapes du parcours de soin. C’est un véritable apport d’oxygène : avec notre 2 000e patient greffé au CHU de Nancy, on n’imaginerait pas suivre 1 400 patients à l’hôpital », résume sa présidente, le Dr Michèle Kessler. Le même type de réseau existe à Lille et Bordeaux. Imparable, le suivi “hors hôpital” du patient transplanté décharge les services de greffes d’une partie des consultations. L’heure de la reconnaissance des professionnels de ville aurait-elle sonné ?

GRANDES OUBLIÉES

Les médecins traitants disposent d’un décret qui leur cède depuis 2006 la mission d’informer les jeunes de 16 à 25 ans sur les « modalités de consentement au don d’organes à fins de greffe »(3). L’ABM leur réserve un accès dédié sur son site Internet et les sociétés savantes, des formations continues. On en est loin avec les Idels, qui sont chanceuses si elles ont bénéficié de quelques heures de module en Ifsi leur expliquant le concept de mort encéphalique. C’est finalement sans surprise que les Idels entretiennent bon nombre d’idées fausses, relativisant elles-mêmes leur rôle dans la chaîne du don : « Cela ne concerne que les jeunes, les bien-portants. » Bref, pas vraiment ce qui compose l’essentiel d’une clientèle il faut bien l’avouer. Et puis, « c’est difficile de parler de la mort avec une personne déjà malade, on n’a pas le temps de le faire bien, on ne nous appelle pas pour ça ». En témoigne le parcours de Michelle Bargin (cf. L’ILM n° 270), Idel à Voiron (38) et très impliquée dans le prélèvement de moelle osseuse à travers l’association qu’elle préside(4). « Il me paraît plus compliqué d’aborder le don d’organes avec un patient que de l’informer sur le don de moelle, qui est un don de vie de son vivant, confie cette dernière. Là, on amène le patient devant la possibilité de sa propre mort. »

INFORMER

Ce qui tord le cou aux idées reçues ? Les rencontres. Ce sont finalement les patients eux-mêmes qui sensibilisent le mieux les Idels à la question du don d’organes. C’est ainsi, en s’attachant à un malade leucémique, après plus de vingt ans d’exercice, que Michelle Bargin a eu ce qu’elle qualifie de « déclic ». Idem pour Hervé Chirpaz, Idel à Saint-Alban-Leysse (73), devenu cadre de santé depuis un an : « J’ai ouvert mon cabinet il y a vingt-huit ans. Lorsqu’un centre de dialyse s’est créé dans la région, j’ai été immédiatement séduit par l’aspect technique de cet acte. Mon approche du don s’est faite au cours des échanges avec les personnes dialysées. Puis mon cabinet s’est ouvert à la prise en charge des malades souffrant de mucoviscidose et, là encore, le thème du don s’est imposé dans nos échanges sans forcément le chercher », raconte-t-il. Le suivi des patients atteints de mucoviscidose l’a considérablement marqué : depuis cinq ans, il est membre du conseil d’administration de l’association Grégory Lemarchal Ensemble contre la mucoviscidose, du nom de son patient médiatisé par la Star Academy et décédé alors qu’il était en attente d’une transplantation de poumon. « On reste une heure ou une heure et demie au domicile, le temps que s’écoule la perfusion d’antibiotiques, parfois plusieurs fois par jour. Alors on aborde l’option de la greffe avec le patient, ses parents. Plus on maîtrise le sujet, plus on en parle facilement. J’ai deux enfants et on en parle avec leurs copains, mes amis, les collègues. Je m’interdis seulement d’en parler avec les patients en fin de vie, sauf si ce sont eux qui me lancent sur le sujet. » Mais les Idels suivent aussi bon nombre de malades chroniques. Un contexte propice, si ce n’est à sensibiliser le patient, à lancer le débat avec le conjoint ou les parents jamais bien loin.

Et si les Idels n’abordent pas toutes la question du don, elles s’épanchent plus facilement sur la greffe. Ce patient qui attend un rein, un poumon… Ce sont des rencontres qui touchent, sans que le lien entre le don et la greffe soit explicitement établi. Cristina Malor, qui a exercé en tant qu’infirmière coordonnatrice de prélèvement à l’hôpital Foch, le résume avec simplicité : « Un chirurgien avec lequel je travaillais aimait répéter que “si beaucoup refusent le don d’organe, peu refusent la greffe”. Même à l’hôpital, c’est génial de préparer un bloc pour une greffe. Pourtant, l’idée même du prélèvement véhicule encore une image pas franchement positive, alors que l’un ne va pas sans l’autre ! Une collègue a été coordonnatrice pendant dix ans et elle a tourné la page, épuisée : lorsqu’elle arrivait en réa ou au bloc, les autres l’appelaient « le vautour ». » À 29 ans, Cristina a quitté l’hôpital pour le libéral. Pour autant, elle ne perd pas de vue son rôle de sensibilisation. « Comme je suis jeune, mes patients me demandent ce que j’ai fait avant. Je leur parle de la force de vie de mes patients atteints de mucoviscidose et de mon année de coordonnatrice en prélèvement d’organes. Quand on a touché ça d’aussi près, c’est dans vos tripes et c’est assez facile d’en parler. Parler de la mort ? Pour moi, ce n’est pas ça. Je me contente d’expliquer que, si on est pour le don, on a intérêt à le dire autour de nous, car c’est une chance pour que quelqu’un d’autre vive dans de meilleures conditions. »

TOUS PUBLICS

À qui en parler ? « Aujourd’hui, il faut dire et redire que l’on peut prélever un rein ou un foie en très bon état de marche chez un donneur de plus de 80 ans », martèle le Dr Patrice Guerrini, médecin adjoint dans l’un des sept services de régulation et d’appui (SRA) de l’ABM (cf. interview ci-contre). Le rein d’un octogénaire ne sera sans doute pas destiné à un jeune de vingt ans, en revanche, il peut apporter l’autonomie perdue à un retraité dialysé ou de l’espoir après la mort d’un premier greffon. Pour le Dr Karim Laouabdia-Sellami, chargé de la politique médicale et scientifique de l’ABM, « nous avons des machines de perfusion qui permettent d’améliorer encore la qualité des organes que nous prélevons sur des personnes de plus en plus âgées ».

S’il faut avoir moins de 50 ans pour se faire admettre sur la liste des donneurs de moelle osseuse, le don d’organes et de tissus bénéficie d’autres critères, et d’une tout autre législation. En raison du consentement pressenti, seules les personnes qui ne souhaitent pas être prélevées doivent s’inscrire sur le registre national des refus (RNR)(5). Un choix respecté par les professionnels que nous avons rencontrés dans le cadre de cette enquête : « Le plus dur pour les familles est de se retrouver dans un contexte d’urgence, à l’hôpital, sans connaître la position de leur proche. Trop d’associations critiquent les gens qui ne veulent pas donner, mais ce n’est pas ça, le don : chacun est libre de décider du devenir de son corps. En revanche, on ne peut que critiquer ceux qui n’en parlent pas  », précise Cristina Malor. À l’hôpital, en cas d’indécision manifeste et si le refus d’un seul des proches s’élève, c’est le refus qui l’emporte : « On respectera toujours le non. » La carte de donneur ? L’ABM n’en a vu remonter que 200 depuis qu’elles sont mises en service. « Je distribue un autre type de carte, disposant de trois volets qu’on baptise “passeport de vie(6) et que chaque association décline avec son logo : la personne en a une dans ce portefeuille qu’on a tant de mal à retrouver aux urgences, mais deux proches l’ont aussi. Le meilleur moyen de s’assurer que ses proches n’auront pas à faire ce choix-là au moment le plus douloureux  », conseille Hervé Chirpaz.

ÉDUQUER

Si le don d’organes soulève des problématiques complexes, la greffe n’a rien de simple non plus. Elle intervient au bout d’un long chemin. De l’inscription sur la liste d’attente à l’appel du centre de transplantation pour l’opération tant espérée, il peut s’écouler de nombreux mois, voire plusieurs années. Toujours est-il que, lorsqu’elle se produit, la greffe bouleverse totalement la vie du patient. En atteste Marc Bourlière, greffé du cœur depuis 2002. Portefeuille en main, le septuagénaire brandit deux cartes : « Je les ai toujours avec moi. J’en ai une pour indiquer que j’ai été transplanté, et l’autre pour dire que je suis donneur, se félicite-t-il, avant d’avouer que, pour tenir, il a fallu se battre pendant toutes ces années. »

Aussi épuisant soit-il, le combat ne s’arrête en effet pas à la greffe. Cette “nouvelle vie” offerte grâce à la transplantation est semée de médicaments et de contre-indications en tous genres. Pour s’y plier, l’aide de professionnels s’avère nécessaire. Les hôpitaux transplanteurs fournissent une première information, mais, une fois de retour à domicile, le patient se retrouve livré à lui-même. Pas sûr qu’il ait saisi toutes les directives médicales pour autant… Dans son rapport “Pour la mise en œuvre rapide et pérenne” de l’Éducation thérapeutique du patient (ETP) de juin 2010, le député de Moselle Denis Jacquat chiffre cet écueil. Selon son étude, « de 22 à 28 % des patients ayant subi une transplantation rénale sont non observants, au risque d’entraîner un rejet de leur greffe ». Une statistique suffisamment alarmante pour qu’en novembre 2010, la Haute Autorité de santé (HAS) cite l’ETP parmi les actes et prestations à effectuer pour le suivi des patients transplantés rénaux(7). Dans ce même document, c’est à l’infirmier qu’incombe cette tâche, tout comme la « délivrance du traitement si nécessaire ». Reste à savoir comment cela se traduit sur le terrain.

Petit aperçu au CHU de Bordeaux où exerce Aurélie Séniuta, en tant que cadre de santé au service de transplantation rénale. « Lorsque j’ai un patient qui vient d’être greffé et rentre chez lui, s’il maîtrise mal son traitement immunosuppresseur, je fais appel aux infirmières libérales pour lui préparer ses médicaments et s’assurer qu’il les prend bien, indique la responsable. Je fais pareil pour un patient greffé qui présente des complications infectieuses et retourne chez lui avec des antibiotiques. » Nul doute : l’infirmière, qui plus est libérale, a un rôle à jouer sur ce plan-là. Elle ne semble pourtant pas toujours convaincue de son importance. « Il m’arrive d’avoir des patients greffés, mais mes soins se limitent à des actes très classiques : délivrance de médicaments, prise de sang… Rien d’extraordinaire », murmure un Idel interrogé pour cette enquête. Quant à l’ETP, elle paraît tout aussi floue. « Les infirmières le font souvent sans en avoir conscience », constate Aurélie Seniuta.

Pour mettre au point un véritable programme d’ETP, la démarche s’avère plus difficile. Pourtant, les infirmières présentent toutes les compétences requises. « Seule la formation d’infirmier intègre aujourd’hui cette thématique, souligne le député Denis Jacquat dans son rapport. La formation conduisant au diplôme d’État assure à l’infirmier la compétence nécessaire pour “initier et mettre en œuvre des soins éducatifs et préventifs”, notamment concevoir, formaliser et mettre en œuvre une démarche de l’éducation thérapeutique. Cette compétence repose sur quatre unités d’enseignement, soit plus de 150 heures théoriques et pratiques, réparties sur les trois années de formation. » Dans cette même enquête, Denis Jacquat pointe en outre la méconnaissance des médecins sur « l’intérêt de l’ETP et l’offre disponible », si bien qu’ils « n’incitent pas leurs patients à suivre ces programmes ».

PAS DE COTATION

Ce qui se confirme dans le document de travail de la HAS sur l’éducation thérapeutique destinée aux patients chroniques, suite à une enquête conduite entre 2006 et 2007(8). « Dans la plupart des 59 actions qui sont étudiées, le nombre de professionnels de santé libéraux impliqués dans des actions d’éducation thérapeutique reste limité. » Et pour cause : il n’existe aucune cotation pour cet acte. Même les établissements hospitaliers qui s’y mettent le font sur leur budget global. « Cela n’apparaîtra jamais dans les PMSI [Programme de médicalisation des systèmes d’information, ndrl], observe Aurélie Seniuta. C’est payé par tout le reste… Ou pas ! En effet, si le patient a coûté cher en temps soignant, on l’aura perdu. C’est pour cela que personne n’est détaché pour les ETP. On est obligé de conserver les intervenants ETP dans le planning habituel de leur service d’origine. »

« Aucune rémunération spécifique n’existe pour la cotation de ce suivi éducatif, confirme la HAS dans son document de travail daté de 2007. À en croire les personnes interrogées, les infirmières libérales qui travaillent dans ce domaine semblent coter leurs actes de la même manière que si elles réalisaient elles-mêmes l’injection. » D’autres subterfuges peuvent néanmoins fonctionner. Le réseau Néphrolor, qui mène un programme d’ETP baptisé E’Dire, parvient à le financer à l’aide du Fonds d’intervention pour la qualité et la coordination des soins (Fiqcs). Cela « nous permet de rémunérer, de façon dérogatoire, les professionnels de santé, explique le Dr Kessler. Concernant les Idels, elles doivent avoir une formation générale à l’ETP et être volontaires. Elles bénéficient alors d’une formation spécifique à E’Dire. Elles n’ont rien à voir avec les associations de dialyse. En revanche, certaines IDE (en particulier dans les petites villes) peuvent être salariées d’un réseau. » L’éducation thérapeutique(9) dédiée aux patients greffés à domicile paraît, de ce fait, bien en peine. Malgré la loi HPST, qui encourage l’essor de l’ETP, le chemin s’annonce encore long.

(1) L’agence sanitaire qui gère toutes les activités de prélèvement et de greffe en France, placée sous l’égide du ministère de la Santé.

(2) Sur le Plan 2012-2015, lire notre actualité p. 8 de L’ILM n° 281.

(3) Décret n° 2006-1620 du 18 décembre 2006.

(4) Pour en savoir plus sur le don de moelle osseuse et Admo 38, contacter Michelle sur admo38@hotmail.fr ou 08 71 14 99 35.

(5) Lire en complément notre rubrique Votre cabinet, p. 52.

(6) Vous pouvez vous procurer le passeport de vie auprès de l’ABM (www.agence-biomedecine.fr) qui en est à l’origine ou des associations www.association-gregorylemarchal.org, www.greffedevie.fr ou www.france-adot.org.

(7) Liste des actes et prestations, ALD 28 “Suite de transplantation rénale de l’adulte”. HAS (2010).

(8) “Analyse économique et organisationnelle de l’éducation thérapeutique dans la prise en charge des maladies chroniques”, enquêtes descriptives (Service évaluation medico-economique et santé publique, HAS).

(9) L’ETP fera l’objet du prochain Cahier de formation de L’ILM n° 283.

Témoignage

« Dans le doute, le non l’emporte »

Cristina Malor, ex-infirmière coordonnatrice de prélèvements à l’hôpital Foch (92), aujourd’hui Idel à Gif-sur-Yvette (91)*

« J’ai travaillé pendant quatre ans au service des greffes pulmonaires à Foch. À la naissance de mon deuxième enfant, j’ai revu mon organisation et ai quitté le service à contrecœur. Pendant un an, je me suis chargée de la coordination des prélèvements d’organes, toujours à Foch. On m’appelait lorsqu’un donneur était pressenti, pour gérer sa prise en charge et celle de ses proches, car l’infirmière coordonnatrice est un pilier entre la réa, le patient et la famille. De l’autre côté, j’étais en contact avec l’ABM qui tient la liste des personnes en attentes de greffes. J’avais aussi pour mission de sensibiliser le personnel de l’hôpital, les Ifsi… En réa, on reste avec le donneur jusqu’à la fin du prélèvement au bloc opératoire, qui peut durer 24 heures. Je m’y étais préparée, mais, du point de vue humain, on prend quelques claques quand même. On a vu tant de patients partir faute de greffe, mais là, on découvre une famille sous le choc de l’annonce du décès d’un proche qui n’a pas l’air d’être mort… La probabilité de pouvoir donner est seulement de 1 %, et là-dessus, la moitié ne le sera pas : dans le doute, c’est toujours le non qui l’emporte. Aujourd’hui, en libéral, j’en parle sans tabou. »

* Membre du conseil d’administration de l’association Grégory Lemarchal Ensemble contre la mucoviscidose depuis 2007.

Témoignage

« J’ai dû me débrouiller seul »

Marc Bourlière, patient transplanté cardiaque au CHU de La Timone à Marseille (13) depuis dix ans, sous dialyse

« C’est en mars 2002, à l’âge de 59 ans, que j’ai reçu un appel pour ma transplantation cardiaque. Ce fut un moment de grande émotion – et d’angoisse aussi. Après quelques jours, l’équipe soignante m’a expliqué qu’il fallait que je me débrouille seul. Il est vrai que, même avec un nouveau cœur, on reste inquiet, on se demande si l’on est capable… Finalement, j’ai repris mes marques durant ma cure en centre de rééducation : une résurrection !

Mais cette deuxième vie s’accompagne d’obligations. Je dois tant au donneur. Je n’ai pas le droit d’avoir une mauvaise hygiène de vie. En sortant de l’hôpital, j’avais trente médicaments à prendre chaque jour et il a fallu apprendre à les gérer. On m’a remis un livret expliquant les précautions à prendre. Je n’ai jamais vraiment fait appel à une infirmière libérale pour cela. Au fil des années, après la greffe, j’ai connu beaucoup de problèmes de santé liés au traitement antirejet. Dès que j’ai eu des questions, j’ai préféré contacter le médecin traitant qui me suivait depuis le début. »

Interview
Dr Patrice Guerrini, médecin adjoint au SRA Île-de-France, Centre, Antilles, Guyane (Agence de la biomédecine)

« Agir en citoyennes »

Pourquoi les Idels sont-elles oubliées des campagnes de sensibilisation ?

On concentre effectivement nos efforts sur les membres du personnel des hôpitaux. Services de réa en urgences et soins intensifs, là où se trouve le donneur… C’est un fait, les Idels ne sont pas directement impliquées dans l’activité de prélèvement. Mais on est conscient de leur rôle de suivi auprès des patients qui ont bénéficié d’une greffe. Et puis, en France, on est tous des donneurs potentiels par consentement présumé, et ce n’est pas suffisamment compris par la population. Les Idels peuvent informer. Mais on sait aussi que leur temps est compté chez les malades. On les appelle pour un acte, un geste précis. Même si nous avons tout intérêt à ce qu’elles apportent les bonnes réponses.

Cela reste-t-il compatible avec leur clientèle âgée, composée de malades chroniques ? Ah, le problème de la clientèle âgée ! Aujourd’hui, il faut dire et redire que l’on peut prélever un rein ou un foie en très bon état de marche chez un donneur de plus de 80 ans. Les receveurs sont eux aussi de plus en plus âgés. Et, concernant les pathologies chroniques, si cela entraîne un risque pour le receveur, on ne prendra pas leurs organes. Mais c’est une population que l’on peut aussi informer. Ces gens ont une famille, des collègues, ce qui élargit encore le cercle. En tant que citoyennes, on compte sur elles pour relayer le message.

Analyse
LE DON CROISÉ

Dans le sillage européen

La France modifie peu à peu sa législation en matière de transplantation. Ainsi l’Assemblée nationale a-t-elle validé, en juillet 2011, le don croisé d’organes entre personnes vivantes et le don d’un ami à travers la loi de bioéthique portée par le député Jean Leonetti. Il existait « déjà dans de nombreux pays européens (et) ne pose pas de problème particulier, relève Arnold Munnich, pédiatre généticien, professeur de médecine et conseiller à la présidence de la République, durant les travaux préparatoires. Souhaitée par les professionnels, cette pratique permettra de réaliser davantage de greffes. Il faut simplement veiller à éviter les risques de pression sur les donneurs : le projet de loi comporte sur ce point toutes les garanties ». De quoi conforter l’harmonisation des pratiques sur le plan européen.

Témoignage

« Il n’y a pas que le 22 juin »

Lionel Pfann, président de la Coordination des transplantés d’Alsace-Lorraine (Cotral, www.cotral.org)*

« Notre association a vu le jour en 1995 dans l’espoir de faire reculer le taux de refus et réduire ainsi le temps d’attente avant une greffe. Notre objectif est d’informer les gens pour qu’ils se prononcent, dans un sens ou un autre. Il n’y a pas que le 22 juin, lors de la Journée nationale de réflexion sur le don d’organes et la greffe, qu’il faut en parler ! Très souvent, les familles ignorent le désir du défunt. Le taux de refus est de 30 à 35 % depuis dix ans. Il ne suffit pas d’avoir la carte de donneur, il faut le dire à son entourage. Les cabinets infirmiers sont aussi des vecteurs pour diffuser de l’information et libérer la parole. D’ailleurs, dans la région de Mulhouse, ce sont les Idels qui nous demandent des cartes de donneurs. En post-greffe aussi, ils jouent un rôle important. Ils effectuent des soins banals, mais ils sont réconfortants. Cela dit, les effets des traitements immunosuppresseurs, très lourds, semblent peu connus du milieu médical. Ils devraient faire l’objet de formations. »

Témoignage

« L’infirmière est un relais d’information »

Aurélie Séniuta, cadre de santé dans le service de transplantation rénale au CHU de Bordeaux (33), après une expérience d’infirmière en centre de dialyse

« Durant mon expérience au sein du centre dialyse à la polyclinique Bordeaux-Nord Aquitaine, lors de pré-transplantations rénales, nous faisions des ateliers d’éducation thérapeutique. On avait de temps en temps recours aux infirmières libérales, pour leur demander comment cela se passait à la maison. Nous les tenions au courant sur le projet d’ETP. Elles recevaient le même courrier que le médecin traitant. Au cours du programme d’ETP, on reçoit le patient, on voit où il en est, ce qu’il sait de son insuffisance rénale chronique, on explore sa vie sociale, familiale, affective, etc. Le but de cet entretien est de voir avec lui le traitement le plus adapté (hémodialyse, dialyse péritonéale, en centre ou à la maison, voire la greffe). Il s’agit de l’aider à choisir ce qui correspond le plus possible à sa vie quotidienne. L’Idel n’est pas invitée à le conseiller à ce propos. Elle est tenue informée comme le médecin pour être en mesure de prévenir sur d’éventuelles contre-indications médicales ou chirurgicales liées à certaines techniques de dialyse. Elle est aussi un relais d’information auprès du patient. »

En chiffres

• 4 945 greffes recensées en 2011 (soit + 5 % par rapport à 2010).

• 1 572 prélèvements d’organes en 2011 (+ 6,5 % par rapport à 2010).

• Âge moyen des donneurs : 53,6 ans en 2011.

• Au total, 16 000 personnes environ ont eu besoin d’une greffe en 2011. Près de 11 000 sont donc restées sur liste d’attente.

Source : Agence de la biomédecine.