« Entendre, un facteur clé d’intégration sociale » | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 280 du 01/04/2012

 

Luis Godinho, audioprothésiste à Paris (75)

La vie des autres

Luis Godinho a commencé sa carrière d’audioprothésiste en 1990. Entre mesures audiométriques, adaptation de l’appareil, l’accompagnement des patients généralement rétifs à l’idée d’être appareillés, il a trouvé sa voie avec ce métier paramédical.

« À la suite du médecin ORL qui prescrit le port d’un appareil, l’audioprothésiste réalise aussi des mesures qualitatives de sons et de mots. C’est un métier beaucoup plus paramédical que celui d’opticien. » C’est ainsi que Luis Godinho explique sa réorientation professionnelle*. Il a commencé par être opticien, mais s’est vite lassé d’un métier « trop commercial, pas assez technique ».

C’est en 1994, à Paris, que Luis Godinho a ouvert son centre d’appareillage. Un métier dont il ne se lasse pas : « Nous rencontrons toujours de nouveaux patients et des situations inédites. » Autre élément de satisfaction : le soulagement apporté aux malentendants. Mais, avant d’arriver à un résultat, il y a un long travail à mener auprès des patients, encombrés d’a priori à l’égard des appareils auditifs.

Des matériels high-tech

Pourtant, les matériels ont beaucoup évolué ces dernières années : non seulement ils passent le plus souvent inaperçus, mais ils sont aussi bien plus performants. Finie l’ère des systèmes qu’il fallait régler manuellement : la plupart des appareils actuels proposent une amplification numérique des sons et s’adaptent automatiquement à l’environnement.

Aujourd’hui, trois grands types de prothèses se partagent le marché. Tout d’abord, les intra-auriculaires, petites formes arrondies que l’on glisse à l’intérieur du conduit auditif. Ensuite, les appareillages ouverts, extra-auriculaires, posés derrière l’oreille : un tube fin et transparent est relié à l’embout qui s’insère dans le conduit auditif – lequel embout est ouvert et évite la sensation d’oreille bouchée. C’est le type d’appareil le plus vendu.

Enfin, les classiques “contours d’oreille” de nos grands-pères, beaucoup moins discrets et de moins en moins commercialisés.

Surdité et préjugés

Survenant entre 45 et 60 ans, la presbyacousie – ou baisse d’audition due à l’âge – est la pathologie la plus fréquente. La part des surdités congénitales est très limitée : 700 enfants naissent chaque année en France avec un déficit auditif sérieux. À cela s’ajoutent les surdités liées à des traumatismes ou à des maladies, même si ces dernières sont de plus en plus rares, grâce aux antibiotiques, aux progrès de la chirurgie et des traitements médicamenteux. En dépit de ces progrès, « l’audition est un secteur qui n’est pas mature, à tous points de vue », estime Luis Godinho. Ce secteur reste mal pris en charge par la Sécurité sociale, qui rembourse un appareil sur la base de 200 euros, et par les mutuelles. Même s’il existe des prothèses à tous les prix, en moyenne, un appareil coûte 1 500 euros. Ce tarif inclut l’adaptation et un suivi pendant cinq ans – durée de vie moyenne d’un appareil. Ce frein à l’appareillage n’est pas le seul : les préjugés liés à la surdité sont là. « Même les personnes aisées ne s’appareillent pas plus que les autres. »

Si la cécité suscite compassion et gravité, la surdité, étrangement, prête toujours à sourire. Et porter un appareil reste une démarche délicate. « Je réalise un gros travail de conviction et de psychologie, pour modifier le regard des personnes, et pas seulement chez les jeunes », déplore Luis Godinho. La preuve en chiffres : sur 6 millions de malentendants, 3,5 millions gagneraient à être appareillés, mais seul 1,5 million (40 %) d’entre eux a sauté le pas.

Une adaptation essentielle

Une fois l’appareil choisi par le patient sur les conseils de l’audioprothésiste, l’adaptation s’étale au minimum sur deux semaines, et souvent jusqu’à un mois. Un temps nécessaire pour l’acclimatation physiologique du système auditif, mais aussi pour l’acceptation psychologique de l’appareil par le malentendant. « Il s’agit d’essais probatoires et conditionnels », insiste Luis Godinho. Le patient peut encore revenir en arrière à l’issue de ces essais. Pas question de se fâcher ni de forcer la main : un produit vendu trop vite encourt le risque d’être rejeté. Aussi long soit-il, le temps d’adaptation et d’acceptation est indispensable.

Pour autant, Luis Godinho n’est pas pessimiste sur l’avenir. Les lunettes, encore en état de disgrâce il y a trente ans, n’ont-elles pas fini par obtenir la reconnaissance qui leur est due ? Il croit en un revirement de l’Assurance maladie en faveur d’un meilleur remboursement… Ce qui pourrait inciter un certain nombre de malentendants à sauter le pas. « Mal entendre affecte le cerveau et les fonctions cognitives. Cette réalité pourrait faire bouger l’Assurance maladie. » En effet, une étude récente établit un lien direct entre surdité et risque de démence (lire l’encadré). Pour aller plus loin et défendre les droits de la profession et ceux des patients, Luis Godinho s’est engagé dans l’activité syndicale : il est aujourd’hui vice-président du Syndicat national des audioprothésistes (Unsaf).

* Pour devenir audioprothésiste, il faut passer un diplôme d’État qui se prépare en trois ans après le baccalauréat (filière scientifique de préférence).

Il dit de vous !

« Les audioprothésistes n’ont pas de liens directs avec les infirmières libérales. Nous sommes dans des filières très séparées : les audioprothésistes ne vont jamais au domicile des personnes. Mais nos deux professions ont des patients en commun : des personnes âgées, qui entendent mal et s’isolent peu à peu… En allant au domicile des personnes, les infirmières libérales nouent un contact privilégié. Je pense qu’elles pourraient jouer un rôle de promotion et d’information, en incitant les personnes à consulter leur généraliste, un médecin ORL, un audioprothésiste… Mais, pour cela, elles devraient être sensibilisées. Il faut être à l’écoute et faire preuve de patience – ne surtout pas traiter les problèmes d’audition à la légère, encore moins par le mépris ou la moquerie… J’attends une grande campagne d’information pour le grand public et les professionnels de santé sur les difficultés liées à une audition déficiente. »

LA SURDITÉ CHEZ LES PERSONNES ÂGÉES

Un plus grand risque de démence

Les personnes âgées atteintes de surdité semblent avoir une plus grande probabilité de souffrir de démence. Et ce risque s’accroît lorsque la perte d’acuité auditive s’aggrave, selon les résultats d’une recherche publiés en février 2011 dans la revue Archives of Neurology. Pendant vingt-huit ans, de 1990 à 2008, 639 personnes de 36 à 90 ans et ne souffrant pas de démence ont été suivies. Une corrélation entre vieillissement, perte de l’ouïe et accroissement du risque de sénilité a été établie. Chez les participants âgés de plus de 60 ans, 36 % du risque de démence était lié à une perte de l’ouïe. De plus, le risque de développer la maladie d’Alzheimer s’est accru de 20 % pour chaque dix décibels de perte d’acuité auditive… Si cette étude se confirme, cette découverte pourrait avoir des retombées pour la santé publique.