Les cordonniers mal chaussés ? - L'Infirmière Libérale Magazine n° 277 du 01/01/2012 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 277 du 01/01/2012

 

SANTÉ

Votre cabinet

Vous prenez soin de la santé des autres, mais comment entretenez-vous la vôtre ? Votre profession vous conduit peut-être à vous vous en préoccuper plus que d’autres… Alors, un peu, beaucoup ou pas du tout ?

Un peu

« En général, je ne m’écoute pas du tout », avoue Laure Moreau, installée dans la Drôme. L’une des raisons : le fait de travailler auprès de personnes “réellement malades”. De ce fait, un microbe ou une blessure deviennent vite “trois fois rien” et ne méritent pas qu’on s’y intéresse. Surtout en comparaison des pathologies dont souffrent les patients : cancer, insuffisances cardiaques ou respiratoires, etc. « Il y a trois ans, j’ai eu un accident de voiture assez grave. La voiture a fait un vol plané, un tonneau, et s’est retrouvée complètement écrasée… Miraculeusement, je m’en suis sortie juste avec des bleus, des brûlures et une entorse cervicale. Avant d’être prise en charge aux urgences, j’ai immédiatement appelé ma collègue pour qu’elle finisse la tournée. Trois jours après, je reprenais le travail. » Une erreur, a posteriori ? « Je ne me pose même pas la question, rétorque Laure Moreau. Je pouvais reprendre, j’étais seulement très fatiguée… »

Beaucoup

Laura Chanteur, qui travaille de nuit en Isère, prend grand soin de sa santé sur un mode préventif. Elle la considère comme un tout, comportant deux dimensions indissociables, physique et psychologique. « C’est très basique, explique-t-elle. Pour faire face et avoir une meilleure orientation dans ma vie, je fais attention à la façon dont je m’équilibre au quotidien sur le plan du sommeil, de l’alimentation, etc. Je suis très à l’écoute et je sais à quel moment je suis en déficit. »

Pas du tout !

« Je suis rarement malade, mais quand ça ne va pas, je ne prends pas le temps de m’écouter », admet Charlotte Ampe. Comme beaucoup de professionnels de santé, elle relativise ses maux dès qu’elle pense à ses patients. « Comme nous sommes quatre dans le cabinet, c’est plus facile pour se faire remplacer. Sinon, en cas de rhume, on se bourre de paracétamol et on va quand même travailler… » L’autre jour, sa troisième patiente de la journée lui a donné un violent coup au sternum. Ce qui ne l’a pas empêchée de continuer sa tournée du jour… et celles des jours suivants pendant une semaine. « Je ne pouvais même plus enfiler mes chaussettes, raconte l’infirmière. Mais il m’était impossible de me faire remplacer, et mon assurance m’impose quinze jours de carence avant toute indemnisation. » C’est seulement huit jours plus tard, en vacances, qu’elle a consulté et passé une radio. Verdict : enfoncement du sternum et d’une côte !

Allô, docteur ?

Les relations des infirmières avec leur médecin traitant sont à géométrie (très) variable. Laura Chanteur avoue par exemple le consulter plus volontiers pour ses enfants que pour elle. De même, Charlotte Ampe reconnaît inciter davantage ses proches à consulter qu’elle ne le fait elle-même. « Je m’entends bien avec mon médecin, précise-t-elle. Mais je le vois plutôt pour parler des patients, alors cela lui arrive parfois de me rappeler à l’ordre. » À l’inverse, c’est bien une relation soignant-soigné qui s’est tissée entre Laure Moreau et le sien, et « les médecins savent que nous sommes comme eux : nous ne pouvons pas nous arrêter et nous ne venons pas pour rien ».

S’arrêter ?

Il est plus facile de s’arrêter en salariat, estime Laure, même si elle ne s’est jamais arrêtée lorsqu’elle travaillait à l’hôpital. En libéral, « on ne peut pas se le permettre, car on ne veut pas mettre les collègues en difficulté », souligne l’infirmière. L’indemnisation “basique”des professionnels libéraux en cas de maladie ou d’accident (à partir du 31e jour d’arrêt, par exemple) est toujours aussi peu encourageante… À chacun et chacune d’évaluer s’il peut travailler ou non, tout en préservant la santé de ses patients. En cas de grippe ou de gastro-entérite par exemple, pas de tournée pour Laure : elle s’arrange avec sa collègue ou leur remplaçante. À l’exception de ces cas, Laure a continué à minimiser ses problèmes de santé, même après son accident. « En 2009 et en 2010, j’ai eu une toux qui traînait, raconte l’infirmière. Je me disais que cela passerait en prenant un peu de repos… Finalement, je me suis cassée une côte à force de tousser… deux années de suite ! Mon médecin m’a grondée… Maintenant, je vais le voir dès que j’ai quelque chose. Et s’il me dit que je risque de transmettre ce que j’ai aux patients, je me fais remplacer. »

L’organisation du cabinet où travaille Laura Chanteur lui offre aussi de la souplesse en cas de nécessité. Hasard ou coïncidence, il lui arrive rarement d’être malade. Un rhume, parfois une angine… Mais, dans ce cas, « j’essaie de me mettre en veille, de me reposer et de laisser passer ».

Hygiène de vie

Pas facile, quand on est libérale, de bien se nourrir au quotidien, de se reposer quand on en a besoin… Surtout les jours où l’on travaille : Laure avoue y faire plus attention lorsqu’elle est en repos. Des jours un peu plus nombreux désormais : « Avec ma collègue, nous étions arrivées à un point où l’épuisement était total. Nous essayons donc de nous ménager plus de plages de vacances et de repos pour récupérer, et nous faisons davantage travailler notre remplaçante. »

Pour Laura Chanteur, cela fait longtemps que l’hygiène de vie constitue un moteur de sa santé, sur le plan physique mais aussi psychologique. Tous les jours, par exemple, elle pratique des exercices respiratoires : dans sa voiture, entre deux patients, chez elle… « C’est comme faire le plein d’essence avant de partir », commente-t-elle. Elle s’efforce aussi de ne pas avoir un rythme de vie effréné. « C’est essentiel pour moi de donner du sens à ce que je fais, de prendre de la hauteur, de dédramatiser des situations, de désamorcer des problèmes. Je fais aussi du yoga. C’est important physiquement, car, sinon, le corps somatise. » Elle interprète les tensions musculaires, maux de tête et autres rhumes comme autant de signes d’une fatigue ou d’un manque d’écoute à un moment donné. Cela lui permet, dit-elle, d’avoir une autre lecture du symptôme, qu’elle assimile à un “régulateur” ou un “nettoyeur”, une sorte de tremplin qui fait passer à autre chose…

Professionnelle

Le fait d’être des professionnelles de santé ne protège pas les infirmières des maladies et ne facilite pas forcément leur accès aux soins. Cela ne les vaccine pas non plus des représentations compliquées que chacun peut construire autour de sa santé… ou de sa vulnérabilité. Bouleversée par le décès d’une collègue atteinte d’un cancer du sein, Charlotte Ampe a ainsi repoussé tant qu’elle a pu la mammographie conseillée par son médecin… La mort, Charlotte Ampe la côtoie de près ou de loin tout les jours, « mais ce que je crains le plus, c’est de souffrir », avoue-t-elle. Indéniablement, reconnaît cependant Laura Chanteur, sa profession de soignante tout comme son parcours de vie ont tendu « plusieurs cordes à son arc » pour l’aider à identifier ce qui se passe en elle et y donner un sens. Un écueil du métier demeure, souligne Laure Moreau : « On est d’abord là pour les autres. »

Témoignage

Beaucoup d’automédication

Muriel Caronne, infirmière libérale et auteur du Guide de l’Infirmière libérale, éditions Lamarre, 2e édition, 2011

« Pour être infirmière libérale, il faut avoir une santé très solide. Globalement, j’ai constaté que les libérales sont peu malades. Je pense qu’elles acquièrent, au contact des patients, une certaine résistance aux microbes domestiques. De plus, elles connaissent en général leurs points sensibles. Et elles pratiquent beaucoup l’automédication, à bon escient. La plupart du temps, elles ont une petite trousse de médicaments avec elles en cas de mal de tête ou d’autres petits maux. Une autre spécificité des infirmières libérales : comme elles sont connues des pharmaciens, elles n’ont pas toujours besoin d’une prescription sur le moment pour obtenir certains médicaments courants… En tout cas, lorsqu’on exerce ce métier, on a tendance à moins s’écouter. Et puis, même si le roulement entre infirmières fonctionne bien, tout se complique dès qu’il y a une absente. En plus de l’Assurance maladie volontaire, il est important de prendre aussi une assurance “perte de revenu” en cas de coup dur… »