Accompagner le corps - L'Infirmière Libérale Magazine n° 276 du 01/12/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 276 du 01/12/2011

 

Cahier de formation

Savoir faire

Mme S. se sent très fatiguée entre ses cures de chimiothérapie…

Dites-lui d’en parler à son médecin. Certes, les traitements fatiguent, mais il se peut également qu’elle dorme mal à cause de douleurs : essayez de la faire parler, car elle peut bénéficier d’antalgiques efficaces. Peut-être est-elle fatiguée parce qu’elle mange mal ou à cause de nausées : quelques conseils sur la façon de s’alimenter lui seront utiles.

PRATIQUER LES SOINS À DOMICILE

Chimiothérapie à domicile

Depuis 1989 (décret n° 89-273 du 6 octobre 1989 et arrêté du 9 octobre 1989 modifiant la NGAP), la réglementation reconnaît aux infirmières libérales la possibilité d’administrer la chimiothérapie anticancéreuse à domicile (CAD) sur des patients munis d’un accès vasculaire par chambre implantable, sous réserve qu’ils aient reçu une formation spécifique préalable. Un module de cours est inclus dans la formation initiale depuis 1993.

Pour les diplômés plus anciens ou ceux qui souhaitent réactualiser leurs connaissances, plusieurs organismes délivrent des formations validées par un certificat d’aptitude. Le codage des actes de chimiothérapie est spécifique (voir sur le site Internet Ameli http://bit.ly/tlDNY8). Depuis 2006, les infirmières libérales doivent également faire partie d’un réseau de soins en cancérologie pour pratiquer la CAD.

Toutefois, dans la pratique, les protocoles de chimiothérapie de première intention se déroulent souvent sur la journée, ils s’effectuent donc à l’hôpital ou à la clinique en ambulatoire. Les infirmières libérales sont souvent sollicitées :

→ pour le retrait : rinçage de la chambre et retrait de l’aiguille de Huber (AMI 5) ;

→ dans le cadre de l’hospitalisation à domicile (HAD). La structure d’HAD assure alors le règlement de ses honoraires et des frais accessoires. En 2008, un protocole d’accord a été signé avec les principales organisations syndicales représentatives des infirmiers libéraux, pour définir les fonctions et obligations de chaque partie. L’HAD a obligation de respecter le choix de la patiente pour une infirmière particulière. De son côté, l’infirmière s’engage à respecter le protocole de soins défini par l’établissement d’HAD, à participer aux réunions de coordination et aux formations organisées et à assurer la continuité de leurs soins.

Des protocoles de chimiothérapie orale se développent depuis quelques années pour des patientes en récidive de cancer du sein. Prescrits à l’hôpital, ils sont pris à domicile, sans réelle surveillance. Or ils génèrent autant d’effets secondaires qu’une chimiothérapie en intraveineuse. De plus, il y a des soucis d’observance, certaines femmes arrêtant le traitement si elles se sentent mal, ou au contraire l’intensifiant dans l’espoir de guérir plus vite. Dans ce contexte, l’élaboration d’une démarche de soins infirmiers, avec consultations de surveillance clinique hebdomadaires, est tout à fait justifiée et appropriée.

Autres soins

En dehors de l’administration de la chimiothérapie, les soins infirmiers à porter aux patientes atteintes de cancer du sein sont peu spécifiques : soins de pansements après chirurgie du sein ou mise en place de voie veineuse profonde, prise de sang pour les bilans sanguins pré– et post-cures, retrait de perfusion, etc. Il y a parfois des injections sous-cutanées de facteurs de croissance hématopoïétiques à réaliser, pour limiter l’aplasie. Des soins de nursing, ou l’administration d’une nutrition entérale ou parentérale, entrent également dans le cadre de la prise en charge infirmière.

Lorsque les patientes sont soignées dans des structures multidisciplinaires, leur maladie est prise en charge de façon globale. Des départements dédiés aux soins de support y ont été mis en place depuis quelques années. Prise en charge de la douleur et de la fatigue, bilan nutritionnel, soutien psychologique, aide face aux difficultés sociales et professionnelles, rééducation par la kinésithérapie, prise en compte des modifications de l’image corporelle, accompagnement de fin de vie, etc. : autant de missions qui relèvent des soins de support.

Cependant, certaines patientes ne bénéficient pas de cette approche globale de la prise en charge. Il est donc important de les informer et les conseiller sur des aspects de la maladie qui, s’ils ne sont pas focalisés sur le traitement de la tumeur, sont tout de même essentiels dans son vécu au quotidien.

TRAITER LA DOULEUR

Quelles douleurs ?

La tumeur mammaire in situ est souvent indolore. Une douleur inflammatoire peut se développer en cas de tumeur invasive, du fait de la réaction de défense des tissus environnants.

La douleur survient souvent à la suite des examens exploratoires (comme la biopsie) ou des traitements. Elle doit être soulagée dans tous les cas où cela est possible. Les douleurs post-opératoires sont généralement bien prises en charge pendant l’hospitalisation. Il peut néanmoins subsister des douleurs neuropathiques, dues aux lésions des nerfs présents à proximité de la zone excisée. Ces douleurs apparaissent parfois plusieurs semaines après la chirurgie. D’autres douleurs sont des effets indésirables de la chimiothérapie ou de la radiothérapie.

Dialoguer, évaluer

Certaines patientes n’osent pas parler de leur douleur, sous peur de paraître douillette. Mais souffrir en silence retentit forcément sur le moral, le comportement, la relation avec l’entourage… Il faut donc encourager ces femmes à s’exprimer. Il est important d’expliquer à une patiente avant qu’elle soit traitée quelles seront les douleurs qu’elle risque de devoir affronter. Cela permet de mieux gérer la composante émotionnelle de la douleur.

En cas de douleur, faire évaluer l’intensité et les modalités de sa douleur grâce aux échelles adaptées. Si la patiente n’arrive pas à objectiver sa douleur ou refuse de l’admettre, des indices permettent de repérer sa souffrance : mimiques crispées, postures raides, signes de manque de sommeil, mauvaise humeur, comportement inhabituel… Il ne s’agit pas non plus de lui faire “avouer” à tout prix sa douleur, mais d’être attentif aux signaux et de lui proposer une aide adaptée à sa situation.

Les médicaments

Toute la gamme des antalgiques, du paracétamol à la morphine, peut s’avérer utile (l’aspirine est déconseillée en cours de traitement chimiothérapique) : palier 1 (paracétamol, AINS), palier 2 (opioïdes faibles comme codéine et tramadol) et palier 3 (opioïdes forts comme fentanyl, morphine, oxycodone…). Les opiacés nécessitent une prescription quasi systématique de laxatifs associés à des conseils hygiéno-diététiques (hydratation, fibres, mobilisation…). Des coantalgiques sont parfois nécessaires : corticoïdes, topiques locaux (anesthésiques…), biphosphonates, etc.

Les douleurs qui sont de type neuropathique nécessitent des antidépresseurs (amitryptiline, imipramine) ou des antiépileptiques (gabapentine, prégabaline).

Attention au surdosage, surtout pour des patientes à tendance dépressive. Les proches doivent être informés et vigilants. Vérifier les doses maximales des antalgiques prescrits.

Les approches non médicamenteuses

→ L’application de froid (gant humide, glaçons entourés d’un linge, sac de petits poids surgelés) ou de chaud (bouillotte) peut soulager temporairement les douleurs localisées au niveau du sein, de la cicatrice ou des ganglions.

→ L’acupuncture est efficace dans certains cas, probablement grâce à la synthèse d’endorphines consécutive à l’implantation des aiguilles.

→ La relaxation agit sur la composante émotionnelle de la douleur. Elle aide les patientes à mieux gérer leur stress et leur anxiété et influe ainsi sur le ressenti de la douleur. Yoga, méditation, sophrologie, musicothérapie, hypnose, idem.

Ces approches agissent sur la qualité de vie et sont un moyen pour une femme maltraitée par des traitements médicaux agressifs de reprendre la main sur son corps. L’infirmière peut informer sur ces médecines alternatives, tout en mettant en garde contre les sectes ou les charlatans susceptibles de tirer profit de son désarroi passager.

TRAITER LES EFFETS INDÉSIRABLES

Aplasie

Les traitements cytotoxiques affectent le fonctionnement de la moelle osseuse. Le nombre de globules blancs diminue à partir du 3e jour après la cure, jusqu’aux environs du 10e jour. Il faut être particulièrement attentif à toute montée de température (alerte médicale au dessus de 38,5°C). L’infirmière doit conseiller sur le risque infectieux : bien se laver les mains, éviter le contact avec des personnes contagieuses ou des animaux, ne pas prendre froid, bien laver les crudités et bien cuire les aliments, etc. Rappeler la bonne observance du suivi des bilans sanguins (NFS).

Une anémie chimio-induite peut également survenir, qui accentue la fatigue physique liée à la maladie et aux traitements. La pâleur ou la dyspnée en sont des signes cliniques. Les pétéchies ou les saignements (nez, gencives) doivent attirer l’attention sur un faible taux de plaquettes (thrombopénie).

Nausées et vomissements

Les nausées et vomissements sont fréquemment associés à la chimiothérapie. Outre les antiémétiques, ajouter des conseils relatifs à l’alimentation, comme fractionner les repas, manger lentement, prendre les aliments froids ou tièdes, éviter la nourriture grasse ou épicée, boire entre les repas plutôt que pendant, etc. Il faut être attentif aux signes de déshydratation en cas de vomissements importants.

Mucites

Les mucites (inflammation des muqueuses) et les aphtes (ulcères superficiels) sont des effets indésirables fréquents de la chimiothérapie, car la muqueuse de la bouche se renouvelle rapidement. Prévenir et traiter sont essentiels pour limiter leur retentissement sur la prise alimentaire. En prévention, s’astreindre à une excellente hygiène dentaire et buccale (bilan chez le dentiste, brossage de dents, bains de bouche), stimuler la production de salive (chewing-gums, sorbets, glaçons) et éviter les aliments épicés ou acides.

Alopécie

→ Les cytotoxiques le sont aussi pour les cellules du bulbe pileux. Les traitements provoquent la perte des cheveux, mais aussi la chute des sourcils, des cils, des poils pubiens, etc. Les poils commencent à tomber environ trois semaines après le début des traitements. Les ongles sont également fragilisés par les traitements.

→ L’utilisation d’un casque réfrigérant pendant les chimiothérapies permet de diminuer l’afflux sanguin vers les cheveux, donc de freiner la diffusion des produits toxiques dans le cuir chevelu et de limiter ainsi la perte de cheveux. Son efficacité reste cependant très variable, et son port est contraignant et pas toujours très bien supporté. Il est également conseillé de ménager sa chevelure, en évitant les shampoings trop fréquents, les brossages trop agressifs, le sèche-cheveux, les permanentes et teintures.

→ Certaines femmes préfèrent adopter une coupe courte, voire se raser complètement, pour minimiser ou abréger la phase de chute des cheveux. Porter une perruque, un foulard, un turban, un bonnet, tout faire pour maintenir sa chevelure ou arborer sa calvitie, sont autant de choix personnels qu’il faut respecter. Des professionnels de la coiffure et de l’esthétique, habitués à recevoir les femmes en traitement pour cancer, sont des interlocuteurs précieux. Il existe des magasins spécialisés qui fournissent toutes sortes d’accessoires. Des socio-esthéticiennes interviennent dans les centres de lutte contre le cancer, dans les établissements de soin, leur action étant intégrée au département des soins de support. L’Assurance maladie prend en charge l’achat d’une perruque pour un montant de 125 euros, ce qui correspond aux premiers prix pour des perruques synthétiques.

→ Plus généralement, les traitements du cancer sont synonymes de fatigue, cernes, peau terne, variations de poids… Des astuces de maquillage permettent de minimiser ces répercussions esthétiques du cancer.

Le lymphœdème

Définition

Également appelé syndrome du gros bras, le lymphœdème est une complication du curage axillaire. Il correspond à l’accumulation de lymphe au niveau de l’aisselle à la suite de la section des canaux lymphatiques. Le lymphœdème apparaît parfois plusieurs semaines, voire plusieurs années après la chirurgie. Il peut s’installer de façon chronique si le bras est resté immobilisé et les consignes n’ont pas bien été observées. C’est parfois l’infection des vaisseaux lymphatiques, ou leur rupture suite à un mouvement brusque, qui déclenche l’accumulation de lymphe.

Le syndrome du gros bras est une complication courante de la chirurgie axillaire, qui pénalise la qualité de vie de la femme souvent très longtemps après l’intervention. Il est souvent mal vécu car il perpétue le souvenir des traitements au moment où la femme voudrait enfin classer cet épisode douloureux.

Que faire ?

Dans les cas légers, des exercices d’élévation du bras permettent de le résorber rapidement. Dans les cas plus compliqués, l’élévation du bras soulage temporairement. Le drainage lymphatique manuel permet de faciliter la circulation de la lymphe et son évacuation. Il doit être associé au port d’un article de compression pour être plus efficace. Il est important de démarrer les exercices du bras et le drainage sous le contrôle d’un kinésithérapeute, pour éviter les mauvais gestes. L’exercice physique doux (marche, flexions, rotations…) fait aussi partie des mesures pour prévenir ou traiter le lymphœdème car la contraction musculaire active la circulation lymphatique. Le rappel constant des attitudes à proscrire et à adopter permet de minimiser le risque. L’infirmière doit être particulièrement attentive aux gestes, tels que prise de sang, injections ou prise de tension, qui ne doivent en aucun cas être réalisés sur le bras adjacent au sein opéré.

→ À proscrire : toute activité majorant le risque infectieux et inflammatoire (blessures, piqûres ou égratignures au niveau de la main ou du bras). Charges lourdes à bout de bras, sac à l’épaule, mouvements brusques ou répétitifs, bijoux serrés, exposition au soleil ou à la chaleur, position de repos qui écrase le bras, jardinage sans gants.

Question de patient

Depuis que j’ai commencé les rayons, j’ai des rougeurs cutanées, dois-je prendre des précautions ?

Il est possible que ce soit une radiodermite, une réaction cutanée à la radiothérapie. Prévenez le médecin. En attendant, évitez les bains et préférez les douches en veillant à ne pas effacer les marquages au niveau de la peau. Utilisez des produits d’hygiène doux en évitant les produits parfumés et alcoolisés qui dessèchent. Portez des vêtements amples, un soutien-gorge en coton sans armature. Surtout, pas d’exposition solaire, idem dans l’année qui suivra les rayons. Si vous vous baignez, utilisez une crème haute protection et mettez-vous à l’ombre rapidement. Ne vous épilez pas si possible ou bien utilisez un rasoir électrique. Des crèmes adoucissantes sont possibles après l’avis de votre radiothérapeute.

Point de vue…

L’arrêté de 2004 a freiné l’essor de la CAD

Dr Nathalie Fabié, pharmacien du réseau Oncolor (réseau régional de cancérologie de Lorraine)

« L’arrêté du 20 décembre 2004 fixe les conditions d’utilisation des anticancéreux injectables. La chimiothérapie à domicile (CAD) n’a pas attendu 2004 pour exister, de nombreux établissements avaient développé des circuits de soins pour la proposer comme alternative à l’hospitalisation. Mais elle fonctionnait mieux avant l’arrêté, qui a alourdi les démarches administratives et a levé des interrogations insolubles, notamment sur l’élimination des déchets d’activité de soins. Certaines molécules ne sont pas externalisables car leur durée d’administration est incompatible avec l’exercice des Idels qui, selon l’arrêté, doivent être présentes sur toute la durée de perfusion. De plus, cette nouvelle activité n’a pas été accompagnée de financement particulier, tant pour les établissements de santé que pour les acteurs libéraux susceptibles d’intervenir, ce qui ne favorise pas son développement. Il faut tout de même noter que les quelques établissements qui ont mis en place la CAD, avec les contraintes de cet arrêté, ont des résultats très positifs, tant sur le versant patient que sur celui des acteurs libéraux qui s’y impliquent. »

Point de vue…

La consultation de surveillance clinique

Sylvie Persem, infirmière libérale à Pau (64)

« Avec quelques collègues, nous avons proposé aux oncologues de Pau de mettre en place un protocole de surveillance à domicile pour patients sous chimiothérapie orale. L’idée est de passer une fois par semaine pour une consultation infirmière de 30 minutes, afin de surveiller les paramètres et prévenir les complications. C’est aussi l’occasion de faire de l’éducation thérapeutique : réexpliquer les consignes sur la prise des médicaments, prodiguer des conseils pour gérer au mieux les effets secondaires, répondre aux questions sur le protocole de soins, etc. Bien qu’il corresponde à une cotation [ndlr. AIS 4], ce type de consultation est trop peu utilisé car méconnu. Nous en avons pris conscience au cours d’une formation dispensée par l’Afic*. Mais les médecins à qui nous en avons parlé ont réagi très positivement. Réfléchir au protocole de surveillance, contacter l’hôpital ?: cela représente un investissement que nous prenons sur notre temps personnel. Mais, au final, le travail en équipe apporte un soutien et une vraie satisfaction professionnelle. »

* Afic : Association française des infirmières en cancérologie.

Où trouver les infos pratiques ?

De nombreux forums se sont créés sur Internet, à l’initiative d’associations comme Les Essentielles, les Impatientes, Europa Donna. Pour partager ses expériences, libérer la parole, échanger les bonnes adresses, etc.

Des associations organisent des ateliers dédiés à l’esthétique et au bien-être, en ville ou à l’hôpital. Parmi elles, citons les Ateliers de l’embellie à Paris et La vie de plus belle.

Le numéro azur Cancer Info Services (0810 810 821) fournit des informations pratiques, dont la liste des vendeurs de perruques adhérents à sa Charte d’engagement.

Vous retrouverez tous les liens Internet dans la partie Savoir plus page 44.