La loi met les soignants sous tutelle - L'Infirmière Libérale Magazine n° 273 du 01/09/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 273 du 01/09/2011

 

PSYCHIATRIE

Actualité

RÉFORME > Depuis le 1er août 2011, les conditions de prise en charge sans consentement des patients en psychiatrie sont modifiées. La loi institue le contrôle du juge des libertés et de la détention, et élargit la notion de soins sous contrainte en ambulatoire.

Les modalités de prise en charge sous contrainte des patients en psychiatrie sont modifiées. La loi du 5 juillet 2011(1), applicable depuis le 1er août, prévoit tout d’abord une « période d’observation et de soins initiale » de 72 heures en hospitalisation complète pour les personnes souffrant de troubles mentaux et ne pouvant consentir aux soins en raison de ces troubles. Où la loi de 1990(2) ne prévoyait que des mesures d’hospitalisation complète, la nouvelle législation instaure aussi la mise en place d’un “programme de soins” contrôlé par l’administration. Il peut s’agir d’une hospitalisation à temps partiel (de nuit, de jour…), de soins à domicile, de consultations en ambulatoire ou d’activités thérapeutiques. « Les programmes de soins s’appuient sur un dispositif existant qui était proposé lors des congés d’essai des patients antérieurement hospitalisés sous contrainte », remarque Isabelle Montet, psychiatre au Centre hospitalier interdépartemental de Clermont-de-l’Oise (60) et secrétaire général du Syndicat des psychiatres des hôpitaux (SPH). Autre nouveauté, en cas d’impossibilité de recueillir une demande d’hospitalisation auprès d’un tiers (membre de la famille ou personne agissant dans l’intérêt du patient) et en présence d’un péril imminent pour la santé de la personne constaté par un certificat médical, le directeur de l’hôpital peut prononcer la décision d’admission. Enfin, la loi prévoit un contrôle des hospitalisations complètes par le juge des libertés et de la détention.

Contrôle administratif

Depuis son annonce, cette réforme ne cesse d’être contestée. Aujourd’hui encore, des personnalités de tous bords font entendre leur réprobation à un texte jugé « liberticide » et contre-productif. De leur côté, les équipes de psychiatrie, déjà démunies, se débattent avec les nouvelles dispositions.

L’accompagnement de pa-tients au tribunal, alors que certains sont encore en crise moins de quinze jours après leur admission à l’hôpital, prive temporairement les services des effectifs masculins et pose des problèmes de responsabilité. Car, si la loi prévoit la possibilité au juge d’auditionner le patient en visioconférence ou de se déplacer jusqu’à l’hôpital, ces mesures sont difficilement applicables. Les médecins signalent que la visioconférence est contre-indiquée pour des patients incapables d’entrer en relation avec l’autre et qui ont décroché de la réalité. Tandis que certains juges déjà lourdement sollicités font savoir qu’ils ne peuvent pas envisager de se rendre à l’hôpital pour les audiences.

Si l’intervention du juge est reconnue par les professionnels comme une garantie supplémentaire pour les patients, l’intrusion de l’État dans les modalités de soin est perçue comme inadaptée par de nombreux professionnels, et uniquement guidée par la recherche du moindre risque. Auparavant, le patient en congés d’essai restait lié à l’hôpital par l’obligation de soins et, s’il refusait le suivi qui lui était proposé, le psychiatre pouvait organiser une visite au domicile du patient, le convoquer par téléphone ou organiser sa réhospitalisation sous contrainte. « Le psychiatre réagissait en fonction de la personne et de son état, et pas seulement au manquement à un dispositif administratif. La nouvelle loi transforme le contrat tacite entre le médecin et le patient en un contrat administratif », explique Isabelle Montet. « Aujourd’hui, la loi ne précise pas clairement la conduite à tenir en cas de manquement au programme de soins, constate la psychiatre. Ce flou donne a priori la décision au médecin, mais la jurisprudence devra se prononcer sur ce point. » Le contrôle de l’administration s’immisce aussi dans les sorties de courte durée, de moins de douze heures. Elles contribuaient en cela au projet de réhabilitation sociale du patient, l’un des fondements du soin en psychiatrie. Elles sont désormais remplacées par des sorties accompagnées par un soignant, une personne de confiance ou un membre de la famille, « alors que tous les patients ne bénéficient pas d’un tel entourage familial ou social », rappelle la psychiatre. De plus, ces sorties de courte durée sont dorénavant conditionnées à une demande du psychiatre auprès de la direction de l’hôpital ou du préfet effectuée 48 heures avant la date prévue pour la sortie. Alors que l’ancienne législation permettait à un médecin d’autoriser le jour même un patient à accompagner ses parents venus le chercher pour une sortie ou un repas en famille.

Des libérales sollicitées

« Tant que le secteur a les moyens de fonctionner, les Centres médico-psychologiques (CMP) assurent le suivi à domicile. En cas de difficultés, les Agences régionales de santé (ARS) pourraient décider d’impliquer les infirmières libérales dans le suivi du “programme de soins”, comme cela s’est fait pour les psychiatres libéraux ou les cliniques psychiatriques privées », relève Isabelle Montet. Or, pour Philippe Sarlat, infirmier spécialisé en soins psychiatriques dans un cabinet libéral à Tarbes (65), « il est important de reconnaître toute la difficulté et l’investissement que demandent ces prises en charge (patient opposant, absent, en décompensation…) ». Actuellement, l’Assurance maladie ne reconnaît que la délivrance des thérapeutiques avec la surveillance des effets indésirables pour 3,15 euros brut. L’infirmier estime nécessaire de « considérer un travail d’éducation thérapeutique avec un patient parfois dans le déni de sa pathologie, et un accompagnement en vue d’une réhabilitation qui nécessite des visites régulières », et suggère une meilleure coordination avec les CMP.

(1) Loi du 5 juillet 2011, relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge, entrée en vigueur le 1er août.

(2) Loi du 27 juin 1990, relative aux droits des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions d’hospitalisation, qui s’appliquait jusqu’alors.

Le contrôle du juge des libertés et de la détention (JLD)

En rappelant que « nul ne peut être arbitrairement détenu. [Et que] l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe », le Conseil constitutionnel a considéré que les hospitalisations sans consentement en psychiatrie représentent une atteinte à la liberté individuelle qui ne peut être décidée que par l’ordre judiciaire. C’est désormais chose faite depuis le 1er août et la mise en place du contrôle par le juge des libertés et de la détention. Précisons toutefois que le contrôle du juge ne s’applique qu’aux hospitalisations complètes :

– avant l’expiration du 15e jour à compter de l’admission, puis à l’issue de chaque période de 6 mois ;

– 1er contrôle dans les 6 mois après une décision d’hospitalisation ordonnée par un tribunal ;

– le défaut de contrôle du juge avant l’expiration des délais conduit à une mainlevée de la mesure d’hospitalisation.