Une voix qui soulage les malades d’Alzheimer - L'Infirmière Libérale Magazine n° 271 du 01/06/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 271 du 01/06/2011

 

Lina Braunschweig, psychothérapeute et femme de radio, créatrice de la méthode Voix d’or à Lyon (69)

La vie des autres

Des programmes audio pour soulager le quotidien des malades d’Alzheimer, c’est la formule concoctée par Lina Braunschweig et son équipe. Pour ce faire, elle a combiné deux facettes professionnelles : radiophonique et thérapeutique.

Un petit poste trône sur la table, trois patients souffrant de la maladie d’Alzheimer sont assis à proximité. « Vous êtes la mère, la maman […]. Le dimanche ça n’existe pas… Le dimanche, c’est votre plus grosse journée. Vous avez tout le monde dans les pattes… », c’est ce que diffuse un programme audio dans cette salle de l’unité spécialisée de l’hôpital des Charpennes (Centre de mémoire, de ressource et de recherche du CHU de Lyon).

Depuis mai dernier, l’unité dirigée par le Pr Pierre Krolak-Salmon, évalue de façon clinique la méthode audio intitulée Voix d’or.

Du cœur face à la maladie

Voilà deux ans que Voix d’or est élaborée par une équipe d’une dizaine de professionnels de la production radiophonique pour les personnes du grand âge et/ou atteintes de la maladie d’Alzheimer ou pathologies apparentées. Le concept qui sous-tend la formule est l’œuvre de Lina Braunschweig, psychologue de formation et installée en libéral sur Lyon. « Dans ma famille, je suis la première de cinq générations de femmes à dépasser la cinquantaine sans souffrir de la maladie d’Alzheimer », constate-t-elle. Afin de construire son projet, elle n’a pas hésité à s’armer d’un DIU en alzheimerologie dispensé par le Pr Louis Ploton, psychiatre gérontologue incontournable du domaine. « Lorsque je lui ai présenté le projet de Voix d’or, il l’a qualifié d’outil intelligent », apprécie Lina Braunschweig. Depuis vingt ans, le spécialiste prône la bientraitance. « Ces patients ont des compétences affectives, ils participent à la prise de décisions », défend-il. Le professeur ne pouvait que saluer une démarche concrétisant ses théories. Ainsi, grâce au soutien du laboratoire de psychologie de Lyon 2, Voix d’or est née.

Radiophonie spécialisée

La méthode Voix d’or est aujourd’hui constituée de programmes audio originaux répartis entre activités de loisir, ateliers de mémoire et temps calmes. Six heures de contenu sont réparties en sept rubriques : éphéméride, jeux musicaux, poésie de la nature, gymnastique douce… « Les thèmes sont renouvelés mensuellement, notamment en fonction des saisons », explique la voix, chaude et claire de la conceptrice. Une voix qui trahit trente ans de carrière radiophonique, sur une célèbre radio parisienne. Un savoir-faire qu’elle met en œuvre dans la réalisation des programmes. Le ton employé est limpide, rassurant et chaleureux, sur un rythme assez lent. Et des bruitages sont abondamment utilisés. Pour garantir la qualité d’écoute, le poste est fourni. Les programmes quant à eux sont enregistrés sur une carte SD et envoyés chaque mois aux abonnés.

« Au fil des évolutions, Voix d’or est devenue une véritable source d’activation de la mémoire émotionnelle pour les personnes âgées, convient Lina Braunschweig. C’est d’abord l’occasion de parler d’autre chose que du temps qu’il fait ou de la prescription. » Les patients souffrant d’Alzheimer se reconnectent à leurs souvenirs. « C’est le principe de la madeleine de Proust, définit la thérapeute. Pour ceux qui n’ont plus accès à la parole, comme c’est le cas de ma sœur, on s’aperçoit que, sur une séance de relaxation, la respiration change de rythme ou bien c’est une main paralysée qui se détend, un regard qui s’allume… et les patients s’apaisent. De toute façon, l’important n’est pas de comprendre, mais d’accueillir. » Toutefois, des sujets apparemment anodins peuvent réveiller des souvenirs traumatiques chez les patients, comme cela a été le cas pour des patients de l’Unité cognitivo-comportementale (UCC) (cf. encadré ci-dessous) de Lyon : l’évocation du festival de Cannes s’est avérée pour eux liée à la Seconde Guerre mondiale…

Réveiller les émotions

En préambule, le personnel encadrant participe à une journée de formation. « Sans quoi, nous nous sommes rapidement aperçus que le poste était parfois branché à la façon d’un téléviseur… Nous abordons le réveil des émotions et nous dédramatisons », explique la psychologue. Enfin, un livret de fiches techniques accompagne les programmes mensuels.

Actuellement, Voix d’or réfléchit au développement possible en direction des particuliers par téléchargement, selon les affinités de chacun. D’ores et déjà, la méthode est expérimentée en partenariat avec l’Ircem, groupe de protection sociale des emplois familiaux, chez une centaine de volontaires à domicile.

Elle dit de vous !

« Les soignants libéraux, et pourquoi pas les infirmières, peuvent parfaitement acquérir la méthode Voix d’or et s’en servir au cours de leur tournée en accompagnement d’un soin délicat ou douloureux, alors qu’elles administrent les médicaments. C’est un support gai et vivant fait pour réveiller la mémoire émotionnelle de tous (soignants/soignés). Or la personne a souvent autant besoin de “soins relationnels” que de “soins médicaux”. Cette stimulation intellectuelle pourrait même un jour être considérée comme une aide au maintien à domicile des patients par les caisses d’Assurance maladie ou de retraites, comme peuvent le suggérer les négociations actuelles que nous menons avec l’Ircem. Le rôle du personnel soignant et accompagnant va devenir essentiel dans une politique de maintien à domicile des personnes âgées. Les professionnels doivent être préparés, formés, et aidés par des outils et des supports à la relation. C’est pourquoi je forme également les élèves de 3e année en Ifsi. »

ÉVALUATION CLINIQUE

Atelier à l’UCC des Charpennes

« La méthode est testée scientifiquement, au lieu de l’appliquer d’emblée, afin qu’elle puisse être utilisée en routine dans tout service », explique le Pr Pierre Krolak-Salmon. Sous l’expertise de Floriane Delphin, neuropsychologue de l’UCC, deux groupes de patients suivent un atelier de 30 minutes à raison de 10 séances sur 15 jours : l’un de Voix d’or et l’autre de jeux de société avec les soignants afin de constituer un groupe contrôle. L’évaluation, qui se déroulera durant une année, est quantifiée au moyen de 7 échelles (NPI-ES, MMSE, MADRS, HAS…) indiquant les variations de l’état d’anxiété, de la dépression, d’autres troubles du comportement et de la cognition… S’il est encore tôt pour des résultats avérés, les professionnels admettent découvrir leurs patients sous un jour nouveau et ces derniers retournent de bon cœur à la séance suivante, revenant sur les sujets qui y ont été évoqués.