Les escarres chez le patient âgé - L'Infirmière Libérale Magazine n° 270 du 01/05/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 270 du 01/05/2011

 

Prévention

Cahier de formation

Le point sur

Comme il a été rappelé lors des derniers Entretiens de Bichat, la prévention et le traitement des escarres chez le patient âgé appellent une prise en charge globale pluridisciplinaire. La prescription du pansement relevant le plus souvent d’un partenariat médecin-infirmière.

D’emblée, rappelons, comme l’ont défini les experts de la conférence de consensus en 2001, que « l’escarre est une lésion cutanée consécutive à une anoxie tissulaire par compression d’origine plurifactorielle »(1).

Ischémique, l’escarre (ou ulcère de décubitus) entraîne principalement douleur et infection. Elle est aujourd’hui considérée comme une affection nosocomiale. En termes d’épidémiologie, la fréquence des escarres demeure mal connue et très peu documentée, notamment en médecine ambulatoire (cf. encadré ci-dessous). « L’immobilisation et la dénutrition sont deux facteurs délétères qui nécessitent une prise en charge pluridisciplinaire globale préventive et thérapeutique, reposant sur une connaissance des supports de prévention, l’utilisation de nouveaux pansements et des objectifs nutritionnels à atteindre », ont ainsi rappelé le Pr Patrice Broker, responsable du pôle de gérontologie, et Françoise Mignolet, cadre de santé et responsable escarres, du CHU Cimiez de Nice, lors des derniers Entretiens de Bichat à Paris. À noter que nous reprenons ici, avec leur accord, l’essentiel de leur communi­cation.

Facteurs de risque

Différents facteurs de risques à l’origine de la formation d’escarres ont été répertoriés. Ainsi, la conférence de consensus de 2001 classifie les escarres selon trois situations.

L’escarre “accidentelle” entend ainsi la compression des parties molles conduisant à une baisse de la pression capillaire et à l’anoxie tissulaire, le cisaillement des plans sous-cutanés ainsi que la friction et macération des plans cutanés. Les escarres dites “neurologiques” et ”plurifactorielles” définissent quant à elles une immobilité due à des troubles moteurs ou de la conscience, la malnutrition protéino-énergétique, une neuropathie, le diabète avec complications dégénératives, la fragilité de la peau, le syndrome de glissement, les contentions physiques ou psychiques (par psychotropes), la fièvre et la déshydratation. Soulignons que « seules l’immobilisation et la dénutrition sont reconnues comme facteurs prédictifs par les experts », a indiqué le Pr Patrick Borcker.

Diagnostic et classification

L’escarre peut présenter des formes très différentes de gravité : une simple rougeur persistant plus d’une journée, une induration de la peau, une plaie plus ou moins profonde pouvant, dans les cas les plus sévères, atteindre les muscles ou l’os sous-jacent. De fait, « il est impératif pour tout clinicien de connaître ses différents stades afin de pouvoir appliquer un traitement local », ont indiqué les deux intervenants. Usuellement admise, et retenue par la Haute Autorité de santé (HAS), la classification reste celle du National Pressure Ulcer Advisory (NUAP) qui propose de classer l’escarre en quatre stades (cf. tableau ci-dessus). « Suite aux travaux des équipes de l’hôpital de Garches, cette classification s’est enrichie d’un stade 0, ainsi que des notions de nécrose sèche ou humide en stadeIII et de décollement, fistulisation et infection en stade IV », a précisé le Pr Brocker. Qui a ajouté, « qu’il [était] regrettable que la classification du NUAP ne tienne toujours pas compte des stades de cicatrisation comme le préconise l’échelle de Garches ».

Évaluation et échelles

« L’utilisation d’une échelle de risque associée à une évaluation clinique initiale permet de développer une stratégie de prévention adaptée, de former et de mobiliser les soignants et les aidants autour d’un projet de soins », ont insisté les deux intervenants. Dans cet esprit, ils préconisent d’utiliser « un outil commun du risque » dès le premier contact avec le patient – cet outil restant un indicateur de traçabilité et de qualité. L’échelle de Braden est celle recommandée par la HAS (cf. tableau page suivante). « Simple et facile d’utilisation, l’échelle de Braden prend en compte le statut nutritionnel du patient, contrairement à la très connue échelle de Norton », a conseillé le médecin.

Aide à la prévention

Une fois jugée, grâce à l’échelle de Braden et à l’examen clinique, la prévention de l’escarre passe par la réduction des points d’appui. Il faut ainsi soulager la pression par l’emploi de supports adéquats, sachant que les talons et le sacrum sont les zones les plus à risque. Aujourd’hui, au regard des indications, il existe différents types de matériels de prévention : matelas statiques ou dynamiques (cf. tableau page suivante), coussins en mousse, à mémoire ou à cellules pneumatiques ou encore des gouttières moulées en mousse évidée pour les talons. Le rôle de ces supports est de permettre une meilleure répartition des pressions exercées. Bien entendu, l’installation du patient reste primordiale. « Les soins de nursing permettent d’inspecter régulièrement les zones à risque. Autre règle fondamentale, le support, quelle que soit sa qualité, ne dispense pas des retournements réguliers », a insisté Françoise Mignolet.

Soins et traitements

« Le traitement de l’escarre comprend bien évidemment la prise en compte de l’état général du patient et la recherche de toute cause susceptible d’aggraver ou de ralentir la guérison des escarres », a développé le Pr Patrick Brocker. Il a ajouté : « Une attention toute particulière doit concerner la prise en charge de la douleur, facteur de mauvais soins. À noter l’aide très intéressante de l’utilisation de technique comme le Meopa chez les patients très âgés et les patients atteints de la maladie d’Alzeihmer. Le traitement chirurgical est plus rarement indiqué chez les patients âgés, mais devant des plaies qui ne cicatrisent pas, un avis chirurgical et une mise à plat de la plaie peuvent modifier complètement la donne. C’est dans ce cas que la thérapeutique par pression négative (TPN) peut être utilisée, en sachant qu’il est préférable d’utiliser du matériel ambulatoire, le but n’étant pas de “laisser le malade sur son escarre”. »

Le traitement local ne se résume pas à cette simple question : quel pansement pour quelle plaie ? Comme déjà évoqué, il nécessite de connaître les stades de gravité de l’escarre, leurs complications et les différentes classes de pansements utilisables.

Des notions de bon sens – comment mobiliser le patient, comment contrôler la continence, comment assurer l’hygiène – sont autant d’objectifs de soins incontournables.

Les principes actuels de la cicatrisation des plaies sont de contrôler l’humidité, soit en apportant de l’humidité si la plaie est sèche, soit d’en diminuer l’excès en veillant à respecter l’écosystème bactérien en évitant l’utilisation systématique d’antiseptique et, surtout, d’interdire tout antibiotique local. La prescription du pansement relève très souvent d’un partenariat médecin-infirmière, selon le stade, l’état de la plaie, en respectant la compatibilité et le temps d’application avec l’objectif, pour le soignant, de traquer et traiter la douleur.

Penser avant de panser

Aujourd’hui, différents types de pansements(2) sont à disposition des soignants en fonction de leurs caractéristiques et de celle de la plaie, comme le montre le tableau ci-dessous.

« L’érythème est rapidement répressif si l’on supprime les facteurs de pression avec la mise en place des mesures de prévention », a indiqué le cadre de santé. Au stade II du phlyctène, le principe est d’inciser la bulle pour évacuer le liquide. Si le contenu est hémorragique, le toit de la bulle doit être découpé avec l’application d’un hydrocolloïde. Au stade de la détersion (stade III), il est indispensable d’éliminer les débris nécrotiques et de limiter les risques infectieux. Cette détersion manuelle se fait à l’aide d’un bistouri et la détersion autolytique s’effectue à l’aide d’un hydrogel en cas de nécrose sèche et d’une hydrofibre, d’un alginate ou d’un hydrocellulaire en cas de plaie exsudative. « En phase de bourgeonnement et en fonction de l’état de la plaie – profondeur, localisation, peau péri-lésionnelle – un hydrocolloïde, un hydrocellulaire, un alginate, un hydrofibre, un tulle ou une interface peuvent être utilisés », a expliqué le Pr Patrick Brocker. L’hyperbourgeonnement sera quant à lui contrôlé par un dermatocoïde pendant 5 à 10 jours. En phase d’épithélisation, le milieu humide doit être maintenu avec un hydrocolloïde mince, un tulle ou une interface. « Le suivi de la plaie en utilisant une fiche assure la traçabilité des soins. Si la plaie stagne ou s’aggrave malgré les soins bien conduits, l’avis d’un spécialiste peut être nécessaire », ont souligné les intervenants.

Nutrition et escarre

« La conférence de consensus de 2001 a insisté sur l’importance de la dénutrition en tant que facteur de risque et de pérennisation des escarres chez le sujet âgé. En 2007, une autre conférence de la HAS sur la prise en charge de la dénutrition chez le sujet âgé propose une stratégie thérapeutique »(3), a rappelé le médecin.

Dans le cadre des escarres, en particulier aux stade III et IV, la dénutrition est très souvent mixte : à la fois exogène par carence d’apport et endogène du fait d’un processus catabolique lié à la plaie, tandis que les besoins nutritionnels sont particulièrement considérables chez des patients très souvent à tendance anorexique. Les objectifs nutritionnels représentent des apports énergétiques de 30 à 40 kcal/kg/j associés à des apports protidiques compris entre 1,5 g à 2 g/kg/j. « L’évaluation nutritionnelle, en particulier le pourcentage de perte de poids, l’indice de masse corporelle et l’albuminémie associée à la protéine C-réactive sont des indicateurs de diagnostic et de suivi », a poursuivi le médecin. Les modalités de prises en charge nutritionnelles restent en priorité la voie orale par un enrichissement de l’alimentation et l’utilisation de compléments nutritionnels hypercaloriques, hyperprotéiques, éventuellement associés à des nutriments pharmaco-azotés. L’utilisation de la sonde gastrique ne peut s’envisager qu’avec l’accord du patient et en fonction de son état. En cas d’escarre en fin de vie, la sonde gastrique n’est pas recommandée par les experts. « La prise en charge nutritionnelle doit être à la fois préventive et curative », a conclu Françoise Mignolet.

(1) Conférence de consensus en 2001. Texte téléchargeable sur le site www.has-sante.fr.

(2) Lire aussi notre Memento de la prescription infirmière paru avec L’ILM n° 265.

(3) Recommandations, avril 2007 : stratégie de prise en charge en cas de dénutrition protéino-énergétique chez la personne âgée. Texte téléchargeable sur le site www.has-sante.fr.

Épidémiologie de l’escarre

Mal connue, tout particulièrement en médecine ambulatoire, la fréquence des escarres a été mieux étudiée en médecine institutionnelle et montre de grandes différences de prévalence en fonction du type de service étudié : on note une incidence variant de 1 à 15 % en médecine gériatrique aiguë, de 10 à 20 % en services de soins de suite et de réadaptation, et pouvant atteindre jusqu’à 70 % en Ehpad. Cette incidence augmentant avec l’âge et avec certaines pathologies.