Grève du piqué - L'Infirmière Libérale Magazine n° 270 du 01/05/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 270 du 01/05/2011

 

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LUTTE > Amorcé l’année dernière par le Sniil, le débat autour de la réforme de la biologie médicale ne cesse d’agiter les discussions entre infirmiers et biologistes. Dernièrement, l’affrontement est monté d’un cran avec une grève des prélèvements initiée par la FNI.

À l’heure où nous bouclons notre magazine, les discussions vont bon train au Sénat pour écrire une nouvelle page de la réforme de la biologie médicale (voir encadré ci-contre). Il faut dire que l’ordonnance du 13 janvier 2010 portant réforme ne cite pas les cabinets d’infirmiers libéraux parmi les lieux de prélèvements autorisés. Une disposition qui avait fait bondir l’an dernier plus d’un infirmier et déclenché une vague de mécontentement du côté des syndicats, Sniil en tête. Et aussi suscité de nombreuses craintes : les infirmiers libéraux seront-ils encore autorisés à prélever, au lit du patient ou dans leur cabinet, et si oui, dans quelles conditions ? Une bataille s’est alors engagée pour faire bouger les choses et réintégrer les cabinets infirmiers dans le processus pré-analytique. Ainsi, en mars de cette année, lors de l’examen de la loi de bioéthique à l’Assemblée nationale, le texte de l’ordonnance a purement et simplement été abrogé, « au nom du bon sens » : un message perçu par Annick Touba, présidente du Sniil, comme un signe d’apaisement. Mais qui a déclenché le courroux des principaux syndicats de biologistes : ils ont à leur tour manifesté leur mécontentement en pointant du doigt le prélèvement infirmier « soumis à des critères qualité moins stricts que les laboratoires de biologie ».

Diverses problématiques

Une petite phrase reçue comme une agression par la FNI et son président, Philippe Tisserand, qui a appelé en retour la profession à faire grève des prélèvements dès le 11 avril, date choisie en fonction du calendrier législatif : « Si nous faisons grève des prélèvements pendant la semaine d’examen des textes au Sénat, notre action aura davantage de poids », appuie-t-il. Car, au contraire du Sniil qui estime que le cabinet de Xavier Bertrand a donné suffisamment de signes positifs, la FNI reste sur sa faim : « Nous souhaitons que toutes les promesses données par le ministre soient inscrites dans la loi et nous voulons que le terme de cabinet infirmier figure parmi les lieux de prélèvements », assène Philippe Tisserand. Mais, au-delà de cette problématique, ce qui fâche encore plus les infirmiers grévistes, c’est la question de l’accréditation : « On nous demande d’être complètement soumis à l’autorisation des biologistes pour effectuer nos prélèvements, mais cela nous retire toute indépendance dans l’exercice de notre profession », déplore Nicole, infirmière en Charente. Une crainte que Philippe Tisserand explique : « La procédure d’accréditation telle qu’elle existe actuellement pour les laboratoires et à laquelle les biologistes veulent nous soumettre est beaucoup trop complexe pour la phase pré–analytique. Il est évidemment nécessaire que de telles procédures existent, mais pas sous cette forme. La Cofrac* n’est pas adaptée à notre exercice, elle l’est plus pour le monde industriel. ». « Faux », rétorque François Blanchecotte, président du Syndicat des biologistes (SDBIO), qui rappelle que la Cofrac est une norme dédiée à la santé humaine.

Il n’empêche, les infirmiers ne voient pas d’un bon œil cette intrusion : « Même si nous avons de bonnes garanties du ministère au sujet de la réforme, nous restons vigilants sur le volet de cette accréditation », souligne Annick Touba, qui ne trouve pas la formule adaptée au mode d’exercice infirmier.

Des discussions à suivre

Reste à attendre ce qu’il va advenir du texte de l’ordonnance. Abrogé dans une première version de la loi bioéthique proposée par l’Assemblée nationale (via un amendement), le texte est de nouveau apparu après son passage en Commission des affaires sociales. Avec une précision intéressante pour les infirmiers : les points sujets à débat, et notamment la place des cabinets infirmiers dans la phase pré-analytique, pourront faire l’objet d’un réajustement par décret. Un point que le ministre de la Santé avait déjà confirmé devant le Centre national des professions libérales de santé (CNPS) le 17 mars. Le problème semble donc sur la voie d’une solution satisfaisante pour tous. Restera à régler la question de l’accréditation : le clap de fin ne semble pas pour demain.

*Comité français d’accréditation, qui accrédite spécifiquement les laboratoires d’analyses médicales.

2 questions à…

François Blanchecotte, président du syndicat des biologistes

Devez-vous faire face à un surcroît d’activité des laboratoires ? Aux premiers jours de grève, nous n’avons pas constaté de pic d’activité sur les prélèvements. Concernant l’action de la FNI, je suis tout à fait scandalisé : je suis un homme de dialogue et j’accueille très mal cet appel à la grève. Les décisions qui ont été prises concernant la biologie médicale ne sont pas de notre fait, ce sont des décisions de l’État : par le biais de ces textes, c’est la médicalisation de l’acte analytique qui est reconnue. Et nous, en tant que biologistes, sommes garants de l’analyse, de son interprétation, mais aussi de la qualité du prélèvement.

Que répondez-vous aux infirmiers – et plus précisément à la FNI – qui redoutent la mainmise des laboratoires sur l’indépendance des Idels ?

Je souhaiterai juste préciser que nous, laboratoires, avons à répondre à des normes pour prélever, normes que nous respectons. Nous devons également être garants de la bonne réalisation des prélèvements pour une analyse en totale adéquation avec ces normes. Or, dans la phase pré-analytique, nous constatons que 80 % des erreurs rencontrées viennent de la phase de prélèvement. Nous souhaitons donc que les infirmières soient soumises à ces mêmes normes, dans un souci d’harmonisation des procédures : il est inconcevable qu’un process ne soit pas le même pour tous. Ces constats limitent donc les possibilités.

Pas simple à suivre !

La réforme de la biologie médicale suit un chemin tortueux à travers les méandres législatifs. En 2005, Xavier Bertrand, alors ministre de la Santé, missionne l’Igas pour étudier la question. En 2008, sous le ministère de Roselyne Bachelot, ce travail aboutit à la mission Ballereau, chargée de faire des propositions sur la modernisation de la biologie médicale. Conjointement, la loi HPST adoptée en 2009 autorise le gouvernement à réformer la biologie médicale par voie d’ordonnance. Et le 13 janvier 2010, l’ordonnance qui fait tant débat voit le jour. En 2011, la réforme se corse : l’examen de la loi bioéthique propose une abrogation de l’ordonnance tandis qu’en parallèle, la proposition de loi Fourcade s’attelle à aménager certaines dispositions de la loi HPST, dont dépend l’ordonnance. Pas si simple.

EN CHIFFRES

→ 70 % des prélèvements biologiques réalisés à domicile (sang, urine, selles, crachat, sécrétion, liquide d’épanchement) seraient effectués par des Idels d’après les chiffres de la FNI.

→ 3 836 laboratoires privés d’analyses biologiques se partagent le reste de l’activité de prélèvement.

→ Une prise de sang est facturée 4,73 euros à l’Idel, majorée des indemnités de transports.

→ Un prélèvement par ponction veineuse directe est coté 1,5 AMI, tandis que les autres types de prélèvements (cutané, selles, urine) sont cotés 1 AMI.