Une infirmière sachant chasser - L'Infirmière Libérale Magazine n° 267 du 01/02/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 267 du 01/02/2011

 

SOMME (80)

Initiatives

Cinq mois par an, Martine Pion troque sa mallette d’infirmière pour une paire de jumelles et un fusil. Sa passion, qu’elle partage en famille, c’est la chasse au gibier d’eau sur les étangs de la côte picarde. Le reste du temps, elle contribue au rayonnement de l’Association nationale de la chasse au féminin qu’elle a créé il y a onze ans.

Le mercredi, la tournée du soir prend une saveur particulière pour Martine Pion. Du 10 août au 31 janvier, elle sait qu’elle rejoindra ensuite sa famille pour chasser. En attendant, elle assure ses dernières visites. Aucun patient ne semble ignorer le programme nocturne de l’infirmière, pas plus que les dates de la période de chasse au gibier d’eau. À Bethencourt-sur-Mer (1 000 habitants), la construction par la mairie d’un terrain de pétanque a même été perçue d’un drôle d’œil : tenterait-on de les détourner du sport traditionnel ? Ici, on est chasseur de père en fils et, depuis quelques temps, également de mère en fille.

Développer la chasse familiale

Martine passe tous les jours devant la ferme où elle a grandi, en rendant visite à Michèle. « C’était ma voisine, elle a arrêté il y a peu l’élevage de pointers, une race de chiens sublimes. » Sa patiente se souvient avec plaisir de ses parties de chasse : « J’étais tellement fière de porter le carnier ! Et même si cela pesait bien lourd, je n’aurais laissé à personne d’autre la chance de ramener les bêtes que mon père et mon mari avait tirées. » Changement d’époque, maintenant « les femmes ne sont plus accompagnatrices ou cantinières, elles ont le fusil sur l’épaule », glisse Martine. Et, là-dessus, elle en connaît un rayon. En effet, depuis septembre 1999, elle est la présidente – et fondatrice – de l’Association nationale de la chasse au féminin (ANLCF). « Dans les réunions de chasseurs où j’accompagnais mon mari, mais aussi dans les manifestations, les hommes prenaient toujours la parole. Pourtant, le verbe chasser ne se conjugue pas qu’au masculin. » Pas de conclusion hâtive, Martine Pion n’est pas une militante féministe. « Féministe, pas du tout ! Mon objectif est simplement de développer la chasse familiale et la convivialité. Toutes les fédérations de chasse tentent de rajeunir leurs effectifs. Les féminiser, en encourageant les femmes à passer leur permis chasse, c’est une étape à laquelle ils n’auraient pas pensé tous seuls. Je ne me lance pas dans un combat pour la place des femmes dans la société, mais pour davantage de mixité. La chasse a besoin d’être démocratisée et surtout expliquée pour être comprise… Et les femmes le font très bien ! », s’amuse-t-elle.

Martine a donc grandi dans une ferme, entourée des animaux élevés par ses parents. « Je regardais avec beaucoup d’attention les juments mettre bas, dont certaines par césarienne. » Et puis, très tôt, il lui revient de « faire les piqûres de ma mère, pour rendre service ». Elle décroche son diplôme d’infirmière en janvier 1979 à Amiens, “promotion 1976”. « Je n’avais que 21 ans mais pour moi, c’était clair : je voulais exercer en libéral, j’étais très sûre de moi. » Pourtant,lorsqu’elle fait la tournée des cabinets du secteur pour se présenter, l’accueil est plutôt frais… « Les autres libérales m’ont dit que je ne percerais jamais. Je mettais en péril leurs petits arrangements et découpages entre les communes rurales de Ault, Bois-de-Cise, Friville-Escarbotin, Woincourt, etc. ». Quelques remplacements plus tard, elle s’installe quand même sur Béthencourt. « Quand je me suis installée, pas de dimanche pendant deux ans. Ma hantise était de tomber malade, se souvient-elle. Depuis, je retrouve souvent les autres infirmières dans les sessions de formation sur Alzheimer et on s’entend bien. » Dans son cabinet, elle travaille avec deux remplaçantes, « sans quoi j’aurais du mal à trouver du temps pour l’association ».

La relève assurée

Dernière visite au bout d’une cour pavée, où trois générations sont réunies autour du poêle. Pendant que Martine soigne la grand-mère, la petite Léonie, 6 ans, récite la poésie qu’elle présentera le lendemain à l’école. Recevoir ce soir la présidente “des chasseuses” et avoir sa photo dans le dernier bulletin de l’ANLCF, c’est du bonheur pour la petite, déjà en pyjama… « Notre plus jeune recrue ! », encourage Martine. « J’accompagne mon papa au piégeage et en plaine et, l’hiver, on donne du grain aux oiseaux. Quand on va à la chasse, je reste bien derrière papa. On croise des perdrix, des lièvre, des renards… », et sa liste est longue, éclipsant bien vite la poésie.

Le soleil se couche, il est temps pour Martine d’aller chercher sa fille, Alice, qui l’attend devant la pharmacie où elle finalise sa formation de préparatrice. « Ma fille a passé son permis chasse à 15 ans. J’y vois la preuve de l’émancipation féminine par rapport aux loisirs. Moi, la chasse m’est tombée dessus tardivement, raconte l’infirmière. C’est mon mari qui m’a encouragée à passer mon permis, que j’ai décroché du premier coup en 1992. Croyez-moi, je serais morte de honte le lendemain devant mes patients si j’avais échoué ! » Le fait d’avoir emmené Alice dès ses premiers mois, en couffin, dans la hutte y est sans doute aussi pour quelque chose. Grimpée dans le 4×4, celle-ci se présente déjà, à 25 ans, comme « déléguée de l’association nationale de chasse au féminin pour la Somme ». La relève est assurée ! Bref passage à la maison, située en bordure de bois, pour chausser des bottes et enfiler de gros pulls.

Le mari de Martine, Alex, est déjà à la hutte dite “des quatre chalets” en bordure du Hâble-d’Ault. Petite cabane à demi enfouie dans la terre, la hutte est percée d’une ouverture horizontale tournée vers l’étang. Derrière l’étang, on devine à l’odeur la mer, cachée derrière une digue de galets. Pour l’instant, la “fenêtre” de la hutte est fermée par un abattant. Avant toute chose, le repas. La famille s’installe autour de la table dans la partie cuisine autour d’un pâté picard ou ’bisteu“, sorte de tourte à la pomme de terre. « C’est le soir de la semaine où on passe du temps ensemble. Pas de gibier dans les assiettes, s’amuse Martine, même si j’aime beaucoup cette viande peu calorique. L’an dernier, au Salon de la chasse de Rambouillet, j’ai rencontré des chefs passionnés qui diffusent des recettes toutes simples pour cuisiner cette belle viande. On organise des journées “venaison” [ndlr. : Viande de gibier] pour rappeler qu’il faut la congeler sans les plumes, comment la découper, etc. »

Son mari, Alex, exerce lui aussi d’importantes responsabilités dans les fédérations des chasseurs de la Somme et de Picardie. Il est très fier de l’engagement de son épouse, même s’il ne partage pas les mêmes rêves de chasse… « En février 2009, je me suis rendue au Burkina avec sept autres adhérentes. Une sacrée expérience : on avait un pisteur et des conditions de chasse qu’on ne connaît pas chez nous, d’autres espèces de petit gibier… Je n’ai envie que d’une chose, y retourner. » De leur côté, Alice et son père partagent une attirance pour les expéditions dans les contrées nordiques. Les vacances en famille sont souvent marquées du sceau de Saint-Hubert, saint patron des chasseurs, le couple sillonnant dès que possible la France en camping-car pour répondre aux invitations d’autres associations départementales.

Bonne ouïe, bon œil

Autour de la table, le ton de la voix baisse, c’est le moment de passer dans la petite pièce attenante. Jumelles et fusil à portée de main, chacun prend place sur les matelas. Alex lève sans un bruit l’abattant qui masquait la “guignette”. Les yeux, s’habituant à l’obscurité, commencent à percevoir l’étang plongé dans la nuit. Alice explique le rôle des canards en plastique (les “blettes” ou leurres) disposés sur l’eau, mais aussi des canards “appelants”, ceux qu’ils élèvent au fond du jardin. « Attention, il ne faut jamais les relâcher dans la nature sinon ils abâtardissent les cols verts sauvages. » Plus qu’à l’œil, il faut se fier à l’ouïe : « À la manière dont nos canards appelants chantent à l’approche de leurs congénères sauvages, l’identification des espèces peut débuter, vient ensuite le chant du demi-cri, puis du court-cri, et enfin la pose sur le plan d’eau. » Chaque type d’oiseau est différent dans son comportement, dans sa forme et dans ses habitudes de déplacement, ainsi « un canard pique la tête droite sans éclabousser, une sarcelle se met aussitôt à manger dans les herbes du bord »… Lorsque le vent tourne, Alex change de place les cages des appelants. Les heures passent et Alice et son père se remémorent la nuit du 31 décembre 1996 où le survol des migrateurs était incroyablement dense. Martine s’est endormie. Sur les coups de deux heures du matin, André, le propriétaire de la hutte et ami de la famille, vient rendre une petit visite qui ne surprend personne. « Alors, faut pas dormir ! Là-bas, dans ce coin, ce serait pas deux sarcelles ? » Alice confirme et Martine se réveille. C’est Alex qui en aura une, qu’il va immédiatement ramasser dans une nuit de plus en plus humide, « par respect pour la prise », explique Alice. Ce sera la seule.

Des vigies de la nature

Au petit matin, Martine confie que « les trois quarts du temps, on ne tire pas. Le plaisir de la chasse est ailleurs ». Avant de quitter le marais, il lui faut remplir un cahier de liaison d’une autre espèce, le “cahier de hutte” où chacun consigne ses prises. « C’est un outil de contrôle. Notre rôle est de préserver les espèces, on peut alerter si certaines se font rares ou, au contraire, si des interdictions ne se justifient plus. Au moment de l’épidémie du H5N1, les chasseurs ont aussi joué un grand rôle en envoyant systématiquement des prélèvements. Nous sommes des vigies de la nature… », résume-t-elle. Sa crainte, pour l’avenir, c’est de voir « les zones humides se combler. 70 % ont déjà disparu ! ». Éduquer, informer, « c’est l’autre rôle que nous devons assurer. Les espèces de limicoles pondent dans les galets et, lorsque l’oiseau est dérangé par un promeneur ou un chien non tenu en laisse, il met plusieurs heures avant de revenir. Nous devons préserver tout cela ». Martine participera cette année encore aux Journées de l’oiseau pour « faire aimer nos marais ». En attendant, elle relève ses cannes et canards de leurs fonctions. Dans quelques heures, une tournée d’une toute autre nature va débuter…

EN SAVOIR +

→ L’ANLCF, Association nationale de la chasse au féminin. Adresse : 69 rue Tournière, 80130 Bethencourt-sur-Mer.

→ JOURNEE DE L’OISEAU

Depuis cinq ans, Martine participe dans la baie de Somme aux journées de découverte du Festival de l’oiseau. La 21e édition se déroulera du 16 au 25 avril 2011. Programme sur www.festival-oiseau-nature.com.