La prothèse totale de hanche - L'Infirmière Libérale Magazine n° 263 du 01/10/2010 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 263 du 01/10/2010

 

Cahier de formation

Savoir

L’arthrose primitive de l’articulation de la hanche, résultant d’une usure physiologique, concerne plus d’un Français de plus de 50 ans sur trois, auxquels s’ajoutent les patients dysplasiques, atteints de pathologies inflammatoires ou victimes de traumatismes. La pose d’une prothèse totale de hanche transforme leur vie.

ANATOMIE ET PHYSIOLOGIE

Le membre inférieur s’articule au bassin grâce à la hanche. La tête du fémur s’emboîte dans une cavité de l’os iliaque dénommée cotyle ou acétabulum, constituant le pivot de l’articulation coxo-fémorale, ou hanche. Le point de rencontre des deux os est entouré d’une capsule articulaire et de ligaments qui permettent de stabiliser l’articulation lors des mouvements, et par un ensemble de muscles qui assurent la stabilité active de l’ensemble.

La tête ronde du fémur constitue une boule qui s’adapte parfaitement au creux du cotyle (cf. page ci-contre). L’un et l’autre sont recouverts de cartilage et baignent dans du liquide synovial. La conformation de l’articulation permet une certaine amplitude de mouvements sans risque de luxation. À partir de la position verticale, il est ainsi possible d’atteindre 120° en flexion (en ramenant le genou vers la poitrine) et 15° en extension (en tendant la jambe vers l’arrière). Latéralement, la hanche atteint facilement les 45° en abduction et 30° en adduction (en croisant une jambe sur l’autre). L’articulation permet enfin les mouvements de rotation : 45° en rotation externe (en exposant la face interne de la cuisse vers l’avant) et 30° en rotation interne (genou et pied rentrés).

Au cours de la marche, la hanche subit une force égale à quatre fois le poids du corps. En effet, l’axe du col du fémur est décalé par rapport à l’axe mécanique de la jambe, qui passe par la tête du fémur et le genou, ce qui crée une force jouant à faire basculer le bassin. À chaque pas, l’équilibre est rétabli grâce au puissant muscle de la fesse (appelé moyen fessier), mais il en résulte une pression particulièrement importante sur le cartilage articulaire.

PATHOLOGIE DE LA HANCHE

Quand tout va bien, la hanche est une articulation très stable, contrairement au genou où les surfaces articulaires sont peu emboîtées et où la stabilité résulte de l’équilibre sensible entre plusieurs ligaments. Plusieurs processus peuvent néanmoins conduire à la dégradation des surfaces articulaires.

La coxarthrose ou usure du cartilage

Symptômes

→ Le diagnostic est posé sur l’apparence radiologique : pincement de l’espace articulaire (dû à l’amincissement du cartilage), apparition de trous (géodes) dans l’os du cotyle et d’excroissances osseuses (ostéophytes), densification de l’os sous le cartilage.

→ Cependant, des symptômes cliniques peuvent apparaître bien avant les signes radiologiques : ce sont des douleurs inguinales, ou latérales, une perte de mobilité et une boiterie due au raccourcissement de la jambe. Ces symptômes s’installent progressivement : d’abord après des efforts prolongés, puis à la prise d’appui et enfin au repos. Ils peuvent devenir très invalidants, réduisant considérablement l’activité et la qualité de vie de la personne, avec des répercussions psychiques non négligeables.

Causes

→ L’arthrose résulte de contraintes mécaniques qui sont exercées sur les cartilages articulaires. Le patient consulte pour cause de douleurs lors de la marche et de raideur dans les mouvements.

→ L’arthrose primitive (qui n’a pas d’autre cause identifiée que la fragilité du cartilage) débute généralement vers 50 ans.

→ D’autres phénomènes physiopathologiques peuvent déboucher sur l’usure du cartilage : on parle alors d’arthrose secondaire. Elle peut ainsi survenir à la suite de sollicitations mécaniques trop importantes. Certaines postures répétées, comme la station debout avec de longs temps de piétinement, peuvent être responsables de lésions cartilagineuses. La sollicitation excessive de la hanche dans des mouvements extrêmes, comme c’est le cas chez les danseurs (abduction et rotation externe fréquentes forcées), peut mener à une coxarthrose. Le surpoids, qui augmente les forces exercées sur les éléments articulaires, est un facteur de risque associé à la coxarthrose.

→ Certaines anomalies congénitales du fémur ou du bassin génèrent une usure prématurée de la hanche. La dysplasie (c’est-à-dire la malformation) luxante se rencontre plus fréquemment chez les femmes, ainsi que dans certains groupes de population (facteur génétique). Elle peut aussi être consécutive à une mauvaise position du bébé dans le ventre de sa mère. Des enfants naissent ainsi avec les hanches non emboîtées : on parle alors de luxation congénitale. Les luxations répétées, surtout pendant la petite enfance où elles ne sont pas toujours immédiatement repérées et réduites, participent à abîmer le cartilage. Les bébés dépistés à la naissance pour cette dysplasie doivent être langés en abduction, c’est-à-dire jambes écartées. L’arthrose peut également se développer sur des personnes avec un cotyle trop profond, ou une déformation congénitale ou acquise de la tête fémorale.

→ Les traumatismes aigus (accident) ou chroniques (chocs répétés dus au sport) peuvent aboutir à une coxarthrose du fait des nouvelles contraintes mécaniques induites.

Autres étiologies

L’inflammation

La dégénérescence du cartilage de la hanche peut survenir dans le cadre d’une pathologie rhumatismale, telle que la polyarthrite rhumatoïde ou l’arthrite juvénile. On parle alors d’arthrite plutôt que d’arthrose. Les processus inflammatoires prennent le pas sur les contraintes mécaniques dans la détérioration du cartilage. C’est également le cas pour les patients atteints de goutte, d’hémochromatose ou d’infections bactériennes.

La nécrose

La nécrose de la tête fémorale est une pathologie qui peut survenir chez des sujets de tous âges. Elle est due à une mauvaise vascularisation de l’extrémité du fémur. Les causes de l’ostéonécrose aseptique (sans infection associée) sont multiples. Elle peut être consécutive à une fracture du col du fémur, fréquente chez la femme âgée à terrain ostéoporotique. L’ischémie peut également être provoquée par une embolie gazeuse (accident de décompression des plongeurs), graisseuse (patients hyperlipémiques, maladie de Gaucher), par une thrombose (en cas de drépanocytose, maladie de l’hémoglobine et des globules rouges). La prise de corticoïdes sur le long terme, ainsi que l’alcoolisme, sont des facteurs de risque importants de la nécrose de la tête fémorale.

La fracture

Les fractures de hanche, ou fractures du col du fémur, sont relativement fréquentes (53 000/an), en particulier chez les femmes atteintes d’ostéoporose. Les fractures simples et non déplacées peuvent consolider sans intervention chirurgicale, et sans conséquence pour l’articulation. Mais, bien souvent, en plus d’être extrêmement invalidantes pour le patient, elles mettent en péril l’équilibre biomécanique et la viabilité de la tête fémorale. Dans plus d’un cas sur deux, la fracture cervicale du fémur aboutit au remplacement de l’articulation par une prothèse totale de hanche (PTH).

Les traumatismes de haute énergie (accident de la route, chute d’une grande hauteur, etc.) sur des personnes sans problèmes de minéralisation osseuse sont également susceptibles d’aboutir à la pose d’une PTH.

La tumeur

Enfin, l’excision d’une tumeur osseuse sur le fémur ou le cotyle peut également conduire à la mise en place d’une PTH.

LES PROTHÈSES TOTALES DE HANCHE

La PTH constitue aujourd’hui la solution de choix pour les personnes souffrant de coxarthrose (92 % des 82 000 personnes prises en charge pour une coxarthrose primaire en reçoivent une).

Historique

La technique de remplacement de l’articulation (ou arthroplastie) s’est développée dans les années 1960, sous l’impulsion de Sir John Charnley en Angleterre, qui mit au point le modèle de low friction arthroplasty (arthroplastie à faibles frottements), encore largement employé de nos jours. Son principe : remplacer la tête fémorale par une boule métallique, et le cotyle par une cupule en plastique (du polyéthylène de haute densité), la rotule ainsi constituée ayant un couple de frottement très faible. La tête prothétique est fixée sur une tige en acier qui s’implante dans la partie longue du fémur, alors que le cotyle plastique est cimenté dans l’os iliaque.

Les divers types de prothèses

Depuis lors, le principe est resté le même. Les innovations sur le matériel ont porté sur les deux points principaux suivants.

La fixation des implants

La prothèse de Charnley est cimentée dans le fémur et le bassin. Le ciment évolue dans le temps, ce qui conduit parfois au descellement de la tige et du cotyle. Face à ce problème furent développés des implants en titane sablé à surface poreuse. Depuis une vingtaine d’années, l’hydroxyapatite est utilisée avec de bons résultats. Il s’agit d’un revêtement poreux dont la composition est proche de la trame osseuse. L’os fémoral se reconstitue au contact de l’implant en pénétrant l’hydroxyapatite : c’est le processus d’ostéointégration, qui permet de sceller la tige sans ciment. L’amélioration de la forme des implants a permis d’améliorer leur stabilité primaire et a encouragé la pose de prothèses sans ciment. Le rapport d’évaluation de la Haute Autorité de santé souligne cependant l’absence de preuve clinique montrant la supériorité des implants poreux sur les cimentés.

Le couple de frottement

Malgré le faible couple de friction entre le métal et le plastique, les chirurgiens ont pu constater une usure du matériel au bout de quelques années. Ce phénomène est d’autant plus rapide que la prothèse est très sollicitée (patients jeunes et actifs), ou que les axes anatomiques n’ont pas été parfaitement respectés. Les débris de polyéthylène retrouvés dans l’articulation sont responsables d’une inflammation et sont la cause d’une destruction de l’os (ostéolyse) et du descellement de la prothèse. Les fabricants ont mis au point des polyéthylènes plus résistants (réticulés) et des céramiques d’alumine, qui s’usent beaucoup moins. Il existe aussi des couples de friction utilisant le métal, mais ils sont source d’allergies chez certains patients. Le choix se fera en fonction de l’évaluation des risques d’usure et d’allergie.

Différentes tailles et formes de prothèses existent, afin que le chirurgien puisse choisir l’implant qui s’adapte le mieux à l’anatomie de son patient. En respectant les distances et les angles naturels de sa hanche, il optimise les contraintes biomécaniques et majore ainsi la durée de vie de la prothèse. Car c’est là un point crucial dans le succès de cette opération : remplacer la hanche pour vingt à vingt-cinq ans, avec une fonction quasi normale et l’absence de douleur. Ainsi, une personne opérée après 60 ans peut espérer avoir éliminé son problème de hanche de façon définitive. Il faut néanmoins savoir qu’il est possible de changer une prothèse grâce à des techniques chirurgicales et des implants adaptés. Des patients jeunes peuvent donc subir une arthroplastie de la hanche. « Il ne faut pas hésiter à se faire poser une prothèse si la gêne fonctionnelle et la douleur pénalisent la vie sociale, professionnelle et affective, souligne Marie-Pascale Brusson, opérée à 40ans. Il ne faut pas attendre d’être vieux pour être heureux. »

Techniques chirurgicales

Les voies d’abord

→ La voie d’abord classique consiste à inciser au niveau de la fesse (voie postérieure). C’est l’abord le plus facile et qui donne le meilleur accès à l’articulation. Il nécessite cependant de couper certains muscles pelvi-trochantériens, ce qui pénalise la récupération et majore le risque de luxation.

→ Certains chirurgiens préfèrent une voie antérieure (par le haut de la cuisse), qui permet de préserver le capital musculaire même si l’abord est moins facile et qu’il ne peut s’appliquer à toutes les situations.

→ Une autre technique est parfois utilisée : c’est la voie latérale par trochantérotomie. Elle nécessite de détacher la pointe supérieure externe du fémur (le grand trochanter), mais présente l’avantage d’éviter d’abîmer les muscles fessiers, de les retendre si besoin, et d’accéder largement à l’articulation. Les suites immédiates sont plus longues car le trochanter doit consolider.

→ Depuis quelques années, les chirurgiens réalisent des voies d’abord de plus en plus étroites, jusqu’à être parfois appelées mini-invasives antérieures ou postérieures (moins de 8 cm). Outre l’avantage esthétique d’une cicatrice plus petite, leur gros intérêt réside dans la préservation des muscles, le moindre saignement opératoire et la meilleure récupération fonctionnelle.

La pose de la PTH

La capsule est ouverte, le col du fémur est scié et la tête est enlevée. Après avoir fraisé la cavité de l’os iliaque et le canal médullaire du fémur, le chirurgien impacte le cotyle prothétique, puis met en place la tige fémorale (avec ou sans ciment pour les deux parties). Il rajoute ensuite la tête prothétique et la positionne dans le cotyle : la nouvelle articulation est en place. Il faut encore refermer la capsule, suturer les plans musculaires incisés, puis la peau.

Suites opératoires

Un traitement antalgique est administré dès le réveil et pendant la durée de l’hospitalisation. Des antibiotiques sont initiés avant l’intervention et maintenus en postopératoire afin d’écarter les risques infectieux. Un drain est laissé en place pendant les premiers jours. Le patient peut généralement se lever le lendemain de l’intervention, mais l’appui n’est autorisé qu’avec l’aide de cannes. Elles seront progressivement lâchées au cours de la semaine qui suit, sous la surveillance d’un kinésithérapeute. La durée moyenne d’hospitalisation est de onze jours.

Des complications neurologiques, affectant majoritairement le nerf sciatique, touchent 1 à 2 % des patients opérés d’une PTH. Le nerf serait étiré au moment de la luxation de l’articulation. Les facteurs de risque associés sont l’obésité et les pathologies lombaires. Les luxations représentent le deuxième risque de complications (aux environs de 1 à 2 %), plus fréquentes sur les patients opérés par un abord postérieur et ayant reçu une tête fémorale de petite taille. Le taux d’infection est faible, estimé à 0,3 %, mais ses conséquences sont lourdes pour le patient et le traitement est délicat.

Question de patient

Peut-on prévenir la fracture du col du fémur ?

Une méta-analyse* de l’Inserm, reprenant l’ensemble des publications entre 1966 et 1996, montre de façon significative que la pratique régulière de l’activité physique peut prévenir, voire inverser cette perte osseuse liée au vieillissement, à la fois au niveau vertébral et au niveau du col fémoral. Chez la femme, quelques années après le déclenchement de la ménopause, il importe de surveiller les risques d’ostéoporose et et de traiter cette maladie le cas échéant. Certains signes doivent également inciter à consulter : diminution de la taille de plus de 3 cm, fractures après 45 ans…

* Expertise collective parue sous le titre Activité physique-Contextes et effets sur la santé, éditions Inserm, mars 2008.

Point de vue…

« La prothèse de hanche m’a sauvé la vie »

Dominique Guillemin, 53 ans, fonctionnaire

« J’ai eu une luxation congénitale de hanche bilatérale qui a été détectée quand j’avais 18 mois. Toute ma petite enfance a été marquée par des séjours à l’hôpital. Je boitais, j’étais dispensée de sport à l’école, je souffrais plus de ma différence que de mes hanches. À 20 ans, j’ai commencé à vraiment souffrir d’arthrose. Le jour où j’ai reçu ma carte d’invalidité (80 %), ce fut un terrible choc psychologique. J’avais mal en permanence (je prenais 6 à 8 aspirines par jour) et j’étais handicapée comme une personne de 80 ans. On m’a posé ma première PTH à 29 ans, la deuxième six mois plus tard, et ma vie en a été transformée. C’était vraiment miraculeux : je ne souffrais plus, je pouvais marcher plusieurs kilomètres d’affilée, rester debout toute la journée, c’était incroyable ! J’ai eu un enfant quelques années après. Et j’ai pu démarrer une carrière professionnelle dans la fonction publique. Même si j’ai dû repasser plusieurs fois sur la table d’opération depuis, je peux dire que la prothèse m’a sauvé la vie. »

Point de vue…

« La prothèse est la solution de choix pour la hanche »

Pr Philippe Chiron, chef de service de chirurgie orthopédique au CHU Rangueil, Toulouse (31)

« La PTH s’est vraiment imposée comme la meilleure solution à la dégradation de la hanche. Les interventions qu’on pratiquait pour retarder la pose d’une PTH se justifient beaucoup moins aujourd’hui, car la durée de vie des PTH est estimée à trente ans, et on sait mieux les remplacer. Les hémiprothèses (qui remplacent uniquement la partie fémorale) sont de moins en moins utilisées lors de fracture du col du fémur, car il faut réintervenir quelques années après sur le cotyle : autant mettre d’emblée une PTH, encore plus sur des patients âgés. Les prothèses de resurfaçage sont intéressantes pour des personnes jeunes et actives, car elles préservent l’os (une cupule métallique est fixée sur la tête fémorale, la tête et le col sont conservés): j’en ai posées sur un danseur de ballet qui se porte à merveille. La mise en place d’une PTH par la suite est facile car le capital osseux a été préservé. Quant aux greffes de cartilage, même si elles sont porteuses d’espoir, elles relèvent encore du domaine de la recherche. »

Point de vue…

« Pour ou contre le ciment ? »

Pr Jean-Pierre Courpied, chef de service de chirurgie orthopédique, Hôpital Cochin-Saint-Vincent-de-Paul, Paris

« On pose en France plus de prothèses non cimentées qu’ailleurs, car notre pays est précurseur de ce type de matériel. Elles donnent de bons résultats, bien qu’aucune étude n’ait démontré leur supériorité. À Cochin, nous préférons utiliser des prothèses cimentées pour deux raisons principales : d’abord parce qu’elles s’adaptent à tous les fémurs et à toutes les situations (la pâte de ciment venant combler les espaces entre l’os et la tige); ensuite parce qu’en cas de reprise chirurgicale, elles sont faciles à enlever, sans aggraver les dégâts osseux. Nous réopérons fréquemment des patients prothésés il y a vingt ou trente ans. La raison de la reprise est l’usure du polyéthylène, à l’origine de la formation de granulomes dans l’os cotyloïdien. La tige fémorale cimentée, elle, est en parfait état, sans signe de descellement. Nous sommes parfois amenés à la changer à cause de l’usure de la tête (les vieilles prothèses non modulaires ne permettent pas changer cette seule partie): l’extraction et le rescellement se font alors sans difficulté. Le vieux concept de la PTH de Charnley tient encore la route, assurément… »