Une prise en charge globale du patient - L'Infirmière Libérale Magazine n° 259 du 01/05/2010 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 259 du 01/05/2010

 

Réseaux cancer

Dossier

Les réseaux de prise en charge en cancérologie offrent aux libérales et aux malades les conditions d’une prise en charge complète, sécurisante, et particulièrement efficace. Outre un maillage plus dense sur l’ensemble du territoire, c’est aussi le rôle central des infirmières qui mériterait d’être davantage valorisé.

« Lors de la mise en place des premiers cabinets référents sur le territoire de Vannes il y a deux ans, les infirmières libérales qui voyaient arriver la collègue référente du secteur aux réunions organisées au domicile du patient le prenaient assez mal, se souvient Valérie Bertrand, infirmière libérale à Grandchamp (Morbihan). Elles craignaient que leur consœur prenne en charge les soins de leur patient. Aujourd’hui, elles ont compris que cela n’était pas le but du dispositif des cabinets référents. Au contraire, ces derniers sont là pour apporter un plus en aidant à la coordination de la prise en charge et en la formalisant. »

L’exemple des cabinets référents mis en place par le réseau de cancérologie de Vannes, Onco’Vannes, illustre bien l’évolution des mentalités des libérales vis-à-vis des réseaux. Mais, surtout, cette évolution n’a pu avoir lieu que parce qu’à travers les réseaux, c’était une amélioration de la prise en charge à domicile des personnes atteintes par un cancer qui était proposée. Une réelle plus-value qualitative avec, souvent, une place à part entièrement consacrée aux infirmières libérales. « Il y a quinze ans, les réseaux n’existaient pas et nous effectuions des chimiothérapies à domicile seules, en lien avec le médecin traitant, mais à l’aveugle, témoigne Brunella Fiorini, infirmière à Lyon, libérale durant une première période avant de travailler en cancérologie en hospitalisation à domicile et au centre de lutte contre le cancer Léon-Bérard, puis de retrouver son statut de libéral il y a trois ans. C’est nous qui préparions le traitement à domicile, en dépit du bon sens parfois, sans avoir le bon matériel… Aujourd’hui, cela ne se fait plus. Quand la chimiothérapie arrive au domicile, tout un processus a été suivi. C’est beaucoup plus sécurisant pour le patient et pour nous. Désormais, nous pouvons nous concentrer sur le patient. »

DES LIBÉRALES INDISPENSABLES

Quelles que soient la forme et les modalités retenues, selon les régions, l’implication des établissements et la puissance des réseaux, pour organiser la prise en charge en cancérologie à domicile, force est de constater que cette problématique portée par deux Plans Cancer successifs s’est développée et concerne beaucoup d’infirmières libérales. « Le réseau Onc’Oriant a été créé en 2001 par la volonté de professionnels libéraux et du centre hospitalier qui faisaient un constat : des traitements à domicile était effectués mais il fallait sécuriser la sortie du patient et organiser l’indispensable formation des intervenants, explique Isabelle Loisel, cadre de santé coordinatrice du réseau de cancérologie de Lorient. Pour coordonner des interventions pluriprofessionnelles qui peuvent s’étaler sur plus de six mois, un réseau était indispensable. »

Sans les infirmières libérales, le réseau ne pourrait pas fonctionner. Actuellement, 450 d’entre elles adhèrent à Onc’Oriant qui est intervenu auprès de 2 500 patients en 2009. Sur les trois dernières années, elles ont été 700 à travailler avec le réseau. Autre exemple, le réseau Source, créé il y a près de deux ans sur Lyon mais qui couvre un vaste secteur comprenant le département du Rhône, le grand Nord Isère et l’ouest de l’Ain, compte 550 infirmières libérales parmi ses adhérents. Indispensables, elles sont devenues les chevilles ouvrières des réseaux de territoire. Et leur rôle devrait prendre de l’ampleur avec le développement probable des prises en charge à domicile, comme le laisse supposer le Plan Cancer 2009-2013 qui souhaite une meilleure coordination autour du patient. Le jeune réseau Source affiche un objectif de 700 à 750 patients par an quand, en 2009, il en a suivi 593. Soit environ 250 par jour, pour une file active de 180 actuellement. C’est dire que les libérales vont être accueillies les bras ouverts. « Le dispositif repose beaucoup sur elles », reconnaît Thierry Lagrange, coordinateur du réseau, lui-même libéral auparavant.

DES INÉGALITÉS

Mais le constat n’est pas valable sur tout le territoire. Loin de là. La Bretagne fait même figure d’exception avec le maillage de son territoire par sept réseaux de soins qui organisent la prise en charge des personnes sortant d’hospitalisation.

En Midi-Pyrénées, par exemple, aucun réseau territorial de cancérologie n’existe. « Des établissements mettent en place des suivis à domicile mais sans réseau et avec des protocoles propres à chacun », précise le Dr Éric Bauvin, médecin coordinateur du réseau régional de cancérologie Onco’Mip. Et, là où fonctionnent des réseaux spécifiques, tous les patients de retour à domicile n’y sont pas toujours intégrés. En réalité, l’implication ou non des établissements de santé dans la création du réseau est majeure dans l’intervention de ce dernier. « Notre projet s’est bâti sur l’expérience d’externalisation complète des chimiothérapies à domicile menée au préalable par le Centre Léon-Bérard depuis quinze ans, souligne Thierry Lagrange. Ce qui peut expliquer le grand nombre de patients que nous avons suivis en à peine deux ans d’existence. »

UNE GARANTIE POUR LES LIBÉRALES

Pour les infirmières libérales, la possibilité de s’appuyer ou non sur un réseau de cancérologie de proximité n’est pourtant pas sans effet. « Avec le réseau, nous avons l’assurance d’avoir une prescription anticipée, le matériel adéquat, un médecin à l’écoute et un pharmacien qui se déplace pour livrer à domicile, explique ainsi Virginie Foubert, infirmière libérale à Lyon. Pour un patient hors réseau, on essaie de mettre en place un semblant de coordination… et on suggère au médecin traitant ou hospitalier de faire appel au réseau ! »

Mais, qu’il y ait chimiothérapie complète ou surveillance, c’est bien la prise en charge globale du patient qui est au cœur des préoccupations. Lutte contre la douleur, antibiothérapie, alimentation parentérale ou entérale, parfois, pour certaines qui souhaitent s’en occuper, soins de nursing, soins palliatifs… représentent une vaste palette d’interventions. Mais c’est bien l’ouverture à d’autres thématiques (social, psychologique…) qui va entraîner des infirmières à faire de cette prise en charge en cancérologie une “spécialisation”. Valérie Bronzi est de celles-là. « Notre cabinet de quatre infirmières veut prendre la personne dans sa globalité, c’est pourquoi nous prenons en charge les soins techniques et de confort, explique cette infirmière qui vit à Les Avenières (Isère). Nous nous organisons donc pour nous dégager du temps et pouvoir répondre aux besoins. Notamment auprès des patients en fin de vie que l’on essaie d’accompagner jusqu’au bout. » C’est également le choix de Brunella Fiorini, installée à Lyon dans le même cabinet que Virginie Foubert : « Aujourd’hui, nous ne faisons que du palliatif et de la cancérologie et nous travaillons essentiellement avec des réseaux spécialisés. Parfois, j’ai l’impression d’être comme une salariée des réseaux. Mais le fait d’être quatre nous permet de garder une certaine indépendance car nous pouvons nous organiser entre nous pour assurer les astreintes de 24 heures sur 24 imposées pendant le temps du traitement. » L’engagement de cette professionnelle est tel qu’elle s’arrange même pour être entièrement disponible quand une prise en charge concerne un enfant. « On sait que le réseau est toujours à l’écoute, et que le médecin traitant et le médecin du réseau vont se déplacer en cas de besoin, ajoute Brunelle Fiorini. Donc j’estime normal de me rendre disponible aussi. »

Sur le secteur de Vannes, c’est un peu la même démarche qui a conduit une dizaine de cabinets à devenir volontaires pour devenir référents au sein du réseau Onco’Vannes, une initiative portée par l’association créée pour l’occasion, Infi Réseau 56. « Ce qui nous préoccupait, c’était de mieux préparer la sortie du patient, car, jusque là, nous étions mises devant le fait accompli de la sortie, avec des problèmes de matériel inadéquat, des problèmes sociaux devant lesquels nous étions démunies ou encore une information du malade et de sa famille insuffisante », regrette Maryel Herbaut, infirmière libérale à Vannes. Les infirmières référentes sont missionnées pour aller rencontrer le patient, sa famille et l’équipe à l’hôpital, collecter les informations et les retransmettre aux autres professionnels, organiser les réunions de concertation au domicile, contacter l’assistante sociale pour anticiper tout risque lié à des difficultés financières ou sociales… « En oncologie, il n’y a pas que le soin technique, note Maryel Herbaut. Cela dépend ensuite de ce que l’on veut faire pour participer à la prise en charge globale du patient. »

CHARTE DE QUALITÉ

Mais les exigences sont fortes également. Exigence de formation d’abord. « Nous vérifions que les infirmières sont habilitées pour effectuer des chimiothérapies, soit parce qu’elles sont diplômées depuis 1992, soit parce qu’elles ont suivi l’une des trois sessions spécifiques proposées par le service formation du centre hospitalier, précise Florence Morvan, infirmière coordinatrice du réseau Onco’Kerne sur Quimper et Concarneau. Mais nous veillons également à la formation continue de nos adhérentes. Début mars, par exemple, trois heures ont été consacrées au cancer rénal. Les prochaines sessions concerneront le cancer du foie puis la psychologie oncologique. Les participantes sont alors rémunérées 44 euros de l’heure. » Cette attention se retrouve dans tous les réseaux. Une autre exigence porte sur la qualité de la prise en charge. « Avec le réseau Source, nous avons signé une charte : un formulaire doit être rempli après chaque séance de chimiothérapie et un compte-rendu téléphonique est réalisé auprès du médecin du réseau », explique Brunella Fiorini. Un forfait est alors versé, généralement pour la prise en charge d’un patient et par an. 120 euros à Lyon ; 40 euros au réseau Onco’Kerne. Du côté des actes codés dans la nomenclature*, de l’avis des personnes interrogées, pas grand-chose à attendre : « Comment facturer les 45 minutes passées avec ma jeune patiente ? », s’interroge ainsi Valérie Bronzi. « La Sécu ne prend pas en compte le soin palliatif », regrette de son côté Virginie Foubert.

* Deuxième partie de la nomenclature, titre XVI, soins infirmiers, chapitre II soins spécialisés, article 4 : actes de traitement spécifique à domicile d’un patient immunodéprimé ou cancéreux.

Témoignage

« Le rôle pivot de l’infirmière » Virginie Foubert, infirmière libérale à Lyon

« L’infirmière libérale intervient en cancérologie aussi bien auprès de patients en début de traitement qu’en fin de vie. Auprès de ces patients, nous devons définir les besoins, organiser le matériel, prendre en charge psychologiquement… Quel que soit le patient, notre rôle est réellement d’être le pivot du suivi au domicile. Pour cela, nous devons apprendre à travailler avec les différents professionnels. Mais cette prise charge ne peut se faire que si une bonne relation et une bonne coordination existent. Avec le recul, je pense que le réseau est quasiment indispensable. Je dépense beaucoup moins d’énergie quand un réseau intervient. Plusieurs regards sont portés sur le patient. Lever les barrières entre l’hôpital et les libéraux est encore plus nécessaire en cancérologie. Cela serait avant-gardiste que les hospitaliers viennent voir comment les libérales travaillent. Il existe encore beaucoup de clichés et d’a priori. Parfois, on se sent seule au monde. Heureusement, je peux compter sur le médecin du service à domicile du Centre Léon-Bérard. Dernièrement, il s’est déplacé à 20 h 30 pour venir avec moi chez un patient en fin de vie. La même journée, nous avions bien été dix fois au téléphone. J’étais ses mains et ses yeux. C’est de l’or ! »

ANALYSE
RÉSEAUX SPÉCIALISÉS

L’avenir polythématique

Le Plan Cancer 2009-2013, dans sa mesure18, ajoute à l’appellation “réseaux territoriaux de santé” le qualificatif de “polythématique”. La loi Hôpital, patients, santé et territoires évoque « un meilleur maillage des ressources de santé au sein des territoires »… Cette nouvelle approche signifierait-elle l’évolution des réseaux de soins actuels, en particulier celle des réseaux de cancérologie ? Pour le Dr Catherine Bohec, médecin coordinateur du réseau OncoBretagne : « Rien n’est prévu en ce sens pour l’instant, même si des mutualisations sont clairement envisagées et fortement encouragées par la Mission régionale de santé et donc bientôt par l’Agence régionale de santé : entre réseaux avec des thématiques proches ou à fort recoupement comme les soins palliatifs, la cancérologie ou la douleur, pour des temps de psychologues ou de coordination, entre réseaux sur un même territoire, pour du secrétariat, de la comptabilité, des locaux… La maturation de ces projets de mutualisation est variable selon les territoires et les départements. » Ce qui est le cas en Midi-Pyrénées. « Ici, nous n’aurons pas de réseaux territoriaux de cancérologie mais un réseau polythématique ville-hôpital, souligne le Dr Éric Bauvin, médecin coordinateur du réseau régional OncoMip.

Une infirmière libérale ou un médecin généraliste vont être concernés par la prise en charge de pathologies multiples qui renvoient à des problématiques communes de maintien à domicile, comme la circulation de l’information. Sans compter que les patients, comme les professionnels, sont communs. Après, dans le cadre d’une chimiothérapie à domicile, on peut imaginer une convention particulière. »

Interview
Thierry Lagrange, coordonnateur du Réseau territorial de cancérologie Source

« Le réseau est construit par les gens qui le composent »

Quelle est la place des infirmières libérales dans votre réseau ?

La présidente de notre jeune réseau – il a deux ans – est infirmière libérale. Moi-même, j’étais auparavant infirmier libéral. Nous sommes donc très attentifs à ce qu’elles aient une place réelle. D’abord, elles sont, sur l’ensemble des libéraux, celles qui passent le plus de temps au domicile et qui y accomplissent le plus d’interventions. Le réseau est construit par les gens qui le composent, elles peuvent donc influer sur son fonctionnement.

De par votre expérience de terrain, quel est pour vous l’intérêt du réseau ?

La globalité de la prise en charge prend tout son sens en cancérologie. J’ai pu constater que l’interface qui était organisée auparavant par le centre de lutte contre le cancer Léon-Bérard à Lyon offrait une tout autre dynamique de prise en charge que lorsque le patient est lâché dans la nature. Le suivi est souvent au long cours, les soins multiples, les aggravations fréquentes. Cela demande donc un investissement particulier et une coordination permise par le réseau. Sans compter que le réseau est plus souple pour les libéraux que d’autres structures où ils sont davantage perçus comme des prestataires.

Nouveau domaine

Oncopédiatrie à domicile

Le 6 mai prochain, les infirmières libérales de Bretagne sont invitées à suivre une journée de formation sur la prise en charge des voies centrales à domicile pour les enfants d’onco-hématologie pédiatrique, organisé par le réseau Pédiatrie et onco-hématologie de l’Ouest (POHO) pour les infirmières libérales. Car, en Bretagne comme dans d’autres régions, ce type de prise en charge se développe aussi à domicile. « Dernièrement, une jeune fille est rentrée chez elle, une nutrition parentérale devait être mise en place sur son cathéter pour la nuit, explique Hélène Sérandour, infirmière puéricultrice du réseau. Je me mets en contact avec l’infirmière libérale, lui envoie une fiche de liaison et lui donne des informations sur les particularités de la prise en charge. Parmi celles-ci, nous axerons surtout sur l’accord de l’enfant concernant le soin et la nécessité de proposer une distraction pendant le soin, ajoute l’infirmière coordinatrice. Nous enregistrons 70 à 100 nouveaux cas par an sur la région. Mais, en dehors de Rennes, nous avons du mal à trouver des infirmières libérales pour effectuer ces soins. » Des formations spécifiques sont donc organisées. « Pour nous, c’est l’occasion de leur rappeler qu’elles ne sont pas seules. »