« Retrouver l’odorat et le goût, ça s’apprend »

Comment est née l’idée de ce livre ?

Lors de la pandémie du virus Sars-CoV-2, nous avons assisté à une explosion des consultations pour des patients souffrant d’anosmie et d’agueusie. Avant, les patients étaient surtout des traumatisés crâniens pour lesquels ces questions se posent de manière aiguë ou pour des personnes repérées au tout début de la maladie d’Alzheimer. Devant la prévalence sans précédent de ces symptômes chez les malades du Covid-19, j’ai voulu écrire un livre pratique pour aider les patients, seuls ou accompagnés par des professionnels s’ils en ressentent la nécessité, dans leur chemin de rééducation du goût et de l’odorat.

Les patients présentent-ils toujours les mêmes symptômes ?

Il existe plusieurs cas de figure. Environ 60 % des personnes infectées par le Covid perdent l’odorat et le goût mais une grande partie va récupérer dans les deux à trois semaines qui suivent, voire le mois suivant. À six mois, on estime que 90 % des personnes initialement anosmiques ont récupéré avec une rééducation olfactive. Pour les autres, ce sera beaucoup plus long et difficile, et demandera beaucoup de temps. Au début, les patients parlent de perte du goût et de l’odorat mais en fait, ils ont perdu la rétro-olfaction (odorat par voie rétronasale) qui joue un rôle primordial dans la perception de la flaveur d’un aliment. Aujourd’hui, les patients que je reçois dans le cadre du parcours coordonné d’examen et de consultation au sein de l’hôpital de jour créé en novembre 2020 par le P^r Justin Michel sont atteints de Covid long. Ils ne souffrent plus d’anosmie (ne plus percevoir les odeurs) mais d’hyposmie (faible perception des odeurs) ou de parosmie (distorsions olfactives). La plupart du temps, ils ont des goûts réellement écœurants avec certains produits (le café, la viande, les oignons, les agrumes…) qui peuvent entraîner des nausées et des dégoûts alimentaires, ou alors ils sentent trop fort certaines odeurs. Par exemple, ils peuvent être incapables de travailler en open space à cause du parfum d’un collègue… Ces situations sont à prendre en compte car elles engendrent des conséquences psychologiques voire un isolement social. Dans certains cas, nous pouvons même assister à une dénutrition, le patient n’ayant plus aucun goût à préparer ses repas ni à manger.

Quels sont les exercices à pratiquer ?

Il existe trois grands types d’exercice. Des exercices de stimulation odorante réalisés à partir d’odeurs et d’arômes. Nous travaillons avec les épices et les aromates comme le basilic, le thym ou le romarin. L’objectif pour le patient est de retrouver la mémoire des émotions, de recréer le chemin entre les sensations perceptibles et la mémoire de cette odeur. Lors des exercices, le patient doit vraiment sentir des odeurs familières, celles qui évoquent une madeleine de Proust et sont intimement liées à son histoire. Les épices permettent d’évoquer ces souvenirs. D’ailleurs, j’ai collaboré avec l’entreprise Cepasco (spécialiste des épices depuis 150 ans, ndlr) située à Gémenos qui a créé un kit d’épices (thym de Provence, vanille, curry, clou de girofle, fenouil) accompagné de fiches d’exercices et de recettes pour faciliter la rééducation. Ensuite, nous faisons des exercices sans odeur à partir d’un imagier (un champ de lavande, un sous-bois…) dans lequel le patient raconte ce que chaque image évoque pour lui. Et enfin, nous menons un travail sur la rétro-olfaction où le patient va mâcher des aliments (une mandarine, une compote de pommes…), puis insaliver et souffler par le nez afin qu’à terme, il retrouve toutes ses capacités.

Si vous aviez un conseil à donner, quel serait-il ?

Il faut réapprendre chaque odeur une à une en évitant les mélanges et les superpositions. C’est un peu comme si les odeurs étaient rangées chacune dans un tiroir d’une grande commode !

Propos recueillis par Isabel Soubelet

À LIRE

Préfacé par le P^r Justin Michel, chef du service ORL à l’AP-HM, ce livre pratique et didactique s’adresse autant aux patients qu’aux orthophonistes et aux professionnels de santé en contact avec des personnes souffrant d’anosmie et d’agueusie. Il rappelle ce que sont le goût, la flaveur et l’odorat, les organisations anatomique et fonctionnelle de la langue, du nez et du cerveau. Des fonctions fortement impactées depuis le début de la pandémie, notamment chez les malades atteints de Covid long. Dans un deuxième temps, il propose une série d’exercices et de protocoles simples à réaliser seul ou accompagné pour entraîner ses sens. Au fil des pages, des Flashcode à scanner permettent d’accéder à des documents et des exercices à réaliser de manière très concrète dans le cadre d’une rééducation. L’odeur du pain, d’un sous-bois, d’un bébé, d’une épice, d’un champ de lavande… Tout peut revenir si l’on s’arme de patience. C’est une ode aux saveurs, aux odeurs et aux souvenirs qui y sont associés. Et dont chacun d’entre nous est imprégné de manière très personnelle.

Petit manuel pratique pour retrouver l’odorat et le goût, Emmanuelle Albert, éditions De Boeck Supérieur, 128 pages, 15,90 €.