« Parole de l’enfant : le gouffre entre la loi et la réalité du terrain s’est encore accentué » | Espace Infirmier
 
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02/04/2021

« Parole de l’enfant : le gouffre entre la loi et la réalité du terrain s’est encore accentué »

Nommé défenseur des enfants en novembre dernier, Éric Delemar revient sur la publication du rapport « Prendre en compte la parole de l’enfant : un droit pour l’enfant, un devoir pour l’adulte » et insiste sur l’importance de mieux prendre en compte la parole de l’enfant.

Dans son rapport annuel, le défenseur des droits s’est inquiété du manque de prise en compte de la parole des enfants. Ce constat s’est-il aggravé avec la crise sanitaire ?

Il a beau être écrit noir sur blanc dans l’article 12 de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) que le droit de l’enfant à participer aux décisions le concernant reste un principe, celui-ci n’est pas toujours appliqué. Ce constat n’est pas nouveau puisque le Défenseur des droits l’avait déjà dressé l’année dernière, mais avec la situation liée à la Covid-19, le gouffre entre le droit écrit et son accès sur le terrain s’est encore accentué. Ainsi, les nombreuses remontées de terrain qui ne cessent de nous arriver depuis le début du premier confinement montrent un recul important de cette parole. À l’heure où les discours sur l’enfant sont très en vogue, la fermeture de l’institution scolaire et l’arrêt des activités sportives, de la culture, des actions de prévention dans les classes ont supprimé ces espaces essentiels dont les enfants se servent habituellement pour s’exprimer. Or, il est prouvé que les conséquences d’une privation de ce droit accroissent leur mal-être. Et on ne peut qu’en constater les dégâts aujourd’hui. De nombreux psychiatres et psychologues font remonter une hausse de 30 % des consultations médico-psychologiques avec des délais de 18 à 24 mois pour un premier rendez-vous. Pire, faute de pouvoir mettre des mots sur leurs maux, des adolescents et étudiants passent à l’acte.

Pensez-vous que les professionnels de santé sont suffisamment formés à cette question ?

Il est clair que si l’article 12 de la Convention a été retranscrit dans de nombreux codes internes, dont celui de la santé avec la possibilité pour l’enfant d’accéder à son dossier médical, l’un des freins à la participation des enfants tient au manque de sensibilisation, de formation et d’information des adultes, et notamment des professionnels. C’est valable aussi pour les acteurs de l’Éducation nationale comme ceux de la sphère médico-sociale. À cette méconnaissance s’ajoute encore trop souvent un manque de considération à l’égard des propos des enfants, un peu comme si le fait d’être un petit être humain signifiait n’avoir que de petits droits. Les recherches en psychologie et les neurosciences montrent pourtant que l’enfant est capable de se forger ses propres opinions dès le plus jeune âge. Il y a donc une obligation de faire émerger cette parole sans attendre que l’enfant soit victime ou qu’il passe à l’acte pour enfin devoir se sentir obligé de l’écouter. Beaucoup s’y attachent, beaucoup souhaiteraient pouvoir le faire. L’organisation et l’absence de temps de formation suffisant dans les cursus initiaux sont aujourd’hui de vrais freins. La parole de l’enfant s’exprime dans un contexte chaleureux, non stigmatisant, mais aussi dans une temporalité plus longue que celle imposée par la gestion des flux entrant et sortant dont les soignants subissent la pression. En réalité, cela tient à peu de chose, comme demander aux enfants s’ils préfèrent rester avec l’un de leurs parents pendant une consultation, leur donner la possibilité d’être entendus par le juge pendant une audience en assistance éducative qui va être déterminante pour leur avenir, ou encore faire émerger leur libre arbitre dans le choix de leur orientation scolaire même si celle-ci ne correspond pas au souhait des parents. Nombre d’adultes à qui on refuserait cette parole auraient l’impression d’être traités en objet.

Le fait que la loi reste assez floue sur l’âge auquel les enfants sont en capacité d’exprimer leur opinion n’est-il pas un frein pour les professionnels ?

C’est pour mettre un terme à ce genre de débat que nous proposons que tous les enfants soient entendus ou que l’on se soit assuré que leur parole a été considérée. Cela me paraît fondamental qu’on se rende compte de ce que l’enfant a à dire. Il y a une vraie révolution culturelle à avoir car il n’y a pas de dignité sans respect des droits. Et l’application des droits, c’est que qui fait qu’une société progresse. Mais cela suppose aussi qu’on aborde la question des moyens, car sans cela, il sera compliqué d’améliorer les pratiques en matière de soins et d’accès à la santé.

Propos recueillis par Éléonore de Vaumas

Les dernières réactions

  • 03/04/2021 à 22:54
    JM PALLATIN
    alerter
    Continuons à protéger notre futur sans oublier nos ancien.e.s :)

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