Le dur choix de la vie | Espace Infirmier
 

15/12/2016

Le dur choix de la vie

Peut-on trier les humains  ? Ne le faut-il jamais  ? Si l'on y est contraint, existe-t-il des critères  ? Ces questions, diversement formulées dans l'histoire de la philosophie, taraudent notre époque et notre conscience de soignant.

Dans les Bouches-du-Rhône, le regard fixé sur la carte, le commandant des opérations sait que l’incendie atteindra la zone avant que ses équipes sur le terrain n’aient pu la sécuriser à temps. Le vent a tourné et il faudra choisir entre le lotissement de l’ouest et celui du sud. Pour sauver le premier du brasier, il faut abandonner le second aux flammes. Certains habitants évacués ne reverront pas leur maison, mais lesquels ? Pas le temps d’agir comme il faudrait mais, au moins, toutes les vies ont été épargnées... À Paris et à Nice, les blessés sont trop nombreux. Les équipes de secours sont débordées et, là encore, il faut faire des choix. Certains mourront, d’autres vivront. Pas le temps, ni les moyens. Cette fois, c’est pire qu’un incendie à nos portes. Les décisions sont plus terribles encore.

À son étage, l’infirmière de nuit passe d’une chambre à l’autre en courant. Elle non plus n’a pas le temps ni les moyens d’assister simultanément une vieille femme qui souffre et un vieil homme qui meurt. Qui choisir et pourquoi ? Elle doit décider dans le silence et la solitude de la nuit. Lorsque le lendemain matin, épuisée, elle pose la question à ses collègues, leurs regards se détournent. Personne ne veut avoir à trancher ce dilemme, mais on l’entoure car chacun sait le sentiment d’impuissance et d’isolement que l’on ressent quand on ne peut pas échapper à sa responsabilité, même quand il s’agit de choisir par défaut.

À Seattle, en 2009, 153 habitants ont dû répondre à un scénario de priorisation des services médicaux dans un contexte de pandémie de grippe. Les participants ont été invités à réfléchir à la façon de prendre des décisions quant à savoir qui reçoit des soins lorsqu’il n’y a pas suffisamment de personnel ou d’équipement pour sauver la vie de chacun. Des morts sont à craindre, là aussi, et il faut encore choisir entre ceux qui méritent ou non de vivre. Ou plutôt qui laisser mourir ?

Il ne s’agit pourtant que de l’une des situations, ici fictive, que décrit Frédérique Leichter-Flack dans son ouvrage Qui vivra qui mourra, quand on ne peut pas sauver tout le monde (1) et qui nous pousse à réfléchir à ce qui conditionne aujourd’hui le choix « objectif » de nos critères de décision. Le fait que nous ayons à supporter la charge d’une population vieillissante dans notre pays ne nous pousse-t-il pas à considérer que les victimes âgées sont statistiquement inévitables ? Le fait que nous ayons à faire face à des attentats « aveugles » ne nous pousse-t-il pas à accepter la distribution de la mort au hasard ? Le fait que la nécessité de faire des économies s’impose comme une évidence ne risque-t-il pas de nous conditionner à proposer une sélection, qu’à d’autres époques et par d’autres moyens, certaines théoriciens habiles sont parvenus à imposer subtilement ?

1- Qui vivra qui mourra, quand on ne peut pas sauver tout le monde, Frédérique Leichter-Flack, éd. Albin Michel, 16 €

Frédéric Launay, cadre de santé, CHU de Tours (37)

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