12 ans…

Ce week-end j’ai dit au revoir à un de mes patients qui est entré en maison de retraite. On voulait avec sa fille qu’il finisse ses jours à son domicile mais la tête est partie avant le reste et il ne pouvait plus rester seul chez lui. Avec sa fille, au moment de se dire au revoir, on a essayé quand même de se rappeler depuis combien de temps on se voyait… Au début je suis venu pour sa femme qui était fatiguée alors je passais la voir tous les jours et puis au bout de quelques années elle est partie dans son lit et j’étais là pour lui tenir la main. À peine quelques mois après c’est lui qui, seul, a commencé à décliner alors je suis passé le voir, une fois puis deux fois par jour ; jusqu’à ce week-end il y a quinze jours ou je l’ai retrouvé par terre, incapable de savoir qui je suis et où il était… Alors voilà : 12 ans. Ça fait 12 ans que je suis venu tous les jours dans cette famille ; douze ans qui séparent 28 de 40 ans ; un couple vieillissant d’un veuf qui se perd dans la maladie ; un débutant d’un vieux routier du libéral ; 12 ans.

12 ans et puis cet aveu comique de la fille qui me dit en riant que son vaccin contre la grippe l’attend dans son frigo puisque d’habitude c’est moi qui lui fais tous les ans… « Mais je ne vais quand même pas déranger quelqu’un pour ça… »

12 ans.

Je pense avoir une bonne carapace pro et on ne me touche pas comme ça, mais douze ans. Aucune carapace ne peut tenir ce temps-là alors entre eux et moi qu’est ce qu’il y a eu ? Qui suis-je au final pour eux ? Et qui sont-ils pour moi ? Que des souvenirs ? Vraiment ?

12 ans.

12 ans et je pense à tous ceux qui, derrière leurs bureaux, cherchent à faire rentrer mon métier dans des cases bien pratiques et bien serrées. Mais 12 ans de présence dans une famille, ce que j’y ai laissé et ce que j’emporte, ce que j’en tire et ce que j’ai donné, les blessures et les joies, la somme incroyable des minutes passées ensemble, les larmes et les rires… Ça vaut combien d’AIS exactement ?