Le jargon hospitalier, un vrai charabia | Espace Infirmier
 

23/12/2015

Le jargon hospitalier, un vrai charabia

Nous, soignants, sommes parfois tellement habitués à une certaine routine et à notre jargon que nous pouvons oublier que c’est un tout autre monde pour le patient… D’où la nécessité de prendre le temps d’expliquer nos faits et gestes.

Je le voyais assis, le regard perdu comme on peut l’être lorsqu’on se croit abandonné, que la peur nous envahit et que notre seule pensée est de s’enfuir. Son regard passait du mur où s’écaillait la peinture aux portes en bois massif, fermées à double tour 24 heures/24. Nous sommes en psychiatrie, dans des locaux qui datent d’au moins cinquante ans. Imaginez à quel point on peut être à l’aise… Il en est à sa première hospitalisation pour « troubles bipolaires », mais est suivi une fois par mois en extra-hospitalier. Je me suis approchée de ce patient. Appelons-le Monsieur R. Bien qu’il ait été accueilli une heure plus tôt par l’un de mes collègues, il me semble important de me présenter. « Bonjour, je m’appelle Marine, je suis infirmière dans l’unité. Je voulais me présenter et vous faire savoir que je reste disponible, si jamais vous avez besoin de quelque chose ou de parler. » Il me regarde, sourit à peine : « Quelqu’un d’interne doit passer, je ne sais pas quand, bientôt on m’a dit… Mais il est déjà 16 heures et je dois appeler ma famille pour les prévenir de mon arrivée. Je peux les appeler, hein ? J’attends, je dois faire un ECG, j’attends qu’on me le donne. » Je rejoue la scène dans ma tête : il attend depuis une heure, il doit voir l’interne pour mettre en place un programme de soins. Un soignant a dû prendre rendez-vous pour qu’on lui fasse un électrocardiogramme, mais il n’a pas dû oser nous demander ce que c’était. Il ne sait pas qui il doit voir, ni pourquoi, et voilà qu’on lui annonce qu’il doit passer des examens. Il s’énerve un peu, ne comprend pas non plus pourquoi on lui a pris ses affaires. On ne lui a pas expliqué qu’il s’agit d’une procédure habituelle et qu’en agissant ainsi, on évite qu’il se blesse ou qu’il se mette en danger.

C’est l’heure du goûter : je dois préparer les médicaments. Mais je demande aux collègues de prendre le relais et décide de passer un petit moment avec Monsieur R. Je l’accueille dans un bureau et reprends le cours des événements : « Vous n’allez pas voir quelqu’un d’interne mais un interne, qui est un étudiant en médecine. Mon collègue vous a pris un rendez-vous pour faire un électrocardiogramme, ce qui permettra d’enregistrer les battements de votre cœur grâce à de petites électrodes que l’on vous collera sur le torse. C’est totalement indolore et cela nous aidera à évaluer votre état cardiaque, puis à adapter vos médicaments pendant l’hospitalisation. Ne vous faites pas de souci pour vos affaires, on attend que vous rencontriez le médecin pour savoir si on peut vous les remettre. Elles sont en sécurité. » Son visage se détend. Il me dit que les bâtiments sont vieux, qu’il pensait qu’ils s’écrouleraient sur lui… Mais cette peur est partie et il peut faire confiance à l’équipe. Cela n’aura pris que dix minutes.

Dans le soin, chaque moment passé avec le patient est indispensable pour la suite de la prise en charge. Nous sommes tellement habitués à une certaine routine et à notre jargon que nous pouvons oublier que c’est un tout autre monde pour ceux d’en face. Prendre le temps d’expliquer nos faits et gestes est donc loin d’être une perte de temps…

Marine Papail, infirmière en psychiatrie au CHU de Rennes

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