Valérie Lespez
La mission d'Aurélie, infirmière et « vigilanseuse », consiste à contacter les personnes ayant fait une tentative de suicide, dans les jours et/ou les mois qui suivent leur sortie de l'hôpital, pour prendre de leurs nouvelles, vérifier qu'elles vont mieux et leur apporter, si nécessaire, un appui et une aide. Objectif : éviter la récidive suicidaire.
Dans une extrémité du grand open space des répondants psy du CHU de Lille, tous les postes dévolus à VigilanS sont occupés, ce vendredi matin.
L'ambiance y est studieuse, les trois « vigilanseuses » sont en ligne, casque sur la tête, les yeux rivés sur deux écrans, avec, sur l'un, un dossier de patient, et sur l'autre, la liste de tous ceux à appeler dans la journée. Leur travail consiste à contacter les personnes suivies par ce dispositif de prévention de la récidive suicidaire, entre 10 et 20 jours (J10), et trois mois (J90) après leur sortie de l'hôpital.
L'envoi de quatre cartes postales personnalisées et la mise à disposition d'un numéro vert accessible de 10h à 18h du lundi au vendredi auquel elles répondent et qu'« une personne sur six va appeler », complètent cette démarche de « veille, sollicitude, accompagnement, qui ne prend pas la place des soins de première ligne », explique le Dr Vincent Jardon, médecin coordinateur du dispositif pour les Hauts-de-France.
Lancé en 2015 par le CHU de Lille à la suite d'un programme de recherche, puis généralisé dans toute la France par la feuille de route santé mentale et psychiatrie, ce dispositif a largement fait la preuve de son efficacité, avec « une réduction du risque de récidive suicidaire de 38 % à un an par rapport à l'absence de suivi », rappelle-t-il.
« Le temps de contact avec les soins, quand on a fait une tentative de suicide, est plutôt court, de 24 heures ou moins dans la plupart des cas, et le retour à domicile est majoritaire. Pour certaines personnes, une période de plusieurs mois va suivre, au cours de laquelle elles vont à nouveau être en difficulté. Mais c'est compliqué de savoir lesquelles. VigilanS se propose donc d'accompagner cette période de vulnérabilité après un geste suicidaire pendant six mois », synthétise-t-il.
« Le premier objectif est de prendre des nouvelles. Puis d'évaluer la situation et si les propositions de soins faites (pour l'après-hospitalisation) ont été honorées, et aussi de rappeler quoi faire en cas de difficulté », décrit Vincent Jardon.
« ÉCOUTE, EMPATHIE, CAPACITÉ D'ANALYSE »
Illustration avec Aurélie, infirmière depuis 13 ans, forte notamment d'une « longue expérience en service de chirurgie de l'épilepsie », et « vigilanseuse » depuis décembre 2024.
« Comment vous allez depuis votre sortie d'hospitalisation ? » s'enquiert-elle auprès de ce patient, jeune adulte, dans le cadre d'un appel à J10, avant de l'interroger sur les motivations de son geste, expliquées, lui répond le patient, par sa schizophrénie. Elle le questionne alors sur son suivi, une éventuelle stratégie définie avec son psychiatre « pour lutter contre ces pensées morbides qui s'imposent à lui », les médicaments qu'il prend, mais aussi sur ses activités, la vie avec ses parents, ou encore ses éventuelles consommations de drogue ou d'alcool.
Le ton est prévenant et engageant, l'écoute vigilante, et le patient est volubile. Aurélie clôt la conversation en lui rappelant la disponibilité de VigilanS et du 3114 en cas d'idées noires et en vérifiant qu'il honore ses rendez-vous au centre médico-psychologique (CMP), ce qu'il confirme. Elle demande aussi les coordonnées du médecin traitant, auquel elle envoie dans la foulée un courrier de compte rendu, comme pour tout patient contacté.
« Nous n'avons pas de cadre fixe d'entretien, mais il est primordial, d'abord, d'établir une relation de confiance en demandant au patient comment il va. Puis nous avons des questions auxquelles il faut absolument des réponses, car on sait que cela a des conséquences sur le risque de passage à l'acte, telles que la qualité de sommeil, d'appétit, le suivi psychologique, l'entourage familial », résume Aurélie.
Selon elle, les premières compétences pour ce type de poste sont l'écoute, l'empathie, la capacité d'analyse, ce que ne démentiraient pas ses collègues du 3114 et de Prisme.
Mais avant de pouvoir atteindre le patient, il faut parfois mener une véritable enquête. Comme pour cette personne, à qui l'infirmière s'apprête à passer le premier appel de VigilanS, à J90. Dans le dossier qu'elle consulte, le détail de la tentative de suicide, le contexte, la date de sortie de l'hôpital, le suivi proposé… mais aucun numéro de téléphone.
Elle appelle alors les urgences par lesquelles cette patiente est passée pour tenter de recueillir des coordonnées, puis remplit son dossier avec un numéro de portable et celui du médecin traitant qu'elle vient d'obtenir. Après avoir laissé un message sur le répondeur – non nominatif – du numéro, elle contacte le médecin traitant. Le secrétariat du praticien lui confie deux autres numéros, dont celui de la mère de la patiente, confirmant au passage que le médecin est au courant de la situation et qu'elle est bien suivie.
Après avoir fait chou blanc sur ces deux nouveaux numéros – messages laissés mais pas d'interlocuteur –, elle reprogramme un rappel pour le lundi suivant, à un autre horaire. « Nous devons faire trois essais pour chaque patient », précise-t-elle.
« Sur une journée, le volume d'appels par répondant est très varié, parce qu'ils peuvent durer de 10 minutes à une heure. Ce que j'aime dans le service, c'est que l'on n'a pas un temps imposé ; j'ai le temps de prendre le temps avec mon patient », approuve-t-elle. Les patients suivis peuvent aussi contacter directement le service. Et d'ailleurs, pour Aurélie, qui n'a pas encore beaucoup d'expérience dans son poste, « ces appels entrants sont les plus difficiles. »
Difficile aussi « quand l'urgence est à demi-mesure », poursuit-elle. « Quand le patient a juste besoin de verbaliser, une écoute active, de la revalorisation permettent de calmer et rassurer ; quand la personne est au bord du passage à l'acte, mais accepte de l'aide, on envoie les secours ; tout est carré. Mais l'entre-deux n'est pas simple : un patient qui refuse de l'aide, de dire où il est, avec qui… Il faut alors recueillir un maximum d'informations en un minimum de temps pour le sécuriser, avec toujours la crainte de pas avoir envoyé les secours alors qu'il le fallait ou de les solliciter pour rien. » Cette inquiétude est très partagée par ses consœurs du 3114 et de Prisme, note-t-on.
Et le plus valorisant ? « Se sentir vraiment utile, rendre service. Il n'y a rien de plus gratifiant qu'un patient qui dit qu'il s'est senti écouté, allégé d'un poids, qui nous remercie. »
TOUJOURS À MI-TEMPS
À Lille, « six équivalents temps plein (ETP) d'infirmiers ou de psychologues sont financés pour VigilanS, indique Vincent Jardon. Mais l'idée de base est que les gens soient sur du mi-temps d'appelant, parce que ce sont des métiers lourds, qui happent et qui consument. » « La charge mentale est forte », confirme Nathalie Rigbourg, cadre de santé de VigilanS mais aussi du 3114, au CHU.
« À titre personnel, je n'aurais pas pu faire ce métier à 100 %, car je trouve cela fatiguant psychologiquement. Il faut aussi que le soignant soit bien dans ses baskets ! » approuve Aurélie.
Comme au 3114 et à Prisme, officier dans ce service est « un véritable travail d'équipe », se réjouit Aurélie. « On peut bénéficier de l'expérience de nos collègues, notamment psychologues, qui n'ont pas la même approche que les infirmières. Et surtout, quand il y a une situation d'urgence, on a besoin des autres pour envoyer les secours ou nous aider à gérer la situation. »
Comme dans les autres dispositifs, le parcours de formation et d'intégration est essentiel : « C'est un métier à part, avec ce côté sollicitude et veille, et il y a tout un processus d'accompagnement avant d'être autonomisé, via une double écoute passive, puis active, d'abord sur des appels sortants vers les professionnels, puis vers les patients, etc. », associé à des modules de formation, dont un spécifique aux « vigilanseurs », décrivent Vincent Jardon et Nathalie Rigbourg.
Interrogée sur les liens entre le 3114 et VigilanS, puisqu'elle est la cadre de santé des deux dispositifs, Nathalie Rigbourg convient que son positionnement « facilite les articulations. De plus, nous avons des dossiers en commun, notamment les appels fréquents », qui sont également communs au SAS psychiatrique Prisme – lire l'épisode 2. « Et nous pouvons faire des inclusions dans VigilanS à partir du 3114 », ajoute la cadre.
Mais même si certaines « vigilanseuses » peuvent aussi « dépanner » le 3114, Vincent Jardon s'élève contre « toute forme de mutualisation des services, car les identités de travail sont différentes, et le risque serait de lisser les spécificités de chaque dispositif, et au final, d'apporter une réponse moins pertinente aux patients. »
Valérie Lespez
Remerciements
Ces 3 épisodes sont issus d’une série APMnews consacrée aux répondants des antennes nordistes de trois dispositifs psychiatriques nationaux,
le numéro de prévention du suicide 3114,
le service d'accès aux soins (SAS) psychiatrique du Samu 59,
et le dispositif de prévention de la récidive suicidaire VigilanS.
Leur particularité, au CHU de Lille, est d'être installés sur le même plateau, et à deux pas de celui du Samu.
Espaceinfirmier.fr, L’INFIRMIÈR.E et OSM remercient APMnews pour leur autorisation à partager ces reportages à nos abonnés.
Crédit photos : Valérie Lespez/APMnews
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