Accoucher sous X, un choix de femme | Espace Infirmier
 
Accoucher sous X, un choix de femme

08/03/2012

Accoucher sous X, un choix de femme

Avec La Brindille, la réalisatrice Emmanuelle Millet explore le thème de l’accouchement sous X. La jeune Sarah (interprétée par l’actrice Christa Theret) a 20 ans, et se découvre - sans l’accepter - enceinte, sans travail et sans formation. Rencontre avec la réalisatrice, à l’occasion de la sortie du film en DVD.

Espaceinfirmier : De votre film, on parle davantage d’accouchement que de déni de grossesse. Pourtant, tout commence par là.
Emmanuelle Millet :
Oui, c’est vrai que Sarah se retrouve devant ce choix de l’abandon parce qu’elle a dépassé le délai qui lui permettait d’envisager l’avortement. Car si elle s’en était rendu compte plus tôt, elle aurait avorté, et le film aussi ! J’ai écrit le scénario après l’affaire Courjault, on parlait beaucoup du déni de grossesse dans les médias. Mais ce n’est pas ce que raconte mon film. Mon questionnement était plutôt de savoir ce qui se passe dans la tête d’une jeune femme qui n’a pas de désir d’enfant.
 
Même lorsqu’elle apprend la nouvelle, son ventre reste plat. Quel est le déclic, pour Sarah ?
Il lui faut verbaliser la grossesse. Ce n’est que lorsqu’elle en parle à son petit copain du moment que son ventre finit par sortir. Ici, c’est davantage une dénégation qu’un déni : elle apprend qu’elle est enceinte de six mois, mais continue à le nier. Mais Sarah est une jeune fille qui va de l’avant, et s’accroche à la vie, sa vie. Elle n’est pas contre le fait d’être mère, mais désire se réaliser, avant. Et pour elle ça passe par un travail, une formation à laquelle elle s’accroche. Le choix de cette jeune fille libre est douloureux, mais c’est un acte de courage.
 
Les équipes soignantes ne font pas preuve de tact avec Sarah. Comme la sage-femme qui insiste pour qu’elle regarde l’enfant qui vient de naître…
Mais c’est Sarah qui refuse toute aide, toute écoute. Le spectateur s’attache à elle et à son cheminement, mais les autres ne la comprennent pas. Et elle ne fait rien pour les y aider. La sage-femme lors de l’accouchement est-elle dure ? Je ne le pense pas. Sarah a refusé les séances de préparation à l’accouchement, elle n’est connue d’aucun service. Alors la sage-femme est à même de se demander si elle a en face d’elle une jeune fille qui prend tout ça par-dessus la jambe ou si c’est un acte réfléchi. Elle réagit avec ses tripes, sa sensibilité, sans tricherie. L’abandon, c’est un sujet fort qui touche à l’intime. Les professionnels de santé n’y sont pas suffisamment formés, c’est toujours compliqué. Déjà que le refus d’allaiter déclenche des regards durs à supporter, alors pensez, l’abandon… Dans la plupart des maternités qui m’ont ouvert leurs portes, les femmes qui accouchent sous X sont comme un grain de sable dans une machine bien huilée, ça déstabilise l’équipe. On constate que les puéricultrices se sentent mère à leur place, achètent un doudou à l’enfant, le promènent dans les couloirs, tentent de compenser. Ce nourrisson rejeté, ça les perturbe énormément…
 
Quelles réactions votre film suscite-t-il auprès des professionnels du sanitaire et du social ?
La directrice du centre maternel à Antony, que j’ai visité avant de tourner, m’a appelée cette semaine pour me dire qu’elle s’était parfaitement retrouvée dans le film. C’est une intense satisfaction ! A Strasbourg, j’ai eu la chance de rencontrer le Pr Israël Nisand au terme d’une de mes projection-débats. Il m’a confié avoir apprécié ce regard différent et très juste sur un sujet qui lui tient à cœur. Le cinéma permet d’apporter un autre regard et de faire penser, réagir autrement. Visionnant mon court-métrage sur les violences faites aux femmes (ndlr. qui donne à voir, du point de vue de l’enfant à naître, les coups et le stress des violences domestiques), le Pr René Frydman, que l’on connaît pour avoir fait partie de l’équipe à l’origine du premier bébé éprouvette français, est venu me parler. Impuissants devant certains problèmes de croissance in utero, les soignants ne pensent pas tout de suite aux coups portés à la mère. Mais parmi ceux qui ont vu le court-métrage, certains penseront peut-être à l’avenir à cette possibilité.
 
Vous avez un parcours professionnel très « social » qui teinte vos réalisations.
J’ai en effet travaillé plusieurs années pour Médecins du monde, Handicap International, le Secours Populaire... Dans la communication, puis pour favoriser la culture auprès des plus démunis. A côté je faisais du théâtre, de l'écriture, donc j’ai glissé vers le cinéma. J’ai remporté des concours de court métrage, notamment sur les discriminations et les violences faites aux femmes. Le cinéma, c’est un moyen d’explorer la complexité de l’autre. Et pour moi, le prolongement de ce que je faisais dans le milieu associatif.
 
Votre prochain film explorera-t-il encore un domaine féminin ?
Non, cette fois mon personnage sera un homme de 40-50 ans, un musicien qui se découvre une SLA, maladie de Charcot. Il est dans l’urgence de vivre et de bien vivre le moment présent. Je débute juste l’écriture, alors la sortie ce n’est pas pour tout de suite ! C’est un témoignage paru dans le magazine Psychologie qui m’a lancée sur le sujet. Je me suis immergée dans le bâtiment Charcot à la Salpêtrière et je discute actuellement avec des patients qui ont beaucoup à m’apprendre.
 
Les violences, l’abandon, la maladie. Vous explorez des thèmes que l’on pourrait qualifier de sombres. Vous assumez ?
Mes thèmes ne me paraissent pas durs, car j’essaye d’y apporter de l’oxygène. L’abandon n’en continue pas moins de me paraître un choix douloureux. Pourtant certains destins sont comme ça. Le cinéma permet toujours d’ouvrir sur du positif.
 
Propos recueillis par Candice Moors

 
DVD La Brindille disponible depuis 1er mars chez Ad Vitam.
Film + bonus : coulisses du film (4 mn), un documentaire sur les enfants en difficultés intitulé « T'as un rôle à jouer » (20 mn), Mon ange (2 mn) réalisé dans le cadre d'une collection de courts consacrée aux violences conjugales.

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