Interview du Dr Lucie Hacpille | Espace Infirmier
 

04/09/2017

« L’art médical doit observer, écouter la nature, le malade, la famille »

Dans son ouvrage « Soins palliatifs, les soignants et le soutien aux familles », le Dr Lucie Hacpille livre ses conseils sur l'accompagnement des personnes en fin de vie. Évolution naturelle de la maladie, conséquences sur les relations soignants-malades... Des pistes de réflexion tant pour les professionnels de santé que les familles.

Comment est né le projet de ce livre ?
Le projet de ce livre est né de ma rencontre avec les malades, les familles et les soignants... Et du constat, fait par tous, d’une profonde solitude et angoisse face au système de santé et à son organisation en cours. Certes, la médecine a accompli, ces dernières années, d’immenses progrès dans de nombreux domaines (pédiatrie, gériatrie, chirurgie, prise en charge globale des douleurs et des souffrances…). Mais, dans cette évolution, elle oublie trop souvent l’objectif même et central de la médecine : le malade et son entourage. Le génie médical reste une patience et une parole échangée. Encore faut-il que le malade consente à la longanimité. Tous les malades traités ne guérissent pas. Quelques malades guérissent sans médecin. Par médecine, il faut entendre une activité immanente à l’organisme de compensation des déficits, de rétablissement de l’équilibre rompu, de rectification d’allure sur détection de l’écart. Cette activité n’est pas une science infuse. L’art médical, avec toutes ses prouesses possibles aujourd’hui, doit observer, écouter la nature, le malade, la famille. Ici, observer et entendre, c’est obéir à la nature qui reste la première conservatrice de la santé, parce qu’elle est la première formatrice de l’organisme. Cela ne signifie pas cependant que la nature soit infaillible ou toute-puissante. Il est donc indispensable de fonder la médecine sur les valeurs universelles de l’Homme.

Quelle a été la spécificité de votre approche pour cette nouvelle édition ?
Pour cette 3e édition, la spécificité de cette nouvelle approche continue de plus en plus profondément - grâce à la notion d’accompagnement des malades, des familles et des soignants - à écouter de l’intérieur leurs récits et leurs difficultés au sein des nouvelles organisations de la médecine dominée par les notions économiques. Dans ce profond isolement du combat pour la vie au sein de l’évènement de la maladie qu’ils traversent, les malades, les familles et les soignants ont besoin de repères d’actes simples, pratiques qu’ils peuvent partager ensemble, chacun dans ses spécificités. C’est dire l’importance primordiale de la « parole » échangée dans la vérité entre tous.

Comment se définit la place du soignant entre les patients et les familles dans l’optique des soins palliatifs ?
L’optique des soins palliatifs reste centrée sur l’approche globale, c’est-à-dire l’association de compétences techniques précises et d’un art de l’écoute de l’autre au centre de toute relation entre les malades, les familles et les soignants. Cette approche s’appuie donc sur la mise en œuvre créative, suivie de propositions concrètes et de conseils de bon sens négociés entre les trois types de partenaires, chacun à sa juste place, dans le but de soulager le mieux possible les multiples symptômes que peuvent déplorer les malades atteints de maladies chroniques, ainsi que leurs familles qui les accompagnent tous les jours de leurs vies partagées.
Les soignants ont donc un rôle précis reposant sur l’outil de l’écoute et de la compréhension de l’autre, constitué de réadaptations permanentes aux situations cliniques qui obéissent à une multiplicité de variables au fil des jours de la chronicité avec la maladie. L’outil de « l’écoute intérieure » reste la base partagée par tous, et les soignants développent des compétences professionnelles d’interdisciplinarité et de techniques de réadaptations des multiples souffrances endurées par un malade et/ou une famille, l’un réagissant souvent de concert avec l’autre. C’est donc un travail de coopération de chacun sur le mode créatif qui s’échangent tout en respectant les positions de chacun : malade, famille et soignants.

De quelle façon les familles peuvent-elles solliciter l’aide du personnel soignant ?
Les familles sont un intermédiaire précieux entre les malades et les soignants par le langage et l’expression des souffrances d’un malade. Comme chacune des personnes de ce « trio créatif » quand il est de concert entre les malades, les familles et les soignants – chacun perçoit les « choses » d’une façon différente : c’est tout l’art de la richesse des échanges des humains. Cette richesse humaine commune à chacun n’empêche nullement le chevauchement des rôles spécifiques entre professionnels et non professionnels.

Quels rôles occuperont, à l’avenir, les unités de soins palliatifs au sein du parcours de soin ?
Il est impossible de répondre à cette question aujourd’hui dans le mouvement historique des soins palliatifs pris dans la mouvance des multiples changements actuels sur le système de santé. Mais le point clé est « un esprit du souci de l’autre ». Cette « notion de souci de l’autre » définit, en réalité, l’éthique médicale et se fonde sur la réflexion par le « jugement médical » qui sert d’outil fondamental. En effet, toute technologie n’est pas forcément adaptée à la réalité de la situation de la personne malade et/ou de sa famille et/ou des soignants (moyens non disponibles…). Tout l’enjeu de l’avenir se trouve à ce niveau : travailler grâce à l’interdisciplinarité interprofessionnelle et au dialogue constant avec les malades et les familles, un « jugement médical ouvert, créatif et libre ». C’est un véritable exercice d’humanisme qui demande de s’y exercer. Dans la pratique quotidienne médicale et soignante, le maître mot reste un esprit de dialogue et de bienveillance en vue de son soulagement. Il s’agit toujours de revenir à la parole échangée entre malades, familles, soignants : c’est le point central et crucial. Accorder toujours la priorité à la clinique du malade et non agir sur la maladie sans prendre en considération le malade, qui devient alors réduit à un numéro au sein d’un listing de protocoles.

Propos recueillis par Jérémie Salinger, éditions Lamarre

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