Cultivons l’esprit scientifique - Objectif Soins & Management n° 396 du 01/09/2018 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins_Hors série n° 396 du 01/09/2018

 

PERTINENCE DES SOINS

DOSSIER

Véronique hunsinger  

L’harmonisation des pratiques apparaît de plus en plus comme un objectif qui sous-tend la philosophie des soins infirmiers. Facteur de qualité et de montée en compétences, ne risque-t-elle pas aussi de brider l’autonomie des infirmières ?

Dans le champ de la médecine, l’harmonisation des pratiques est un processus progressif qui a été lancé depuis plusieurs dizaines d’années, en particulier sous l’impulsion des sociétés savantes. Mais l’étape décisive a probablement été la création, en 1996, de l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation de la santé (Anaes), qui avait notamment pour mission de formuler des recommandations pour améliorer la qualité des pratiques professionnelles et des soins. En 2004, la Haute Autorité de santé (HAS) a remplacé l’Anaes et a su devenir une institution incontournable en produisant, chaque année, des dizaines de recommandations. La ministre de la Santé, Agnès Buzyn, qui a présidé le collège de la HAS pendant un an avant son entrée au gouvernement, insiste régulièrement sur l’importance de l’évaluation scientifique.

Par ailleurs, l’harmonisation des pratiques s’inscrit dans un mouvement international en faveur de l’Evidence-based medicine (EBM), autrement dit la « médecine par les preuves ». Dans le domaine des soins infirmiers, l’harmonisation des pratiques renvoie également à l’idée qu’il « faut essayer d’identifier la bonne intervention, réalisée correctement, pour le bon patient », analyse Christophe Debout, infirmier anesthésiste, docteur en épistémologie et philosophie des sciences, qui enseigne à l’École des hautes études en santé publique (EHESP). Le sujet est, selon lui, tout d’abord relié à la question de la pertinence des soins, mise en avant par la HAS et Agnès Buzyn. « Cette démarche, qui vise à faire le bon choix, implique de questionner constamment ses pratiques », poursuit-il.

Même si elle n’est pas toujours formulée en tant que telle, l’harmonisation est une « idée qui traverse imparfaitement les pratiques, juge Chantal Bauchetet, cadre de santé retraitée. Celles-ci sont beaucoup moins harmonisées chez les infirmières que chez les médecins. On travaille encore beaucoup trop “au feeling” et c’est difficile de savoir ce qui marche bien ou non, faute d’avoir davantage de procédures précises. » Un avis partagé par Monique Montagnon, ancienne coordinatrice des soins et collaboratrice occasionnelle de la HAS. « Il n’y a pas de concept d’harmonisation des pratiques dans le domaine infirmier, contrairement au milieu médical où elle est déjà loin d’être appliquée à 100 % », tranche-t-elle. L’hétérogénéité des pratiques est un « phénomène fréquent, reconnaît également Christophe Debout. Elle est due à une obsolescence des connaissances et une évolution rapide des technologies, qui impliquent de devoir remettre fréquemment l’ouvrage sur le métier. »

De soi dans le soin

Au niveau de la formation initiale, l’harmonisation des pratiques fait cependant son chemin. Un tournant a été pris avec la réforme de l’universitarisation, engagée en 2009, en particulier par le biais du référentiel qui dessine un cadre commun dans les plus de 300 instituts de formation en soins infirmiers (Ifsi) du territoire. Ce programme inclut notamment l’apprentissage de la démarche d’analyse des pratiques professionnelles (APP) ainsi que des situations ou des activités. Dans les faits, les étudiants en soins infirmiers se confrontent effectivement sur leur terrain de stage à l’hétérogénéité des pratiques. « Pour l’étudiant, cela peut s’avérer compliqué de poser des questions aux infirmiers dans ces cas-là car le professionnel peut croire qu’on remet en cause sa pratique alors que c’est simplement pour comprendre, raconte Ludivine Gauthier, présidente de la Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers (Fnesi). En revanche, au retour de stages, nous avons des sessions d’APP qui nous permettent de discuter des situations que nous avons observées. On questionne les pratiques et on cherche à comprendre si elles nous semblent sortir du cadre afin d’essayer de retrouver la logique du soin. »

La notion d’harmonisation des pratiques n’est pas « définie de façon claire, abonde Delphine Rivier, cadre de santé formatrice à l’Ifsi du centre hospitalier de Béziers. C’est indispensable mais, dans le même temps, il faut penser que chaque soignant est une personne singulière, qui respecte un cadre mais apporte aussi quelque chose de ses expériences. L’APP permet de montrer aux étudiants qu’un soin peut être réalisé de manière tout à fait cohérente avec les bonnes pratiques, tout en apportant quelque chose de soi-même. En stage, l’étudiant voit différentes manières de faire et il doit trouver la sienne. »

Ce consensus entre formateurs et étudiants est toutefois nuancé par Monique Montagnon, qui juge dommage que les cadres qui enseignent dans les Ifsi ne soient plus eux-mêmes au “lit du malade”. « Il y a davantage d’harmonisation des pratiques chez les Iade et les Ibode car il y a une corrélation plus forte entre ce qu’ils apprennent à l’école et ce qu’ils voient dans les services, estime-t-elle. De la même manière que les professeurs de médecine sont également des praticiens hospitaliers, il faudrait que les enseignants des Ifsi continuent à exercer à l’hôpital. » Cette idée avait été envisagée au moment de la réforme de 2009 mais a finalement été abandonnée.

La formation continue est également jugée par Christophe Debout comme un moyen de favoriser l’harmonisation des pratiques. « L’obligation de développement professionnel continu (DPC) va favoriser cette dynamique mais ce n’est pas le seul, juge-t-il. La restructuration de la formation continue a abouti à une définition d’objectifs jugés prioritaires pour la qualité. Mais ce qui est important, c’est de voir comment l’approche réflexive est favorisée dans les services. L’environnement de travail est capital. » De la même façon, on peut penser que les démarches de certification des établissements par la HAS vont dans la même direction. « Le point de départ de la certification, c’est la démarche qualité, rappelle néanmoins Monique Montagnon. On va regarder, par exemple, la prise en charge de la douleur ou la sécurité du circuit du médicament. Le but est d’arriver à une certaine homogénéité des pratiques autour d’un patient. Mais cela concerne l’ensemble des acteurs auprès du malade et, en ce sens, ce n’est pas tout à fait la même chose qu’une harmonisation des pratiques au sein de chaque profession. »

Manque de temps et de formation

Dans le même temps, pour la profession infirmière, les freins semblent encore nombreux - le plus évident étant le manque de temps dans les services pour autre chose que le soin. « Il est vrai que, dans la vie des établissements, c’est compliqué de pouvoir se poser pour réfléchir collectivement aux pratiques », abonde Christophe Debout. Dans les services, les cadres sont aussi de moins en moins présents. « On voit de moins en moins de cadres regrouper régulièrement les infirmières pour donner des informations, confirme Chantal Bauchetet. La notion même de compagnonnage et de transmission dans les équipes est en train de disparaître. »

On ne saurait nier que les résistances à l’harmonisation des pratiques sont aussi parfois culturelles. « Une partie des réticences est liée au manque de formation, regrette Chantal Bauchetet. On reste trop sur des savoirs acquis. Nous sommes peut-être également une profession qui n’aime pas trop la contrainte. » L’harmonisation peut aussi faire craindre aux soignants une remise en cause de leur autonomie. « Une décision clinique peut aller dans le sens d’une recommandation ou non, à condition qu’elle soit réfléchie et argumentée », oppose néanmoins Christophe Debout à cette inquiétude.

On fait bien ce qu’on a toujours fait de la même manière, peut-on aussi entendre parfois. « Les soignants peuvent parfois avoir tendance à dire que, puisqu’on a toujours fait de cette façon, il n’y a pas de raison de changer, admet Christophe Debout. C’est d’ailleurs un sujet auquel s’est intéressée l’Organisation mondiale de la santé. » Dans une monographie publiée l’année dernière et intitulée « Faciliter la pratique fondée sur les données probantes en soins infirmiers et obstétricaux dans la région Europe », cette dernière souligne une certaine résistance aux changements chez les professionnels. « C’est pourquoi il est important que cette approche d’harmonisation des pratiques soit intégrée dans un projet de service et qu’elle soit soutenue par la culture scientifique de l’établissement », ajoute Christophe Debout.

Mobiliser le patient

Le patient peut également, dans une moindre mesure, jouer un rôle. « Le malade ne peut pas juger de lui-même de l’évolution d’une situation, relativise néanmoins Marjorie Cabrol, infirmière coordinatrice Cicat Languedoc-Roussillon. Si je change un protocole parce que sa plaie a évolué, il ne peut pas savoir si c’est ou non une bonne pratique. » Cependant, pour Christophe Debout, « le patient va probablement être de plus en plus, dans les prochaines années, un facteur essentiel à l’harmonisation des pratiques. » Il en veut pour preuve la publication, sur le site de la HAS, de nombreux documents à destination des patients. Ainsi, par exemple, des “guides patients” sont mis à disposition du public pour l’ensemble des affections de longue durée (ALD). « L’idée est bien d’amener le patient et son entourage à poser des questions sur les pratiques, analyse Christophe Debout. Cette idée est également soutenue par l’émergence des patients experts. Tout cela ne peut avoir qu’un effet stimulant et enclencher un cercle vertueux. »

Y aurait-il pour autant des domaines du soin se prêtant davantage à l’harmonisation des pratiques que d’autres ? « Non, c’est un mythe de croire que plus le soin est technique, plus il est facile de l’harmoniser, répond Christophe Debout. Tout type de soin, qu’il soit de base, éducatif ou relationnel, peut être intégré dans cette démarche puisque, comme on l’a dit, harmoniser ne veut pas dire uniformiser les pratiques mais les questionner. » Il reste cependant que certains sont plus protocolisés que d’autres. On peut, par exemple, penser aux protocoles sur les greffes de moelle ou sur la prise en charge des grands brûlés. Historiquement, une des premières recommandations de l’Anaes concernant les soins infirmiers fut celle sur « la prévention et le traitement des escarres de l’adulte et du sujet âgé », en 2001.

Des bienfaits de la recherche infirmière

La production de recommandations a également partie liée avec la recherche. « L’harmonisation a besoin d’une recherche qui ne soit pas seulement fondamentale mais aussi clinique, estime Monique Montagnon. Il faut que nous ayons des références infirmières fortes aux côtés des références médicales. » Ainsi, dans le domaine des plaies et cicatrisations, un travail a pu être développé à l’Institut Curie, à Paris, grâce à la présence d’une des premières infirmières à avoir eu un doctorat. Enfin, outre les sociétés savantes où les infirmières ont pu prendre une place, comme la Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD) ou encore la Société française d’accompagnement et des soins palliatifs (Sfap), les associations peuvent également avoir un rôle à jouer dans ce domaine.

C’est notamment le cas de l’Association francophone des soins oncologiques de support (Afsos), qui encourage la formation de groupes de travail afin de promouvoir la recherche dans ce domaine et qui a produit à ce jour près de 80 référentiels. Chantal Bauchetet est responsable du groupe sur les équipes de soins. « Tous les ans, nous choisissons des thèmes sur lesquels nous voudrions élaborer des référentiels et nous y travaillons en groupe pendant plusieurs mois, raconte-t-elle. Ces référentiels passent ensuite par des groupes de relecture et sont discutés lors des journées interrégionales. Selon les thèmes, certains groupes sont plus médicaux, comme pour le traitement des thromboses, et d’autres plutôt composés de soignants non médicaux, comme pour l’organisation pratique des soins oncologiques de support. » Ces référentiels sont mis à disposition sur le site de l’Afsos et présentés dans les formations et les congrès pour que les professionnels puissent se les approprier. De même, des collectifss purement infirmiers très spécialisés, telle l’Association française des infirmiers de thérapie cellulaire hématologie, oncologie et radiologie (Afitch-OR), contribuent à l’harmonisation des pratiques par leurs travaux. « On y travaille sur beaucoup d’outils », explique Chantal Bauchetet, qui en est la vice-présidente et invite les infirmières à s’engager dans ce type de structure. Ce n’est, en effet, que de cette façon, portée par la profession et le terrain, que pourra se développer une véritable démarche d’Evidence-based nursing (EBN), à l’image de l’Evidence-based medicine (EBM). « C’est le même principe dans les deux cas, souligne Monique Montagnon. La recherche est indispensable pour pouvoir prouver qu’il est préférable de faire un soin de telle ou telle façon, et d’ainsi harmoniser les pratiques. » Pour l’heure, l’EBN s’est surtout développée dans les pays anglo-saxons, en particulier au Canada. Un pays où les infirmières sont également beaucoup plus autonomes des médecins, donc peut-être aussi moins inquiètes que l’harmonisation des pratiques puisse les mettre davantage sous tutelle.

CAS CLINIQUE

Prévention de la douleur chez le nouveau-né lors d’un soin

Antonin, né à terme il y a deux jours, 3 k 650, doit bénéficier d’un prélèvement veineux pour un examen de dépistage de maladies métaboliques ou génétiques. Ce prélèvement doit se faire dans le respect des règles de bonnes pratiques en matière de prévention de la douleur, comme des règles d’hygiène et d’asepsie.

La puéricultrice charge l’étudiante d’informer la maman du soin et de lui demander si elle est d’accord pour qu’il se déroule lors d’une tétée d’Antonin. L’étudiante s’étonne que ce geste invasif soit associé à l’allaitement. Elle demande à la puéricultrice s’il n’existe pas un risque que le bébé associe la douleur à l’allaitement et, de ce fait, refuse ensuite le sein.

La puéricultrice explique à l’étudiante qu’en matière de prévention de la douleur pour ce geste, les recommandations professionnelles font suite à des études qui ont mis en évidence que l’administration d’une solution sucrée associée à la succion ou la mise au sein du bébé permettaient à l’enfant de vivre ce geste sans ressentir de douleur. Compte tenu du scepticisme de l’étudiante, la puéricultrice lui propose de l’accompagner lors de la sollicitation de la maman afin d’intégrer la manière de donner l’information, et ensuite d’observer le nouveau-né lors du prélèvement le lendemain, en utilisant une grille d’évaluation de la douleur adaptée (en l’occurrence la douleur aiguë du nouveau-né, DAN). Au moment de la tétée, la soignante a préparé son matériel, la maman est correctement installée pour allaiter dans un fauteuil. Antonin est mis au sein.

La soignante attend deux minutes pour réaliser le geste. La maman poursuit l’allaitement maternel tout en parlant à Antonin, en lui caressant la joue pour le maintenir calme, en particulier au moment où la soignante introduit l’aiguille à travers la peau de l’enfant, puis dans la veine. La tétée est poursuivie au-delà du prélèvement sanguin. Antonin n’a pas manifesté de signes de douleur.

Références : www.cnrd.fr/Utilisation-d-une-solution-sucree.html

RÉORGANISATION

HARMONISER, UN BON LEVIER DE COMPÉTENCES

En 2014, le CHU de Rennes a achevé sa stratégie de regroupement des unités d’orthopédie sur un seul site. L’occasion pour Nelly Chenevière, la cadre de santé, de réfléchir à une harmonisation des pratiques.

Les quatre unités n’avaient pas la même activité, l’une accueillait les patients opérés du rachis et du membre supérieur, une autre recevait les opérés du membre inférieur, une troisième les patients souffrant d’une infection ostéo-articulaire et la dernière, les patients arrivant en post-urgences. Une unité n’accueillait que des patients programmés et une autre que des patients post-urgences », raconte la cadre. Le projet du nouveau service d’orthopédie était de mutualiser les parcours patients même si les unités gardaient une mission spécifique.

Des différences jour/nuit

La mutualisation des équipes de nuit sur quatre unités a demandé à l’équipe d’infirmières de nuit de développer une polyvalence et d’acquérir certaines compétences. « Il a donc fallu écrire les pratiques de soins et permettre aux équipes d’acquérir les compétences pour toutes les situations. Le partage de compétences s’est également fait sur le mode du tutorat. »

Le programme suit une logique progressive (les unités accueillant les patients programmés, traumatologie post-urgences, septique…) et l’adhésion des infirmières s’est faite petit à petit pour être complète en deux ans. Une nécessité d’harmoniser les pratiques est également apparue entre les équipes de nuit et les équipes de jour mais la démarche a été loin d’être évidente.

Travailler ensemble

« J’ai choisi de commencer à travailler sur la voie veineuse périphérique : un problème de non-respect de recommandation était signalé par la correspondante hygiène de nuit, explique Nelly Chenevière. C’était important de travailler ensemble, équipe de jour et de nuit, sur un projet et de valoriser les équipes et le sentiment d’appartenance. »

La cadre met ainsi en place un projet d’évaluation des pratiques professionnelles (EPP) pour « faire travailler les infirmières ensemble et faire en sorte que chacun parle du travail de l’autre ». « Par le biais de l’harmonisation des pratiques, on a amélioré les compétences de chaque professionnel, estime la cadre de santé. Cela permet de développer la capacité de chacun à prendre sa place et à développer une véritable intelligence d’équipe. »

Les bénéfices de l’harmonisation des pratiques vont même au-delà, selon elle, car elle permet aussi d’avoir un discours cohérent face au patient.

CANCERS PÉDIATRIQUES

« IL NE SUFFIT PAS D’ÉCRIRE UN PROTOCOLE POUR QU’IL SOIT APPLIQUÉ PARTOUT »

Lucie Méar, infirmière coordinatrice, est chargée de communication au sein du Réseau Île-de-France hématologie oncologie pédiatrique. Cette structure œuvre à l’harmonisation des pratiques entre les différents établissements accueillant des enfants franciliens atteints d’un cancer.

Le Réseau Île-de-France hématologie oncologie pédiatrique (Rifhop), créé en 2007, a pour objectif premier d’améliorer la qualité de vie des enfants soignés pour un cancer dans la région. Pour autant, « l’harmonisation des pratiques est un de nos objectifs secondaires depuis le départ », précise d’emblée Lucie Méar, infirmière coordinatrice au Rifhop. En effet, les 500 enfants de 0 à 18 ans, diagnostiqués chaque année dans la région, sont initialement pris en charge dans cinq centres spécialisés parisiens (Curie, Trousseau, Robert-Debré, Gustave-Roussy et Saint-Louis) puis suivis, en inter-cures notamment, en hôpital de jour dans les services de pédiatrie de l’un des 25 établissements franciliens près de chez eux.

Chacun sa méthode

« Il y a beaucoup d’équipes qui interviennent autour d’un même enfant. Il est donc essentiel d’harmoniser les pratiques entre nous, c’est un besoin qui vient du terrain », fait valoir Lucie Méar. Dans chaque service de pédiatrie, un médecin possède un diplôme interuniversitaire d’oncologie pédiatrique (DIU-OP) et les équipes infirmières sont également spécifiquement formées. Les enfants peuvent aussi être pris en charge dans des centres de soins et de réadaptation, ainsi qu’à domicile. « Chacun de ces cinq centres spécialisés a sa propre culture de service historique, note Lucie Méar. Par exemple, à Robert-Debré, les enfants vont, en général, être porteurs d’un cathéter à émergence cutanée qui nécessite un pansement occlusif sur plusieurs mois, voire plusieurs années. L’entretien de ce cathéter suppose que la technique du pansement soit la même partout. Il ne faut pas faire un pansement à la façon de Robert-Debré à un enfant qui vient de Trousseau. C’est l’exemple type où on s’était dit qu’il fallait harmoniser les pratiques. »

Travail collectif

Dès 2008, le Rifhop crée des groupes de travail dans ce but, la plupart du temps pluridisciplinaires, en commençant par les voies veineuses centrales. Le groupe se réunit trois à cinq fois par an, étudie les recommandations existantes, échange par mails, propose des protocoles qui sont ensuite mis en page par Lucie Méar. Par la suite, le protocole est relu et est validé par les chefs de service des cinq centres de référence.

Riche documentation

Aujourd’hui une centaine de protocoles, certains purement médicaux, d’autres infirmiers ou transversaux ou même destinés aux familles, ont été pensés, écrits et partagés : prise en charge de la neutropénie fébrile, anticancéreux au domicile, pose de sonde nasogastrique… « Parfois, il faut plusieurs mois pour mettre tout le monde d’accord, surtout quand des services ont des habitudes très différentes depuis longtemps, souligne Lucie Méar. Il ne suffit pas d’écrire un protocole pour qu’il soit appliqué partout, l’acculturation peut prendre du temps. » Ce travail de longue haleine passe notamment par les IDE coordinatrices qui sont sur le terrain mais également par le journal du réseau, les classeurs contenant les protocoles laissés dans les services et les journées de formation du Rifhop. Lucie Méar travaille aussi actuellement sur un projet d’application qui permettra d’avoir tous les protocoles sur son smartphone, même sans connexion Internet.

Des vidéos de tutoriels ont également été réalisées, notamment sur les voies veineuses centrales.

Elles pourraient figurer sur l’application via YouTube. Le travail d’harmonisation des pratiques du Rifhop a également inspiré la Société française des cancers de l’enfant qui s’en inspire pour ses propres fiches, notamment sur la chimio-thérapie en hôpital de jour.

THÉRAPIES NON MÉDICAMENTEUSES

En quête d’outils d’évaluation

Aujourd’hui, patients et soignants ont de plus en plus recours aux thérapies non médicamenteuses (TNM). Un signe : le nombre de publications scientifiques y référant dépasse celui du médicament depuis 2010(1). Ce qui pose la question de l’évaluation de leur efficacité. Or, l’EBM a été créée sur le modèle de la médecine occidentale, dont les méthodes ne sont pas toujours adaptées. Comme l’affirmait Bruno Falissard, directeur de l’Unité mixte de recherche (UMR 669) de l’Inserm Université Paris-Sud, durant une conférence(2) : « Aujourd’hui, l’essai randomisé en double aveugle est devenu un totem. Il faut avoir du recul en se demandant s’il existe des situations où cela pose problème. » Cette méthode, très utile pour l’évaluation de traitements médicamenteux, est convaincante « pour répondre à une question thérapeutique simple. Le problème, c’est que la plupart des questions thérapeutiques ne sont pas simples, a fortiori dans les TNM », ajoutait-il. L’essai randomisé ne prend pas en compte le contexte propre au patient, dans lequel le traitement est prescrit (vie de famille, par exemple). Ce contexte importe davantage dans le cadre des TNM et, de fait, le design de l’essai randomisé est moins adapté. Bruno Falissard préconise une triple approche : les essais randomisés, l’approche qualitative et les systèmes d’analyses de données de l’Assurance maladie, afin d’analyser l’évolution des prescriptions.

HÉLÈNE TRAPPO

1- Rapior S., Carbonnel F., Trouillet R., Amadori F., Ninot G., Rivière L., Maître J., « Motrial, le premier méta-moteur de recherche des études cliniques sur les INM », Hegel, vol.8, 2018.

2- iCEPS Conference 2013, voir sur : bit.ly/2Kv10s4.

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