La simulation, un gestionnaire de qualité - Objectif Soins & Management n° 248 du 01/09/2016 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins_Hors série n° 248 du 01/09/2016

 

Qualité & Gestion des risques

Dr Thierry Secheresse*   Olivier Picard**  

Dans les deux articles ci-après, la relation entre la qualité et la simulation en santé est explorée.

Faut-il faire mourir le simulateur ?

Dans le contexte actuel de développement de la simulation en santé, la question de la mort du simulateur est régulièrement posée. La réponse est cependant loin d’être uniciste et reste complexe, et ce, d’autant plus que la littérature est relativement pauvre sur ce sujet(1). Tout professionnel de santé est régulièrement confronté à la mort du patient sans pour cela se sentir parfaitement préparé. La simulation en tant qu’environnement contrôlé et sécurisé pourrait être un outil pédagogique pertinent, permettant aux professionnels de santé de se confronter à cette situation. Dans le cadre de la simulation haute-fidélité pleine échelle(2), du fait même de l’authenticité de la situation, on est en droit de s’interroger sur l’impact émotionnel et psychologique du décès du patient sur l’apprenant. Les questions qui se posent alors au formateur sont celles de la mise en place d’un safe environement garantissant la sécurité affective des apprenants et de la gestion spécifique du débriefing. Leighton(3) décrit schématiquement trois types de décès du patient pouvant survenir en simulation.

• La mort du patient est attendue et prévue. L’objectif de la session de simulation est en lien avec le décès du patient et les événements qui en découlent. Il s’agit alors de scénarios à dynamique lente (par exemple objectifs relationnels d’annonce du décès et d’accompagnement de la famille).

• La mort du patient est inattendue mais résulte de la situation clinique et s’inscrit dans une logique d’évolution de la pathologie. La dynamique du scénario peut être lente (décès du simulateur par limitation ou arrêt de thérapeutique active) ou rapide (décès brutal du simulateur à la suite d’une pathologie aiguë). Dans ces deux cas, l’objectif pédagogique est de confronter les professionnels à cette situation, certes douloureuse, mais réelle, afin d’initier, lors du débriefing, une pratique réflexive sur cette situation.

• Plus problématique est la troisième situation. Le décès du simulateur est directement imputable à l’action ou la “non-action” des participants (erreur dans l’injection des médicaments par exemple). Dans ce cas, une crainte, justifiée ou non, de répercussion sur les participants est régulièrement évoquée. Turner et al.(4) ont ainsi montré un effet négatif de la mort du patient simulé sur le sentiment d’efficacité personnelle des participants soutenant ainsi la règle implicite de ne pas faire mourir le patient. Certes, dans de telles situations, des stratégies d’échappement existent (intervention du facilitateur, arrêt du scénario…). A contrario, les formateurs doivent être attentifs à ne pas créer de situations cliniques “non physiologiques” sous prétexte de protéger les apprenants, avec pour conséquence un risque élevé d’apprentissage négatif (par exemple la récupération d’un patient en arrêt cardiaque malgré une réanimation mal conduite).

Trois éléments apparaissent alors fondamentaux dans l’organisation pédagogique de la session de simulation :

• le pré-briefing où sont rappelés les éléments concourant à la sécurité affective des participants (objectifs, règles, confidentialité…) et où la possibilité de décès du patient est explicitement annoncée ;

• le débriefing qui doit être réalisé selon une approche « avec bon jugement »(5) en s’intéressant au “qu’est-ce qui a fait que” d’une action tout en intégrant l’importance des facteurs situationnels dans le déterminisme des actions ;

• l’importance pour les participants de réaliser une nouvelle situation de simulation permettant de recontextualiser les éléments abordés pendant le débriefing afin de ne pas rester sur un sentiment d’échec (voir étape d’expérimentation active du cycle de Kolb(6)).

Simulation multidisciplinaire : haute-fidélité et communication

« Un code rouge en salle 5, c’est une procidence ! Sandrine, prévient l’équipe d’anesthésie et Dr Xatral (l’obstétricien) ! Nathalie est au maintien de la tête pendant le transfert en salle de césar ! » Cette séance est organisée dans un niveau de simulation haute-fidélité dans le cadre d’une formation continue. Dans notre plateforme, ce type de formation est organisé trois à quatre fois par an pour le personnel du CHU (mais peut être envisagé pour des équipes extérieures). Les situations complexes s’adressent à des équipes. On retrouve ensemble : obstétriciens, sages-femmes, aides-soignants d’un côté, et infirmiers et médecins anesthésistes de l’autre, plus ou moins des internes de chaque spécialité.

OBJECTIFS

Ces situations complexes sont basées sur des objectifs répartis sur deux plans.

• Au niveau cognitif, d’une part, nous sommes plus dans une dimension procédurale que sur du savoir pur. Ce type d’urgence ne pose pas de problème diagnostic, mais le temps est compté afin de préserver la vie du nourrisson qui tentait de sortir. Cette situation d’urgence suit une procédure respectant les recommandations des sociétés savantes et de la Haute Autorité de santé et les arbres décisionnels rédigés localement. Le but est d’agir le plus efficacement et rapidement possible. La parturiente doit impérativement être anesthésiée. L’équipe obstétricale quant à elle doit pouvoir réaliser ladite césarienne dès l’accord des anesthésistes.

• D’autre part, il s’agit concrètement d’analyser tous les aspects non techniques, qui regroupent le comportement et les interactions (management des ressources de crise). Une communication efficace est prépondérante car les relations au sein de chaque équipe impactent le fonctionnement de l’équipe. Le véritable enjeu réside dans la présence de deux équipes complètes, chacune ayant des objectifs complémentaires mais différents. La communication doit être efficace au sein de ces équipes mais aussi entre ces deux pôles, l’anesthésie et l’obstétrique.

CONTRAINTES

Malgré des intérêts évidents, il est difficile de mettre en place beaucoup de séances de ce type, car les contraintes sont nombreuses :

• trouver des locaux pour accueillir les deux équipes ;

• trouver des débriefeurs (au moins deux) formés et des experts pour chacune des deux équipes (astuce : le débriefeur peut aussi être expert) ;

• mener un débriefing pertinent pour les deux équipes en maintenant la qualité.

PERTINENCE

De manière générale, la simulation multidisciplinaire trouve une pertinence dans la notion d’entraînement, mais aussi parce que :

• elle apporte une réelle amélioration des pratiques dans la prise en charge des situations critiques en obstétrique ou pour d’autres modes d’exercices* ;

• une mise en valeur des pratiques et des compétences de chaque professionnel est un effet rebond positif de la résolution de telles situations ;

• ce type de formation s’inscrit dans une prise en charge globale des risques et peut ainsi répondre à des attentes tant au niveau national (type Pacte) que local en lien étroit avec les cellules consacrées (GRS, Crex…).

NOTES

(1) Corvetto, M. & Taekman, J. (2013). “To die or not to die ? A review of simulated death”. Sim Healthcare, 8, 8-12.

(2) Pastré, P. (2005). “Apprendre par la résolution de problèmes : le rôle de la simulation”. In P. Pastré (Ed.), Apprendre par la simulation. De l’analyse du travail aux apprentissages professionnels (pp.17-40). Toulouse : Octares Editions.

(3) Leighton, K. (2009). “Death of a simulator”. Clinical Simulation in Nursing, 5, e59-e62.

(4) Turner N., Lukkassen I., Bakker N., Draaisma J. & ten Cate TJ. (2009) “The effect of the APLS-course on self-efficacy and its relationship to behavioural decisions in paediatric resuscitation”. Resuscitation, 80 (8), 913-918.

(5) Rudolph, J., Simon, R., Rivard, P., Dufresne, R. & Raemer, D. (2007). “Debriefing with good judgment: Combining rigorous feedback with genuine inquiry”. Anesthesilogy Clinics, 25, 361-376.

(6) Kolb D. A. (1984) “Experiential Learning: experience as the source of learning and development”. New Jersey: Prentice-Hall.

* Fransen AF, van de Ven J, Merien AE, et al. “Effect of obstetric team training on team performance and medical technical skills: A randomised controlled trial”. BJOG 2012;119:1387-93-(Brindley PG, R EynoldssF. Improving verbal communication in critical care medicine).