L'empathie, la soft skill incontournable ? - Objectif Soins & Management n° 268 du 01/04/2019 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 268 du 01/04/2019

 

Le sens des mots et des idées

So Straga  

Les neurosciences dévoilent, jour après jour, les connexions responsables des comportements humains. L'empathie n'échappe pas à cette règle : le cortex, l'insula, l'amygdale... chacun contribue à la régulation de cette « juste distance », indispensable dans la relation de soins. Comment fonctionne cette capacité à s'identifier à autrui dans ce qu'il ressent, sans qu'il y ait cependant confusion entre soi et l'autre ?

Les scientifiques avouent que les neurones miroirs ne sont pas les seuls responsables du développement de l'empathie. Engager un processus d'empathie entraîne le déroulement de plusieurs étapes indissociables. L'empathie semble plus évidente chez certains que d'autres mais, bonne nouvelle... elle se cultive !

Une Philosophie animalière

La capacité de se poser à la place de l'autre pour mieux l'appréhender portait le nom d'Einfühlung chez les philosophes allemands du début du XXe siècle. Ce terme est devenu empathy chez les psychologues américains contemporains. En la matière, l'être humain n'a pas l'apanage ; depuis la nuit des temps, les mammifères agissent avec empathie les uns envers les autres. Comprendre l'état émotionnel de l'autre afin d'apporter une réponse adéquate génère un avantage certain dans les situations de crise, pérennisant la survie de l'espèce à travers les époques.

L'empathie contribue grandement à l'harmonie entre les êtres vivants ; elle est le fondement des rapports sociaux, car elle favorise la communication émotionnelle en connectant les personnes entre elles. Ce qui rend unique l'empathie humaine est la relation étroite qu'elle tisse avec l'expression orale et la prise de conscience. Observer les émotions de l'autre, les mettre en perspective pour ensuite analyser ce que cela provoque chez soi, c'est la base des rapports interpersonnels.

Les mécanismes de l'empathie

Frédérique de Vignemont, directrice de recherche au CNRS, parle de conditions d'empathie, qui seraient de quatre ordres : affectivité, similitude interpersonnelle, transmission causale et attribution :

• le sujet qui va développer le processus d'empathie entre d'abord dans un état affectif : douleur, angoisse... ;

• cet état ressemble à l'état de la personne observée ;

• l'état de la personne observée est la cause de l'état du sujet empathique ;

• le sujet empathique a conscience de la causalité des deux états.

Être en empathie avec une personne en souffrance, c'est s'en représenter la dimension subjective, sans ressentir la souffrance physiquement.

S'il existe une proximité affective entre les deux protagonistes, on parlera de sympathie ; si l'observateur est envahi par l'émotion du sujet observé, sans prise de recul, on parlera de contagion émotionnelle.

L'Empathie, soft skill indispensable du soignant

Faire preuve d'empathie dans la relation de soins se traduit généralement par une écoute active, une disponibilité, une attention prodiguée au patient. Au cours de ses études, quel que soit le soignant, l'accent est mis sur la connaissance du corps humain et ses dysfonctionnements. Les mécanismes de l'empathie ne sont que peu abordés, voire pas du tout, alors qu'il s'agit d'une des pratiques les plus complexes dans la relation soignant-soigné : être en mesure de comprendre la réaction (peur, colère...) du patient, au moment où il traverse une difficulté, lui faire savoir qu'on a compris reste l'offre de soins la plus appréciée. Le patient souhaite être pris en charge par des praticiens techniquement expérimentés, mais il demande en priorité des praticiens capables d'écouter ses plaintes. Traiter les patients comme des personnes et pas comme des objets : l'efficacité dans les soins n'exclut pas le respect et même une certaine dose de chaleur humaine.

Certains praticiens, craignant la contagion émotionnelle développent une attitude impassible, prônant la rationalité, l'efficacité, l'objectivité. Ce pourrait-il qu'il y ait conflit entre efficacité et empathie ? Les adeptes des soins rationnels prétendent que l'émotion empêche la lucidité lors de la prise de décisions thérapeutiques. Mais alors que faire de l'histoire du patient ? L'empowerment patient ne nécessite-t-il pas un ancrage contextuel du patient dans sa vie ? En l'absence d'empathie, le soignant connaît moins son patient, ce qui accentue la difficulté de prendre des décisions avec et pour le patient.

L'empathie est-elle limitée ?

On le conçoit aisément, le processus empathique exige un espace-temps important. Comment l'appliquer lorsque les consultations s'enchaînent à un rythme d'un patient toutes les dix ou quinze minutes ? Quelle est la place de l'empathie pour le soignant qui visite trente patients sur sa tournée ? Non, l'empathie ne se mesure pas, non l'empathie ne se facture pas. Quel message paradoxal pour ces praticiens : dépêchez-vous d'être empathiques !

Si le soignant est fatigué, peu considéré, malmené, en situation d'insécurité, on peut imaginer que l'humain qu'il est puisse se sentir lui-même vulnérable. Afin de se protéger, certains ont tendance à traiter les patients dans une sorte d'indifférence, de détachement, frôlant parfois le cynisme, se concentrant uniquement sur le versant physiologique de la pathologie.

Une autre question importante demeure : la source d'empathie est-elle inépuisable ? Lorsque le monde apparaît comme un immense lieu de souffrance, que les sans-domicile sont légion, que la précarité n'est plus le fait de personnes isolées ? Quand la population est constamment confrontée à ces difficultés, les soignants, faisant partie de cette population, abordent-ils leurs patients de la même manière ? L'empathie 2.0 est-elle aussi efficace qu'au siècle passé ?

Chercher la réponse à ces questions revient à chercher la réponse aux causes actuelles du mal-être des soignants qui réclament des moyens humains. Le praticien désire s'engager auprès de son patient, un engagement sous-entend des garanties, l'attitude empathique garantit véritablement la rencontre entre le soignant et le patient. Aider le patient est une chose, l'aider à se faire aider nécessite une synchronisation des émotions entre les parties.

En réalité, l'empathie gagnerait à être considérée comme une compétence parmi d'autres chez la personne ayant choisi un métier de relations de soins. Raison pour laquelle l'empathie chez ces personnes ne dépendrait pas d'une source, mais d'un état évolutif selon le degré d'apprentissage et d'acquisition de cette compétence. Car il ne s'agit pas de souffrir en permanence avec ses patients, mais d'accepter la souffrance des patients de façon permanente.

Améliorer sa capacité d'empathie

Gérer des soins avec empathie, c'est gérer les émotions du patient et gérer ses émotions de soignant, entrer en résonnance, accepter d'être touché par le vécu du patient. L'empathie du praticien contribue à diminuer le sentiment d'isolement du patient face à sa maladie.

Percevoir le malaise chez le patient et l'encourager à le verbaliser semble être la première étape de la mise en confiance : le patient se sentira légitime dans sa maladie. De la même manière que le praticien a appris les gestes de soins (prendre les paramètres, poser un cathéter...), il peut apprendre à adopter une attitude en phase, ainsi qu'à prononcer des paroles appropriées à la situation du patient. C'est de cette manière que le soignant déploie son soutien au patient, qui consulte explicitement pour des problèmes somatiques en premier lieu, requérant des gestes techniques...ne sachant pas lui-même que le corps ne peut être détaché de l'esprit.

Conclusion

L'intelligence artificielle permet dès aujourd'hui d'envisager différemment la prise en charge thérapeutique. Les algorithmes nous sont présentés comme des aides à la décision. Laurent Alexandre prédit la disparition pure et simple de certaines disciplines médicales. Ce changement de paradigme est une opportunité pour l'empathie ! Tout cet espace-temps récupéré pourra être consacré aux relations interpersonnelles, car dans un monde où la technicité médicale augmente, l'empathie sera d'autant plus essentielle à la mise en œuvre du comportement thérapeutique.

Bibliographie

    Pour en savoir plus sur l'empathie