Sédation profondeLe débat n'est pas clos - Objectif Soins & Management n° 267 du 01/02/2019 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 267 du 01/02/2019

 

Controverse

Propos recueillis par Anne-Lise Favier  

Le Centre national de soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPFV) a publié un rapport présentant un premier bilan de la loi Claeys-Leonetti en faisant le point sur la pratique de la sédation profonde et continue jusqu'au décès (SPCJD). Si pour le Pr René Robert, réanimateur, vice-président du CNSPFV et rapporteur de ce bilan, la SPCJD est encore une pratique qui a du mal à se mettre en place sur le terrain, le Dr Claire Fourcade, vice-présidente de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs estime pour sa part que la question ne se pose pas en ces termes. Une chose est sûre, le débat n'est pas clos.

Pr René Robert

Chef du service de réanimation du CHU de Poitiers. Vice président du Centre national soins palliatifs fin de vie (CNSPFV). Rapporteur du groupe de travail sur la sédation.

Dans quel contexte les travaux du CNSPFV ont-ils été menés, notamment par rapport à la loi Claeys-Leonetti ?

Pr René Robert

La mission du CNSPFV est de réfléchir et transmettre des informations sur les sujets éthiques et la fin de vie. En analysant la situation depuis la promulgation de la loi Claeys-Leonetti, nous nous sommes rendus compte qu'à la différence d'autres lois où l'on observe des « pour » et des « contre », là, on observait deux groupes contre, qui n'étaient clairement pas satisfaits de la loi telle qu'elle existe : ceux qui estimaient qu'elle n'allait pas assez loin et ceux qui trouvaient, au contraire, qu'elle allait trop loin. C'est une surprise de faire ce constat car en observant cette loi Claeys-Leonetti, je trouve qu'elle répond plutôt bien aux situations que nous rencontrons en réanimation. La première loi, dite loi Leonetti évoquait déjà cette notion de sédation profonde que le second texte, la loi Claeys-Leonetti a clarifié pour – je suppose – assurer une fin de vie confortable pour le patient sans qu'il n'y ait d'ambiguïté au regard de la loi. Cette volonté de clarification semble avoir engendré paradoxalement un clivage. La volonté de contribuer à la connaissance des dispositions légales et de contribuer à une réflexion pédagogique ainsi que des remontées du terrain témoignant de situations difficiles ou mal vécues, ont amené la réflexion du CNSPFV sur ce sujet.

Comment cette mission a-t-elle été menée ?

Pr R. R.

Comme pour chacun de nos travaux – l'année précédente nous avons travaillé sur les directives anticipées – nous avons des réunions de groupes de travail qui ne sont pas limitatives, c'est-à-dire que nous essayons d'être représentatif des différents métiers qui peuvent être concernés par la question : généraliste, psychologue, infirmière, association de patients, auxquels nous avons ajouté le regard de la Belgique – pour voir comment cela se passe à l'étranger- et l'éclairage de personnalités extérieures.

Votre travail a mis en exergue un paradoxe : alors qu'il vise à faciliter l'accès des patients à une sédation profonde et continue jusqu'au décès (SPCJD), vous soulignez que cela a pu constituer, en quelque sorte, un frein du fait d'une interprétation pratique et conceptuelle variable. D'ailleurs, la limite avec l'euthanasie ne semble pas forcément acquise non plus alors que la loi différencie clairement les deux. Comment l'expliquer ?

Pr R. R.

La loi vise à rendre possible, pour les patients, le droit d'accéder à une sédation profonde et continue jusqu'au décès (SPCJD). Dès lors, il faut définir clairement ce qu'est cette sédation et dans quel cas elle peut s'appliquer : ce n'est pas tant une histoire de dose mais plutôt un diagnostic de fin de vie à poser. Cette SPCJD s'adresse aux malades en fin de vie, incurables, avec des douleurs physiques ou psychologiques intolérables, au delà de toute ressource thérapeutique. Partant de ce principe, je ne pense pas qu'il faille fatalement attendre la complication ultime chez le patient pour dire qu'on est dans cette situation de fin de vie... Pour revenir à l'euthanasie, ce qui la distingue clairement de la SPCJD, c'est l'intentionnalité : c'est mettre fin à la vie pour soulager les souffrances et il faut accepter que parfois, cela puisse accélérer le processus de décès.

Vous pointez du doigt le fait que certains professionnels des soins palliatifs soient réservés par rapport à la SPCJD, ces derniers arguant que cette pratique n'est pas conforme à l'accompagnement qu'ils souhaitent apporter à leurs patients : est-ce quelque chose qui a explicitement été rapporté lors des entretiens qui ont été menés pour faire cette étude ?

Pr R. R.

Oui, cela ressort régulièrement : si l'on regarde ce qu'écrivent certains médecins des soins palliatifs, qui sont assez réservés sur l'application de cette disposition légale, c'est qu'ils ont peur que la demande du patient soit mal interprétée. La vision de la fin de vie est une notion très hétérogène : par exemple, si on regarde le rapport de la HAS, c'est une période définie comme allant de quelques heures à quelques jours, ce qui, pour moi, définit une fenêtre trop étroite et trop tardive pour définir la fin de vie.

Comment ce rapport et donc la mission que vous avez menée, peuvent-ils s'inscrire en complément du rapport de l'Igas sorti au printemps 2018 et évaluant l'application de la loi ?

Pr R. R.

Nous souhaitons donner des clés pour avancer : il faut continuer les efforts des professionnels et du grand public pour parler de la fin de vie. Il faut distinguer cette SPCJD de l'euthanasie en insistant sur le mot-clé de l'intentionnalité, on est là dans une démarche qui vise, en fin de vie, à être le moins inconfortable possible. Mais il faut assumer le fait que cet accompagnement de vie puisse parfois être associé à un processus d'accélération du décès : on parle de « confort de fin de vie ». La loi Leonetti a, pour moi, été un point majeur d'avancée dans ce domaine : la difficulté aujourd'hui est de donner des clés de réflexion éthique et de mettre le doigt sur certaines ambiguïtés pour ensuite les lever.

C'est d'ailleurs un point que le CCNE a soulevé dans son dernier avis sur la révision des lois de bioéthique (avis 129) lorsqu'il exprime sa volonté de réaliser un « travail de recherche descriptif et compréhensif des situations exceptionnelles, auxquelles la loi actuelle ne permet pas de répondre ».

Pr R. R.

Exactement.

Dans le rapport, vous dites qu'il faut organiser l'accès à SPCJD de façon à ce que les patients ne soient pas « otage » de la position des professionnels et qu'ils puissent y avoir accès sur l'ensemble du territoire et de manière égalitaire : n'y a-t-il pas déjà un problème à résoudre sur le maillage territorial des soins palliatifs ?

Pr R. R.

La question que je me pose c'est « est-ce que l'on a toujours besoin des soins palliatifs pour accompagner la fin de vie ? ». Le schéma idéal serait celui où le généraliste lui-même pourrait accompagner la fin de vie de son patient. Il y a donc là un problème de formation des soignants libéraux pour que cet accompagnement de fin de vie se fasse au domicile, ce que les patients souhaitent. Néanmoins les liens avec les professionnels des soins palliatifs sont très importants et les connexions qui permettent de solliciter leur aide doivent être bien établies.

La Société française d'accompagnement et de soins palliatifs est surprise par la conclusion du rapport qui est celle de dire que la SPCJD peine à se mettre en place sur le terrain, comme si, pour le CNSPFV, il y avait un « quota » à atteindre pour dire que « la loi est bien appliquée » ou non. Vous en parlez d'ailleurs en conclusion de votre rapport lorsque vous évoquez les difficultés des patients à se faire entendre sur cette demande, considérant ce « droit » comme acquis : a-t-on une idée précise du nombre de patients potentiellement concernés par cette demande ? Et sur les refus ?

Pr R. R.

Non et d'ailleurs, les soins palliatifs ne peuvent pas non plus apporter de données cliniques pour évaluer cette pratique. Il faut reconnaître une certaine réalité qui est celle constatée sur le terrain : certains se voient opposer un refus face à une demande de SPCJD. Il existe des centres où la politique du service fait opposition à cette sédation. Le point-clé reste selon moi la compréhension du mécanisme qui conduit à accepter à la demande du patient. Et en cela, les études sont nécessaires pour mieux cerner la problématique. Personnellement, je trouve que la loi Claeys-Leonetti est aboutie, mais il faut lui laisser le temps d'être bien comprise et donc continuer à faire de l'information et de la formation. La synthèse des états généraux de la bioéthique nous permettra peut-être de progresser encore sur ce point. Les choses vont dans le bon sens, il faut désormais bien comprendre l'intentionnalité de la démarche et l'assumer.

Dr Claire Fourcade

Responsable du Pôle de soins palliatifs de la polyclinique Le Languedoc à Narbonne. Vice présidente de la société française d'accompagnement et de soins palliatifs (SFAP).

Quel est votre avis sur la publication du rapport sur la SPCJD publié par le CNSPFV qui met en exergue les difficultés d'application de la loi Claeys-Leonetti ?

Dr Claire Fourcade

Tout d'abord, un point sur lequel je rejoins le CNSPFV, c'est que mourir demeure difficile en France. C'est un constat malheureusement trop fréquent de la part des familles. On meurt encore mal en France. Mais concernant ce rapport sur la SPCJD, à la SFAP, nous avons des points de divergence : la raison principale de ces difficultés est le manque de moyens pour les soins palliatifs et tant que des moyens suffisants ne seront pas disponibles, la problématique restera la même. De plus, le CNSPFV fait un point sur la SPCJD alors que dans la loi Claeys-Leonetti, bien d'autres points sont à retenir. En particulier la question des pratiques sédatives, qui font varier l'état de conscience des patients pour rendre supportable une situation qui l'est difficilement. Ce sont les soins palliatifs qui ont fait sortir ces pratiques de la réanimation pour améliorer la prise en charge des patients en fin de vie ; il me paraît donc surprenant d'entendre dire que ces mêmes soins palliatifs seraient un frein à l'utilisation de ces pratiques ! Il y a une grande responsabilité des médecins, pour éviter les dérives, c'est vrai, mais je pense qu'il est important de rester vigilant et de faire en sorte que l'on applique la loi de la façon le plus juste possible : ce dont on a vraiment besoin, c'est d'un cadre, pour que la loi soit bien appliquée.

A ce sujet, la SFAP va lancer une grande enquête sur les pratiques sédatives, en deux temps : un premier temps portera sur la prévalence des SPCJD et un second volet traitera du point de vue qualitatif... Depuis le vote de la loi nous avons travaillé sur la question en mettant en place des outils, en particulier sedapall qui est un outil de classification indispensable pour mieux connaître nos pratiques, ceci afin d'éclaircir les sujets dont on parle mais aussi des fiches-repères, sur ce qu'est un pronostic vital engagé à court terme et sur la définition des douleurs réfractaires. Une veille bibliographique internationale est également en place : nous récupérons l'ensemble de ce qui se publie sur le sujet pour ensuite mieux répondre à la souffrance de nos patients.

Comment réagissez-vous au fait que le CNSPFV ne vous ait pas consulté pour cette étude ?

Dr C. F.

La SFAP regrette que depuis sa création, le CNSPFV ait une position idéologique si marquée et travaille si peu avec les professionnels des soins palliatifs ; il n'y a pas de relation de confiance. Le centre semble penser que les soignants sont un obstacle, ce qui est un non-sens.

L'IGAS a publié un rapport sur l'évaluation de la loi Claeys-Leonetti, la HAS a sorti un guide sur le « comment mettre en œuvre cette sédation profonde et continue jusqu'au décès », puis enfin est arrivé ce rapport sur CNSPFV : que signifient ces publications ? Que la loi est encore mal connue, mal comprise, mal interprétée ?

Dr C. F.

Dès le vote de la loi, il y a eu une demande de certains pour aller plus loin avec une nouvelle loi, notamment pour demander la dépénalisation de l'euthanasie. Il faut évaluer la loi Claeys-Leonetti, lui laisser le temps d'être mise en œuvre, avant toute autre étape. Beaucoup reste à faire sur le terrain et cela doit passer en premier lieu par une amélioration du maillage territorial. Le guide de la HAS est très complet, mais il fait 35 pages : nous souhaitons produire des outils plus simples sur certaines questions théoriques et pratiques qui se posent à l'application de la loi. La ministre a annoncé un nouveau plan triennal sur les soins palliatifs, dont le volet formation est essentiel : tous les étudiants en santé devraient bénéficier au cours de leur formation d'un stage de sensibilisation aux soins palliatifs. L'accompagnement des soignants se met petit à petit en place, avec des groupes de parole – la SFAP travaille actuellement à l'élaboration de pallia-stress, un outil de dépistage du stress face aux difficultés rencontrées par les soignants en soins palliatifs : on ne peut pas attendre qu'une équipe aille mal pour se saisir du problème.

Il semble exister, encore aujourd'hui, une confusion entre les soins palliatifs, la fin de vie, la sédation, l'euthanasie... Est-ce une réalité du terrain ? Et si oui, à qui ou à quoi est-ce dû ?

Dr C. F.

Il est vrai que les soins palliatifs sont souvent associés à la fin de vie alors qu'une prise en charge précoce pourrait permettre d'atténuer les souffrances des patients et améliorer leur qualité et durée de vie. De nombreuses études en confirment l'importance. Plus on est éloigné d'une équipe de soins palliatifs, plus l'accompagnement est difficile et les risques de glissement possibles. C'est pour cela qu'il faut être clair quand on parle de sédation et en préciser clairement l'objectif : réduire tel symptôme, soulager la dyspnée, par exemple... La SPCJD va probablement rester rare car il existe un grand nombre de possibilités pour soulager les patients en maintenant autant que possible leur conscience, par exemple la sédation discontinue la nuit ou pendant un soin douloureux.

Comment est-il possible de gérer la confusion qui règne autour de ces questions de sédation, de soins palliatifs, et parvenir à un dialogue apaisé ?

Dr C. F.

Les pratiques dont nous parlons existaient déjà avant, dans la loi de 2016 : la loi de Claeys-Leonetti est venue préciser certains points mais n'a pas changé nos pratiques de manière fondamentale. Elle en précise les conditions et garantit une meilleure autonomie pour les personnes malades. Pour lever les freins, il faut continuer d'informer et de former.

Dans un récent rapport du CCNE sur la révision de la loi bioéthique, le CCNE a exprimé sa volonté de réaliser un travail de recherche descriptif et compréhensif des situations exceptionnelles auxquelles la loi actuelle ne peut pas répondre et qui pourraient éventuellement faire évoluer la législation. Comment interprétez vous cela : une évolution législative est-elle souhaitable ?

Dr C. F.

Je pense que l'on a toujours besoin de mieux comprendre les choses : on n'est pas arrivé au bout de la réflexion sur ces sujets de la fin de vie, d'où l'intérêt de la plateforme de réflexion sur la fin de vie qui vient de se créer. Ce qui émerge toujours sur ce sujet, ce sont les situations extrêmement médiatisées et sur ce point, le CCNE n'est pas fermé à la discussion... mais il ne me semble pas envisager qu'une évolution de la loi vers l'euthanasie soit un aboutissement. A la SFAP, nous pensons que si la loi est bien appliquée et les soins palliatifs disponibles pour tous ceux qui en ont besoin, même si la mort reste un passage difficile, cela peut permettre de répondre aux situations complexes. Cela nous incite en revanche à aller toujours plus loin dans la réflexion et l'amélioration de nos pratiques, à poursuivre le travail entamé avec d'autres sociétés savantes (neurologie, oncologie ou réanimation, par exemple) et nous ouvrir toujours plus à d'autres disciplines non médicales (philosophie, sociologie, droit, etc.) pour qu'une prise en charge globale de qualité soit offerte à tous.