Le cordon numérique - Objectif Soins & Management n° 263 du 01/06/2018 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 263 du 01/06/2018

 

MANAGEMENT DES SOINS

Dossier

Christelle Lecomte  

Inauguré l’an dernier au CHU de Bordeaux, un dispositif appelé “cordon numérique” permet d’enregistrer des vidéos des nouveau-nés hospitalisés et de les envoyer à leurs parents, les aidant ainsi à garder le lien avec leur bébé : l’histoire d’un management de projet technologique qui réunit toute une équipe.

CONTEXTE

La maternité du CHU de Bordeaux, située au centre Aliénor d’Aquitaine, accueille en moyenne chaque année 5 300 naissances. Dans l’unité de soins intensifs néonataux (USINN) du Dr Sarlangue, qui reçoit chaque année environ 500 enfants, deux enfants sur trois sont nés prématurément et un sur trois est né à terme mais hospitalisé pour une pathologie médicale ou chirurgicale. L’unité étant référente en chirurgie digestive, elle accueille des bébés de l’ensemble de la Nouvelle-Aquitaine. Le séjour peut varier de quelques jours à plusieurs mois. De nombreuses familles sont domiciliées hors de la métropole de Bordeaux, à plus de 50 km, voire en dehors de la Gironde.

OBJECTIF DU PROJET “CORDON NUMERIQUE”

Permettre aux parents de garder le lien avec leur bébé hospitalisé lorsqu’ils ne peuvent pas être présents au quotidien.

GENÈSE DU PROJET

Il y a une quinzaine d’années, la cadre de santé de l’époque, Mme Roselyne Roux, prenait des photos polaroïds des bébés et traversait l’hôpital pour les apporter aux mamans hospitalisées à la maternité du CHU et ne pouvant se déplacer.

Un peu plus tard, grâce à l’implication de l’association Aquitaine Destination et de son président, Bénat Cazenave, une liaison vidéo fut installée entre le service de néonatologie (une caméra orientable pouvant filmer quatre bébés) et la maternité (lecture des images sur clé USB grâce à un ordinateur). Mais ce système a vite montré ses limites : entre autres, il ne profitait qu’aux mamans lors de leur hospitalisation à la maternité du CHU.

En juillet 2015, la solution technique est proposée par une start-up bordelaise, Hopen Project, en collaboration avec l’association Aquitaine Destination.

En mars 2016, les premiers essais sont réalisés avec deux caméras et deux familles. L’écran, appelé le “bbwall” (“mur des bébés”), est installé dans le bureau du cadre pour des raisons de confidentialité. En janvier 2017, devant le succès des essais et la demande croissante des parents, des caméras supplémentaires sont installées. Le service est maintenant doté de 16 caméras.

Ce projet a nécessité un grand investissement financier pour sa mise en place et a pu voir le jour grâce à l’association Aquitaine Destination, qui a levé les fonds nécessaires (115 000 €).

Aujourd’hui, ce cordon numérique est soutenu par plusieurs mécènes : une association finance les coûts de maintenance annuels et une autre les coûts de connexion, afin de maintenir la gratuité aux familles, qui sont plus de 300 à ce jour à avoir pu bénéficier de ce service.

FONCTIONNEMENT

Des caméras installées au-dessus des berceaux filment les bébés et les images sont retransmises en temps réel sur l’écran dans le bureau du cadre. Un compte est associé à chaque enfant, créé par la cadre de santé ou le personnel. Il est lié au prénom et à la date de naissance de l’enfant, aux noms et prénoms des parents, à leur numéro de téléphone portable et adresse mail. Le CHU gère le flux d’images mais n’en conserve aucune. Les vidéos de 30 secondes enregistrées sur des moments d’éveil et hors temps de soins sont transmises via Internet. Elles sont stockées dans un serveur extérieur certifié pour la conservation des données médicales. Les parents en ont la propriété exclusive et doivent les enregistrer s’ils veulent les conserver après la sortie de leur bébé de l’unité : les vidéos qui lui sont associées sont alors détruites.

MANAGEMENTDU PROJET

En septembre 2015, lors de la présentation initiale du projet, l’équipe, désireuse d’améliorer au plus vite le système vétuste existant, avait tout de suite adhéré à cette initiative.

Le montage du dispositif s’est fait en collaboration avec la start-up Hopen Project, de sa conception à l’installation du matériel. Aujourd’hui encore, la cadre de santé a des contacts réguliers avec la société lorsqu’il y a des soucis techniques, du côté des parents par exemple.

Des réunions bimensuelles du comité de pilotage ont été organisées, avec la direction de la communication du CHU, la direction du système informatique, la direction de la clientèle (service juridique), la direction du site, l’association Aquitaine Destination et le groupe projet de l’unité, représenté par la cadre de santé de l’époque et le médecin de l’unité.

L’équipe a été informée au fur et à mesure de l’avancée du projet et l’installation du matériel a été vécue en direct par le manager de proximité et l’équipe soignante.

C’est une fois l’écran installé que les résistances du personnel sont apparues, qui a exprimé ses craintes sur le revers du système : la possibilité de contrôler à distance son travail grâce aux caméras reliées en direct dans le bureau du cadre de santé. L’équipe a dû être rassurée à plusieurs reprises à ce sujet tant par la cadre que le chef de service.

Ainsi, la cadre de santé, pleinement convaincue du bénéfice de cette nouvelle technologie pour les parents, la fratrie, la famille, n’a pas cherché à convaincre l’équipe et a décidé de gérer seule la création des comptes et l’enregistrement des vidéos. Elle veillait simplement à systématiquement informer la soignante qui s’occupait de l’enfant qu’une vidéo allait être réalisée. À ce moment-là (janvier-février 2017), c’est elle qui proposait aux parents de s’inscrire dans le dispositif. Elle s’assurait aussi par la suite que la famille reçoive bien les vidéos, en présence si possible des soignants, qui donc entendaient la joie des parents et leurs retours positifs sur ce nouveau système. Or le week-end, la cadre étant absente, il n’y avait pas de vidéo. Le personnel s’est alors rendu compte de lui-même de la nécessité de s’investir, mais sans pression exercée par la cadre de santé.

En premier lieu, c’est une auxiliaire de puériculture qui a souhaité apprendre à réaliser les vidéos. C’est cette catégorie de personnel qui s’est investie le plus rapidement dans le projet. Sûrement parce qu’un de leurs rôles premiers est d’assurer le bien-être et le confort du patient qui passe aussi, en particulier dans les services de néonatologie, par celui des parents.

Devant l’engouement des familles, de plus en plus d’auxiliaires ont voulu contribuer à apporter ces moments de joie. La transmission de ce savoir-faire est ensuite allée des auxiliaires vers les puéricultrices, ce qui est souvent l’inverse habituellement.

Après 18 mois d’utilisation, l’implication du personnel continue à progresser, avec l’inclusion dans le projet des ASH, qui sont partie prenante dans la vie du service. Lorsqu’elles passent faire le ménage dans les chambres, les soins sont finis, les bébés souvent apaisés. C’est le meilleur moment pour réaliser les vidéos. Le bureau du cadre est maintenant “partagé” avec le personnel, il n’est plus un lieu consacré aux entretiens ou à régler des problèmes de planning.

LA TECHNOLOGIE : UN OUTIL DE SOINS

La réalisation d’une vidéo est ici devenue un soin, qui s’apprend comme tous les autres. Actuellement, l’unité utilise toujours des dossiers papier, l’informatisation n’ayant pas encore eu lieu. Les outils technologiques pour certaines professionnelles ne sont pas de maniement évident et le “bbwall” est un écran tactile. Mais ce soin n’est pas “obligatoire”, chaque professionnelle est libre de réaliser ou non les vidéos et ne peut pas être sanctionnée si ce n’est pas fait.

Par ailleurs, pour une nouvelle professionnelle qui arrive dans le service, ce n’est pas la priorité. Elle doit avant tout maîtriser les gestes techniques spécifiques à la néonatologie. Une fois à l’aise dans les soins, elle demandera elle-même à participer, grâce à ses collègues mais aussi aux parents, qui une fois qu’ils y ont “goûté” en redemandent.

La technologie se met au service des soignants qui font tout pour que les parents soient acteurs. Elle s’ajoute à tout ce qui est déjà mis en œuvre dans le service (bain avec les parents quelle que soit l’heure, projet de soins individualisé…) pour permettre aux parents d’investir ce bébé qui, au final, n’est pas le bébé imaginaire tant rêvé. C’est donc une continuité de la philosophie du service : intégrer les parents aux soins, favoriser le lien d’attachement.

C’est maintenant une implication au quotidien de l’équipe et le renforcement des liens de confiance entre les soignants et les familles.

Témoignages : le cordon numérique pour…

… les premiers jours : permettre de créer le lien

• Une maman donne naissance à une petite fille par césarienne sous anesthésie générale à Poitiers. Par manque de place en néonatologie, le bébé est transféré à Bordeaux. La maman, pour raison médicale, n’a pu venir auprès de son bébé qu’une semaine après. Grâce aux vidéos réalisées deux fois par jour, les parents (le papa n’a pas pu avoir de jour de congé) ont pu voir leur bébé et faire les présentations à son grand frère de 4 ans qui se posait beaucoup de questions.

• Une maman accouche prématurément de jumeaux alors que le papa est à l’étranger. Grâce aux vidéos, le papa a pu faire connaissance avec ses bébés à distance.

… les hospitalisations longues

• Un bébé est hospitalisé pour une pathologie digestive. Son congé paternité arrivant à son terme, le papa doit reprendre le travail. Habitant en Dordogne, il ne peut se rendre sur place que le week-end. Grâce aux vidéos réalisées par le personnel, il peut voir son fils tous les jours. Or pendant 3 jours, suite à une panne, il a été impossible de réaliser ces vidéos. Le papa nous a contactés pour nous dire qu’il ne recevait plus les vidéos de son fils, privé de « ce moment magique qui égaye ma journée… ».