Mutualisation des effectifs en service de réanimation et unité de surveillance continue - Objectif Soins & Management n° 262 du 01/04/2018 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 262 du 01/04/2018

 

RESSOURCES HUMAINES

Dossier

Béatrice Mathieu*   Fabrice Ledoux**   Anne Bercal***   Mickaël Philipp****   MC Eric Meaudre*****  

Les établissements publics de santé évoluent dans un contexte particulièrement contraint. Leurs tutelles attendent d’eux qu’ils garantissent la permanence de l’accessibilité à une offre de soins contractualisée et de qualité. Dans le même temps, ils doivent optimiser leurs organisations et rationnaliser leurs moyens, dont les ressources humaines (RH). Bilan d’une expérience réussie.

Le service de santé des armées (SSA) et ses huit hôpitaux d’instruction des armées (HIA) n’échappent pas à ce défi, majoré par leur spécificité militaire qui implique la projection des personnels sur des théâtres d’opérations extérieures et un turn-over accentué par des mutations institutionnelles annuelles (plan annuel de mutations).

L’HIA Sainte-Anne (HIA SA) est le seul centre de traumatologie de niveau 1 du Var.

Il est également un site recours sur différentes spécialités telles que la neurochirurgie, le traitement des brûlés et l’imagerie interventionnelle. Les lits de réanimation et d’unité de surveillance continue (USC) sont précieux pour assurer la continuité de cette offre de soins, alors que la tension sur les effectifs est récurrente.

En réponse à cette problématique majeure, la mutualisation des effectifs peut-elle être une mesure pertinente et efficace ?

LA PROBLEMATIQUE

Le service de réanimation et l’USC de l’HIA SA sont actuellement dotés respectivement de 14 et 8 lits.

En lien avec les différentes spécialités de l’établissement et son important plateau technique, les pathologies traitées sont multiples, souvent lourdes, auxquelles s’ajoute le possible accueil de blessés de guerre. Les soins et les matériels utilisés sont également très variés. Les personnels médicaux et paramédicaux doivent donc disposer et entretenir des compétences très spécifiques. Ils sont aussi régulièrement amenés à réinvestir leurs connaissances développées en opération extérieure (OPEX) lors de la prise en charge de polytraumatisés graves.

La stabilité des effectifs, par ailleurs normés dans ces deux secteurs, et la formation initiale comme continue des personnels revêtent donc une importance particulière. En pratique, ces deux objectifs sont difficiles à atteindre, notamment pour les raisons exposées.

En 2016, le chiffre ETP (équivalent temps plein) cible n’a pas été atteint, ni pour les IDE ni pour les AS (voir tab. 1). Le turn-over important de personnels avec des temps incompressibles de formation a eu un coût à ce niveau, tout comme l’absentéisme lié aux OPEX, maternités et arrêts-maladies. Cet absentéisme(1) a été évalué à 9,2 % (soit 3 ETP) en réanimation et 13,8 % (soit 1,7 ETP) en USC pour les IDE (infirmiers diplômés d’État). Ainsi les ressources allouées théoriquement seraient suffisantes, mais l’absentéisme explique la non-atteinte de l’ETP cible et les chiffres des effectifs réels.

L’absentéisme chez les AS (aides-soignants) avant mutualisation (Juin 2016) était de 28 % en réanimation, soit 5,6 ETP (dont 91 % liés à la formation et aux OPEX), et de 3 % en USC (23 % liés aux formations et aux OPEX). Tout comme les IDE, le calcul de l’absentéisme explique la différence entre l’ETP cible et l’ETP réel pour les AS de réanimation.

Le service de compensation et de suppléance de l’établissement a soutenu le secteur par la présence de 1 ETP IDE et de 3 ETP AS, mais il a été limité par deux éléments : le nombre de personnels formés à la réanimation et l’USC et la capacité d’en former de nouveaux sans impact majeur sur le renfort des autres services de l’établissement.

Du point de vue de la formation, nous avons comptabilisé l’équivalent de 3 ETP IDE et 1 ETP AS en journées de doublure, des données cohérentes compte tenu du nombre de nouveaux personnels affectés sur l’année. Trop peu d’actions de formation continue ont été menées dans le service par manque de temps et de personnels.

Pour mieux déterminer sur quels facteurs agir, il est utile de détailler cet absentéisme (voir tab. 2).

Les arrêts-maladies (hors longue maladie) sont donc la source principale d’absentéisme, souvent non prévisible.

Ce constat nous a amenés à envisager la mutualisation de l’équipe paramédicale comme une solution probablement intéressante et pertinente, pour plusieurs raisons :

• collaboration entre les deux services : logique de prise en charge, mêmes spécialités ;

• équipe médicale et équipe d’assistants médico-administratifs déjà communes pour la réanimation et l’USC ;

• compétences IDE et AS assez comparables d’un secteur à l’autre ;

• localisation favorable, les deux unités étant proches.

MISE EN ŒUVRE DU PROJET

Les cadres de santé, en collaboration avec le chef de service et le cadre supérieur de santé, ont mené une réflexion sur l’organisation de cette mutualisation, avec une stratégie de mise en œuvre volontairement progressive.

La mutualisation a débuté avec les équipes aides-soignantes. Ce choix a été motivé par le fait que les AS de l’USC étaient déjà amenés à renforcer régulièrement en service de réanimation. Après un temps d’information et d’échange avec les personnels concernés, la mutualisation s’est facilement mise en place : les AS de réanimation ont, à leur tour, exercé en USC et le planning est devenu commun en quelques semaines. Par une observation et une écoute attentive, l’encadrement a suivi le projet, répondu aux interrogations et réalisé les ajustements nécessaires.

La réussite de cette première phase a permis d’aborder plus sereinement la mutualisation des équipes infirmières, les AS participant en plus à la promotion du projet. Toutefois, la mise en place a été plus longue avec cette catégorie professionnelle. Si l’acquisition de compétences pour les infirmiers de réanimation allant en USC relevait plus de l’organisation des soins, celle de leurs collègues d’USC était plus complexe, en lien avec la gravité accentuée des patients et les prises en charge plus techniques. La durée de formation de chaque agent a naturellement été supérieure, allongeant de fait le délai pour obtenir un certain nombre d’IDE polyvalents sur les deux secteurs.

Depuis septembre 2016, la formation des nouveaux personnels en réanimation et en USC est systématique dès la période d’accueil. Au total, aujourd’hui et après quelques mois, 70 % des IDE sont formés à l’exercice en USC et 50 % des IDE d’USC sont parfaitement autonomes en réanimation. Depuis février 2017, le planning IDE est également commun pour les deux unités. Lorsqu’un renfort supplémentaire de personnel est impératif, le service de compensation et suppléance est sollicité pour l’USC, même si le besoin est à l’origine en réanimation, permettant ainsi à un IDE d’USC de basculer en réanimation. Cette organisation permet d’optimiser les renforts en diminuant les temps d’adaptation chez des personnels exerçant alternativement dans tous les services de l’hôpital, au gré des besoins.

À ce stade du projet, l’évaluation est positive. L’absentéisme des AS a rapidement diminué, passant à environ 12 % depuis juin 2016, et l’impact est notable sur l’absentéisme de moins de 5 jours (voir tab. 3). L’encadrement reste malgré tout vigilant. Il assure un suivi personnalisé des personnels via des entretiens. Il vise le développement et la pérennité de la mutualisation en veillant à ce que les personnels des deux services s’y retrouvent en termes d’équité et de reconnaissance, notamment. La crainte pourrait être de voir s’installer des mouvements unilatéraux, les personnels d’un service devenant les suppléants de leurs collègues voisins. C’est pour cette raison qu’il est important d’organiser chaque mois des échanges bilatéraux avec des personnels différents.

INCONVENIENTS ET AVANTAGES DE CETTE MUTUALISATION

Ce projet a dû faire face à certaines résistances naturelles au changement, que l’encadrement avait anticipées. Il s’agissait surtout d’appréhensions légitimes et réciproques des équipes des deux unités. Conduire un management de proximité accordant une place significative à la communication a été déterminant.

La mutualisation a désorienté certains personnels vis-à-vis de leur identité et de la culture de leur service d’origine. Des doutes sur les capacités à s’adapter, à acquérir de nouvelles compétences ont été ressentis, surtout dans le sens USC-réanimation. La cohésion qui s’est installée avec les premières sessions de formation en réanimation a été très positive. Des personnels se sont sentis valorisés dans leur travail en formant leurs collègues, tandis que d’autres ont éprouvé le même sentiment en apprenant et en étant reconnus “capables” dans ce nouveau service. Tous ont compris et apprécié la perspective de pouvoir bénéficier de renforts rapides de personnels formés en cas de besoins grâce à cette mutualisation.

Ce système “gagnant/gagnant” a aussi été favorable en termes de remise en question sur les pratiques professionnelles. Il a permis une réelle réflexivité autour de celles-là. Les personnels ont pu échanger, comparer, et finalement tendre vers une harmonisation des pratiques. Par ailleurs, alors que l’USC est plus proche des services conventionnels dans ses relations, la réanimation reste un service assez isolé. Cette mutualisation a permis à ses personnels de développer leur ouverture sur le reste de l’HIA et leurs contacts avec d’autres collègues extérieurs aux unités de soins critiques.

Grâce aux échanges quotidiens entre les cadres de santé, induits par la mutualisation, celle-ci a aussi conduit à une harmonisation du management au sein du secteur. La collaboration s’est accentuée et la suppléance lors des absences s’est optimisée.

Les bénéfices incontestables et les plus importants de cette mutualisation se situent au niveau de la gestion des ressources humaines, telle qu’était la motivation de départ. L’encadrement est unanime et certains chiffres parlent d’eux-mêmes (voir tab. 4) : espacement des week-ends et des nuits, flexibilité pour la gestion de l’absentéisme, possibilité de plus de congés simultanés.

Ces améliorations ont un impact sur la qualité de vie au travail de manière générale. Les personnels ressentent l’assouplissement des roulements et ne se sentent plus victimes de l’absentéisme. Cela favorise leur adhésion à la mutualisation mais aussi leur volontariat lors de la recherche de remplaçant. Cette implication participe à la diminution même de l’absentéisme, créant ainsi un cercle vertueux.

Après dix-huit mois d’expérimentation, cette organisation s’avère pérenne. En effet, fructueuse, elle permet d’optimiser la continuité de la réponse à la demande de soins. Sur le plan des ressources humaines, elle apporte de la flexibilité et facilite la gestion au quotidien. Enfin elle constitue une réponse favorable au développement des compétences et de la qualité de vie au travail.

NOTES

(1) Le calcul de l’absentéisme a été réalisé en divisant le nombre d’ETP d’absence par l’ETP total travaillé réel.