Former les managers de demain à la simulation par une simulation de management - Objectif Soins & Management n° 261 du 01/02/2018 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 261 du 01/02/2018

 

Management des soins

Dossier

Thomas Bielokopytoff  

Les années 2010 resteront sans doute celles de l'essor de la simulation en santé en France. La pratique est balisée par la Haute Autorité de santé, les acteurs sont fédérés au sein d'une société savante mais également autour d'associations, très actives dans la communication des atouts de cette méthode. Si les expériences les plus décrites dans la littérature sont issues des soins d'urgences, de l'anesthésie ou de l'obstétrique, ces disciplines sont pourtant loin de représenter la majorité des opportunités professionnelles, pour un futur infirmier par exemple. Autant dire que nous partions dans l'inconnu lorsque nous avons proposé une formation à la simulation aux étudiants cadre de santé. Retour d'expérience...

Donner un apport théorique à des cadres en fin de formation à l'IFCS (institut de formation des cadres de santé), c'est un réel défi ! Ils viennent en effet de passer 8 à 9 mois au cours desquels la majorité des « temps école » était constituée de cours magistraux. De ce fait, quitte à parler de cette méthode novatrice, la simulation en santé, nous avons essayé d'en parler de façon originale et avons fait le choix de repousser en fin de programme les notions théoriques sur les fondements, les bonnes pratiques..., le tout illustré d'exemples concrets. Nous avons en revanche consacré la première demi-journée de formation à deux séances de simulation, centrées sur la posture du cadre.

Comment faire découvrir la simulation par la simulation

Comme les infirmiers, les cadres de santé évoluent dans un environnement complexe. Les décisions qu'ils doivent prendre dépendent de nombreux facteurs et les interruptions de tâches sont fréquentes dans leur quotidien. C'est en partant de ces postulats que nous avons construit, pour animer notre matinée d'intervention, deux scénarios, représentatifs du réel professionnel : le premier mettait en scène un cadre de santé en unité de soin et le deuxième un cadre de santé chargé de formation.

Nous avons expliqué notre méthode en toute transparence, selon des principes finalement bien connus de la simulation en santé, de type bienveillance et non-jugement. C'était là notre briefing de séance, assez classique, à la différence que :

• nous n'avons pas nommé toutes les étapes d'une séquence de simulation ;

• nous avons demandé aux apprenants d'essayer, en plus d'être acteur ou observateur, d'identifier les invariants (les éléments indispensables pour qu'il soit fonctionnel) d'un apprentissage par simulation.

Ces quelques bases posées, l'apprentissage pouvait alors commencer. Nous avions, comme il se doit, préparé notre salle en amont. Ce temps d'installation était en définitive assez facile dans la mesure où il est aisé de reproduire l'environnement de travail du cadre de santé. Le matériel dont nous avions besoin (une pièce, un bureau, un ordinateur, un téléphone, des éléments de papeterie) est couramment disponible et il a donc été possible de mener ces séquences in situ.

Nous avons alors déroulé les étapes classiques d'une demi-journée de formation en simulation :

• briefing général ;

• briefing de séquence ;

• séquence ;

• débriefing de séquence, avec rappel théorique si besoin sur la situation travaillée ;

• débriefing général.

Ces séances ne présentent pas de différence notable avec d'autres plus habituellement décrites. Leur seule particularité réside peut-être dans la longueur de chaque briefing de séquence. En effet, il est important de décrire le contexte créé le plus précisément possible (règles de gestion des ressources humaines, nombre de personnels nécessaire en effectif minimal dans le service pour le cadre gestionnaire ou habitude de l'institut, impacts d'un rapport de stage et conséquences pour l'obtention du diplôme d'État pour le cadre formateur). Nous nous sommes aussi assurés que l'apprenant acteur ait bien compris tous les enjeux de départ afin que son jeu et ses prises de décisions soient les reflets les plus fidèles possibles de ce qu'il ferait au quotidien dans sa prise de poste. Auparavant, nous avions essayé d'anticiper, dans chaque scénario, les choix possibles et nous disposions dans les deux cas d'un facilitateur pouvant intervenir selon les besoins de l'acteur.

Les séquences, d'une durée d'une vingtaine de minutes, et les débriefings, de 40 minutes environ, sont conformes aux « standards de l'art ».

Quant aux deux scénarios distincts, ils mettent en scène les situations suivantes :

• le premier est orienté « management » et met l'apprenant face à une problématique de départ d'absentéisme non prévu, qui vient se compliquer d'une injonction par le supérieur hiérarchique de recevoir un agent trop régulièrement en retard. L'acteur travaille ici surtout sur la gestion du stress au travers des relances téléphoniques, de la complexité d'un planning et d'un entretien de recadrage ;

• dans le second, l'apprenant est placé dans la peau d'un cadre formateur novice avec quelques mois d'expérience. Il est chargé d'une tâche assez routinière mais nécessitant attention et concentration quand surgit, véhémente, une étudiante très en colère après avoir pris connaissance de son rapport de stage. Il doit alors faire face à l'agressivité de celle-ci en tempérant ses propres réponses pour ne pas à son tour verser dans la contre-agressivité.

Des apports théoriques pour valider les hypothèses des apprenants

Pour terminer cette découverte de la simulation par la simulation, l'ensemble des étudiants cadres nous ont fait un retour des points clés d'un tel programme de formation. Lors de chaque session, nous avions la chance de ne compter qu'un nombre marginal de personnes connaissant déjà la simulation. Nous leur avions demandé de rester un peu en retrait du groupe de manière à obtenir un retour pertinent et le moins biaisé possible.

Tous novices qu'ils étaient, les apprenants ont systématiquement bien identifié les étapes d'une séquence de simulation ainsi que les sous-étapes d'un briefing et d'un débriefing (ressenti, description, analyse) (1). De façon assez logique, ce sont les termes spécifiques et quelques grands principes (contrat pédagogique, chronicité de l'intervention des observateurs dans le débriefing...) qui dans l'ensemble leur ont posé plus de problèmes.

Cette phase-ci nous aura permis, outre de valider la pertinence de notre proposition de « pédagogie de la découverte », de pouvoir adapter nos interventions sur la deuxième demi-journée. Chaque session était, à ce moment-là, forcément différente de la précédente. Nous choisissions en fonction des bilans de la première demi-journée d'insister sur tel ou tel aspect considéré comme obscur, ou au contraire de passer plus vite sur des points bien compris. Les illustrations concrètes à cette étape étaient appréciées mais n'avaient pas besoin d'être trop nombreuses car l'exemple initial était suffisant aux yeux des apprenants qui attendaient alors surtout des apports théoriques.

Des retours positifs...

Le bilan immédiat de ces actions de formation a toujours été très positif. Les étudiants, comparant cette méthode avec d'autres plus habituelles, ont jugé la simulation plus immersive que le jeu de rôle. Ils décrivent que le fait de se retrouver dans un environnement réaliste leur a vraiment permis de s'immerger facilement et totalement dans la situation.

En outre, pour ces apprenants, qui pour la plupart ont expérimenté la fonction cadre avant d'entrer en formation, les scénarios sont très pertinents ; ils sont conformes aux réalités vécues sur le terrain. Les émotions ressenties se rapprochent d'une part de celles existantes dans la vie professionnelle et, d'autre part, sont en phase avec les sentiments que nous voulions faire émerger lors de la conception des scénarios.

Enfin, bien que non décrite dans la littérature, cette expérience tend à montrer que la simulation pour les missions de « management » est possible.

Les retours à distance par les formateurs d'IFCS sont également positifs, ce qui les a conduits à renouveler plusieurs fois l'expérience. Même si le coût humain et donc financier peut représenter un frein, ils jugent notamment qu'il est important d'initier une majorité de cadres à cette méthode pédagogique pour en favoriser la diffusion ultérieure.

... qui favoriseront la diffusion ultérieure de la simulation

C'est également notre credo et ce sont les hypothèses que nous formulons et qui à ce stade méritent d'être vérifiées. Nous pensons aujourd'hui que placer des actions de formation et de sensibilisation à la simulation en IFCS, c'est se donner la chance d'ouvrir la simulation à un nouveau public : 90 % des étudiants cadres lors des 3 années consécutives ne connaissaient pas, ou très mal, la méthode. C'est aussi fournir un socle de connaissances à l'ensemble des futurs cadres.

À l'issue de notre intervention, nous avons observé une double prise de conscience :

• les atouts de cette méthode sont identifiés comme nombreux, différents de ceux que peut apporter une formation plus « classique ». On peut imaginer, qu'en les connaissant, les futurs cadres seront plus enclins à diriger les soignants vers ce type de formation ;

• la simulation en santé n'est pas le seul apanage des CHU dans des laboratoires sophistiqués avec un matériel très onéreux. La formation in situ est une opportunité pour augmenter l'offre de simulation sur le territoire tout en en diminuant le coût.

Enfin cette formation, au travers des prises de conscience énoncées ici, pourrait permettre de répondre pleinement aux stratégies ministérielles.

Pour la période 2018-2022, la Stratégie nationale de santé préconise « d'utiliser les potentialités offertes par le numérique et les outils de simulation en matière de formation » (2). Le Programme national pour la sécurité des patients énonce quant à lui l'objectif suivant : « Faire de la simulation en santé sous ses différentes formes une méthode prioritaire, en formation initiale et continue, pour faire progresser la sécurité » (3) et l'ancrer dans la culture soignante. Enfin la Grande Conférence de santé proposait, en 2016, dans sa feuille de route la mesure suivante afin « d'innover pour mieux former les professionnels de santé » : « Améliorer la connaissance et l'utilisation de moyens de simulation dans les formations » (4).

Ce sont là autant d'exemples montrant l'intérêt de proposer aux cadres une formation à la simulation et par la simulation, afin de permettre à ces managers et formateurs de demain de proposer, promouvoir et aussi adopter pour eux ce type de pédagogie pour faire progresser la culture du travail en équipe et la sécurité du patient.

1 Laurent Thuez, La simulation en santé, mais c'est quoi ?, Infirmiers.com, décembre 2015 (disponible sur : bit.ly/2mHl00T).

2 Ministère des Solidarités et de la Santé, Stratégie nationale de santé 2018-2022, décembre 2017 (disponible sur : bit.ly/2Dwalgw).

3 Direction générale de l'offre de soins (DGOS), Direction générale de la santé (DGS), Haute Autorité de santé (HAS), Programme national pour la sécurité des patients, février 2013 (disponible sur : bit.ly/2DhdenO).

4 Ministère des Solidarités et de la Santé, Grande Conférence de la santé. Accompagner le progrès en santé : nouveaux enjeux professionnels. Feuille de route, février 2016 (disponible sur : bit.ly/2r3SlYr).