La coopération maître et tuteur de stage - Objectif Soins & Management n° 259 du 01/10/2017 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 259 du 01/10/2017

 

RESSOURCES HUMAINES

Dossier

Laurent Soyer*   Nicole Tanda**  

« L’acquisition des compétences, par le principe de la pédagogie réflexive est, en grande partie reliée aux stages. »(1) Une organisation efficiente du dispositif d’apprentissage au niveau des unités fonctionnelles constitue donc l’un des défis à relever pour les cadres de santé de proximité, notamment dans leur fonction de maître de stage et dans la coopération avec le tuteur de stage.

Le milieu de soins peut s’appréhender à plusieurs niveaux. Si nous centrons notre propos sur l’institution hospitalière, d’un point de vue anthropologique : « L’hôpital est une institution fondée sur un regroupement social autour du procédé thérapeutique, mais surtout un monde foisonnant, qui croise des dimensions de l’homme quasi infinies. »(2) Il en va de même au niveau proximal des soins où plus encore l’effet d’une culture dite “de service” se fait sentir. L’intrication de dimensions corporatistes ou de spécialités de soins engendre des pratiques singulières pour des pathologies singulières ou des groupes particuliers de personnes soignées. Certains auteurs ont d’ailleurs évoqué des cloisonnements professionnels(3). Le raisonnement concernant l’apprentissage en stage s’ajuste donc à la sphère de l’unité fonctionnelle, même si celle-ci est souvent interdépendante d’une filière de soins.

LE TUTORAT

Le tutorat, issu à la fois du monde de la production et de celui de la formation, a semble-t-il toujours existé(4). Néanmoins, depuis environ une vingtaine d’années, il est devenu un concept phare. Le groupement d’établissements publics locaux d’enseignement (Greta) donne une définition éclairante du tutorat : « Le tutorat est une relation entre deux personnes dans une situation formative : un professionnel et une personne en apprentissage d’un métier dans son environnement. »(5) Le tutorat correspond donc à une pratique de formation in situ, “sur le terrain”, en situation clinique réelle d’apprentissage. Comme nous l’avons évoqué en introduction, il est lié à la formation en alternance. Une seconde définition plus savante est proposée par Barbier(6) qui souligne que le tutorat correspond à « l’ensemble des activités mises en œuvre par des professionnels en situation de travail en vue de contribuer à la production ou à la transformation de compétences professionnelles de leur environnement, jeunes embauchés ou salariés en poste engagés dans un processus d’évolution de leur qualification ». Deux mots clés apparaissent ici : les compétences et le processus entendu comme celui de professionnalisation. Nous sommes bien dans une dynamique qui correspond aux programmes de formations initiales actuels, notamment celui de 2009 pour les IDE qui se fonde sur une approche socioconstructiviste du développement des compétences professionnelles(7). Barbier fait également référence avec les termes « jeunes embauchés » et « salariés » à la gestion des ressources humaines. En effet, en premier lieu, au niveau institutionnel, le tutorat se base sur l’objectif d’accueillir et de former ceux que l’institution désire intégrer provisoirement ou durablement. Le tutorat s’inscrit donc dans un processus de professionnalisation. Nous ajouterons, sans être exhaustif, une troisième définition du tutorat précisant l’interrelation tuteur/tutoré : « Activité de personne à personne permettant à un « tutoré » d’acquérir ou de développer des compétences grâce à la contribution d’un salarié expérimenté appelé tuteur. »(8)

LE TUTEUR DE STAGE

Fonction pédagogique

Responsable de la formation du tutoré, « le tuteur est une interface entre le stagiaire, le terrain de stage et l’institution de formation »(9). Le tuteur est donc porteur d’une fonction pédagogique, proximale, pour contribuer auprès du formé au processus personnel d’apprentissage, dont l’évaluation, l’assimilation et le transfert des connaissances, progression qui est formalisée au niveau du portfolio de l’étudiant. « Le tuteur représente la fonction pédagogique du stage. »(10) La fonction pédagogique s’appuie sur l’expérience professionnelle en soins du tuteur. Le tuteur est avant tout un expert dans son domaine d’activité, c’est-à-dire « celui qui s’est forgé, au fil des expériences de travail, des “compétences critiques” qui lui permettent d’agir et de réagir de façon pertinente dans des “situations de travail critiques” »(11). La fonction pédagogique nécessite aussi des compétences académiques, c’est-à-dire des « compétences censées découler des savoirs disciplinaires acquis »(12). Pour être la plus efficiente auprès du tutoré, la fonction pédagogique repose également sur la capacité du tuteur à utiliser une congruence cognitive. « La congruence cognitive, quant à elle, dénote la capacité de s’exprimer dans le langage des étudiant-e-s, d’utiliser des notions ou concepts qui leur sont familiers, d’expliquer en des termes compréhensibles par eux »(13). Globalement, « le tutorat en stage correspond à un encadrement de terrain par un professionnel en activité, responsable de l’encadrement pédagogique et du suivi du parcours du stagiaire dans l’acquisition progressive des éléments de compétence. C’est également une personne qualifiée, responsable des apprentissages du stagiaire »(9).

Fonction d’ingénierie

Cette définition nous amène vers une seconde fonction en amont et en aval de la fonction pédagogique auprès de l’apprenant, celle d’ingénierie de la formation. C’est à ce niveau que le tuteur se rapproche de la fonction managériale, pour organiser et optimiser les conditions d’apprentissage du tutoré. De même, la fonction d’ingénierie de la formation convoque des compétences didactiques dans le sens où le tuteur va agir sur les interactions du système didactique, ou triangle didactique, au niveau des trois éléments qui le composent : « La relation didactique est habituellement décrite comme une relation entre deux partenaires, l’enseignant et l’élève, et avec un savoir. »(14)

Compétence d’accompagnement

Le tuteur est un acteur singulier au sein d’un service de soins, sa posture convoque nécessairement des compétences relationnelles plus larges que la relation soignant-soigné. Parmi les compétences relationnelles, émerge la compétence d’accompagnement : « Le tutorat est une des formes singulières de ce que l’on nomme aujourd’hui, de façon plus générique, l’accompagnement. Les dispositifs dits “d’accompagnement”, qu’il s’agisse ou non de tutorat, ont bien souvent pour fonction première l’aide à la mise en situation de travail, de manière à augmenter l’efficacité de celle-ci. »(15) Étymologiquement, « “tuteur” vient du latin tueri qui signifie “protéger, garder, veiller, prendre soin, s’occuper de”, ce qui confère au tuteur de stage un rôle bienveillant de protection vis-à-vis des stagiaires »(9). La notion d’accompagnement est donc intimement reliée à celle de bienveillance. Évoquant cette relation parfois informelle entre tuteur et tutoré, teintée de bienveillance, certains auteurs évoquent la notion de congruence sociale lorsque les tuteurs « s’intéressent à la vie des étudiants et à leurs centres d’intérêt »(16). Maillon du dispositif de formation, le tuteur a notamment un rôle essentiel au moment d’une des phases clés de l’accompagnement des stagiaires, à savoir l’accueil individuel. « Le dispositif d’accueil tient son importance du fait qu’il représente le premier contact prolongé de l’étudiant avec le personnel de l’institution de formation […]. Ce contact va probablement “donner le ton” pour la suite de la formation et marquer durablement l’attitude que l’étudiant adoptera. »(17)

Vecteur identitaire

Le tuteur est également un vecteur identitaire. « On tend, en effet, à parler de tutorat chaque fois que l’on constate auprès d’agents dont ce n’est précisément pas la fonction principale, et pour une durée qui reste généralement limitée, la présence d’activités qui contribuent directement à la survenance chez d’autres agents de transformations identitaires correspondant au champ même de cette fonction principale. »(6) Il y a, dans la rencontre tuteur/tutoré, une forme d’interculturalité, dans le sens où le milieu de stage va constituer une membrane osmotique entre la culture de l’apprenant et celle du service représentée (au sens des représentations sociales) par le tuteur de stage. Il est clair que le tuteur de stage a tout intérêt à développer une compétence interculturelle(18). Dans cette perspective, le tuteur constitue bien un représentant de l’institution où il exerce, puisque le tutoré va tendre à se référer à l’identité véhiculée par le tuteur. Le tuteur est donc un modèle identificatoire permettant au tutoré de développer une professionnalité émergente, dont Le Boterf(19) énonce cinq composantes : « Identité professionnelle […]. Éthique professionnelle […]. Variété de ressources et d’expériences […]. Réflexivité et distanciation critique […]. Reconnaissance par le milieu professionnel. »

En synthèse, il nous semble que la définition la plus en phase avec la complexité du rôle de tuteur nous vient des champs des sciences de l’éducation : « L’alchimie qui fait un bon tuteur est celle-ci : l’association de compétences académiques (l’expertise) et de qualités personnelles (la congruence sociale). Ce savant mélange dote la personne d’une qualité très appréciée : la congruence cognitive. »(20)

LA COOPÉRATION

Étymologiquement, « la coopération vient du latin cum, avec, et operare, faire quelque chose, agir »(21). La coopération s’envisage donc comme un processus engageant différents acteurs dans un but et des objectifs communs. Présentement, nous abordons la coopération entre maître de stage et tuteur de stage. Le “maître de stage”, construit sémantique utilisé depuis l’avènement du programme de formation infirmier de 2009, fait référence au cadre de santé de proximité, dont l’une des fonctions est « la fonction organisationnelle et institutionnelle du stage »(10). La coopération maître de stage/tuteur de stage se fonde en premier lieu sur une contractualisation. En effet, le cadre de proximité est responsable de la nomination du tuteur de stage : « La désignation des tuteurs de stages relève des missions de l’encadrement professionnel sur la base de critères de compétences, d’expérience et de formation. Le tuteur est placé sous la responsabilité d’un cadre professionnel. »(10) Pour autant, le mot “désignation” est inapproprié puisque le tuteur s’inscrit non pas dans une réponse à une injonction, mais dans celle d’un engagement : « Il est volontaire pour exercer cette fonction. »(10) En réalité, les deux protagonistes de l’organisation et de la mise en œuvre du dispositif d’apprentissage clinique, maître de stage et tuteur de stage, sont liés par une relation de confiance. « Dans un système basé sur la coopération, les différents acteurs travaillent dans un esprit d’intérêt général. Cela suppose un certain degré de confiance et de compréhension. »(22) Cette relation de confiance va trouver une réalité concrète dans une dynamique de conduite de projet, principalement via le projet de service, décliné notamment dans la mise en œuvre ou l’actualisation du livret d’accueil des stagiaires. Dans cette coopération avec le tuteur de stage, le cadre de santé est potentiellement en capacité d’apporter une réelle plus-value. Sans prétendre à l’exhaustivité, nous développerons six axes de cette plus-value.

Caution hiérarchique

La première plus-value est la caution hiérarchique du cadre de santé. Un niveau hiérarchique sépare maître et tuteur de stage, même si les acteurs sont issus de la même corporation, souvent infirmière. Le cadre de santé, de par sa légitimité, fournit une caution au projet tutorial. Mais la distance hiérarchique ne doit pas constituer une barrière à une posture réflexive interactive. En effet, la rencontre entre le maître de stage et le tuteur invite à la genèse d’un conflit sociocognitif permettant une coopération effective et in fine, une co-construction d’un dispositif de formation clinique efficient.

Vision stratégique

Une seconde plus-value découle du niveau hiérarchique, il s’agit de la vision stratégique. En effet, si le tuteur de stage est centré sur l’activité au niveau proximal et sur les apprentissages cliniques, le maître de stage est davantage distancié. Interface entre l’institution, le pôle de rattachement et l’unité fonctionnelle, le cadre de santé apporte une plus-value par sa vision élargie. Ainsi, il peut non seulement suivre les besoins en compétences liés à l’activité de soins quotidiennes, mais, plus avant, s’inscrire dans une évolution à moyen, voire à long terme en prise directe avec le projet de pôle, lui-même inclus dans celui d’établissement (ou actuellement de groupements hospitaliers de territoire). Par exemple, le cadre de santé est le garant du respect et de la traduction écrite des axes stratégiques institutionnels prescrits dans le cadre de la rédaction du livret d’accueil des stagiaires. La communication et l’explicitation des axes stratégiques institutionnels revêtent une importance certaine puisque le tuteur de stage est lui-même un maillon communicationnel entre les stagiaires, l’équipe de soins et la politique institutionnelle.

Gestion du temps

Une troisième plus-value est rattachée à la gestion du temps. Maître de stage et tuteur ne vivent pas nécessairement en synergie temporelle. Nous l’avons évoqué, si le tuteur de stage vit au rythme de l’activité clinique de son unité fonctionnelle, en prise directe avec les soignés et les autres membres de l’équipe soignante, a contrario, le cadre de santé “surfe” sur des temporalités différentes liées à sa posture interfaciale entre le service qu’il anime et le pôle institutionnel auquel il appartient. Le cadre de santé se trouve écartelé par des tâches de plus en plus morcelées, dichotomiques, en proie à des injonctions paradoxales, telles qu’être présent auprès des agents, des familles, des patients, tout en gérant l’absentéisme depuis son ordinateur, ou encore participer à de nombreuses réunions institutionnelles qui l’éloignent de son service, ou autres missions dites “transversales” ! La plus-value temporelle se présente donc en premier lieu au niveau de la rencontre et de la création d’espaces de disponibilité, de proximité entre interlocuteurs. Pour coconstruire, maître de stage et tuteur se doivent d’être présents l’un à l’autre. Avec des emplois du temps chargés, rehaussés de nombreux imprévus à gérer, il est donc indispensable de se donner comme priorité des créneaux de travail en commun. C’est aujourd’hui devenu un véritable challenge ! Pour y parvenir, il semble incontournable que le cadre de pôle reconnaisse et soutienne ce partenariat. De même, si l’idée est de permettre au tuteur de stage de créer un livret de stage en autonomie et ensuite de le faire vivre, il est incontournable d’aménager son planning afin qu’il dispose de plages horaires pour travailler cet outil. En pratique, le cadre de santé se doit de doubler le tuteur afin qu’il soit libéré ponctuellement de son activité soignante et puisse se focaliser sur son activité tutorale. L’affaire n’est d’ailleurs pas gagnée pour autant. Une infirmière tutrice soulignait il y a peu que, si elle garde sa tenue professionnelle, même doublée, elle se retrouve immanquablement en situation de soignante ! D’elle-même, elle a donc décidé de venir travailler en tenue civile pour se consacrer en toute quiétude à la réalisation du livret d’accueil des stagiaires. Aujourd’hui, le cadre de santé est considéré comme un manager. En ce sens, en référence aux dix rôles du cadre proposés par Mintzberg(23), il est opportun de souligner celui d’agent de liaison qui est inclus dans ce que l’auteur nomme « les rôles interpersonnels ». De fait, le cadre de santé, en tant que manager du projet, n’est plus celui qui fait, ni même celui qui fait faire, mais plutôt celui qui organise les conditions, notamment temporelles, pour que le tuteur de stage puisse faire. Cette dynamique s’inscrit dans ce qui est appelé le management participatif : « C’est vouloir que le groupe prenne en charge une partie des décisions concernant le fonctionnement et l’organisation du travail dans le sens d’un développement, au sein d’un cadre que le manager aura au préalable clarifié. »(24)

Expertise soignante

Une quatrième plus-value est liée à l’expertise soignante du cadre de santé. Pour élaborer un livret d’accueil cohérent avec les finalités d’une unité fonctionnelle et le développement des compétences afférentes, une analyse de la file active des patients est nécessaire. Cette analyse débouche sur l’identification des situations reflétant les pratiques cliniques les plus représentatives, autrement dit les situations emblématiques : « les situations les plus fréquentes devant lesquelles l’étudiant pourra se trouver »(10) ou plus précisément « des situations emblématiques (du métier) à identifier à partir des situations les plus fréquentes pour chercher les plus signifiantes »(25). Ces situations emblématiques ne sont pas définitivement définies et méritent une actualisation régulière. C’est là l’un des motifs majeurs de coopération entre maître de stage et tuteur. Le cadre de santé, souvent doté d’une expérience soignante solide, voire variée, est alors susceptible d’apporter sa contribution d’expert à celle du tuteur. Ce binôme réflexif requiert également, pour être efficient, le conseil expert du médecin chef de service.

Apport méthodologique

Une cinquième plus-value est identifiable : l’apport méthodologique du cadre de santé. En effet, force est de constater que nombre des tuteurs de stage, malgré leur bonne volonté, leur engagement, souffrent d’un manque de compétences méthodologiques. Ce défaut est lié d’une part à une formation initiale qui ne les prépare pas à contribuer à la réalisation de documents institutionnels. Il est aussi lié à un manque de pratique ou/et au fait que les cadres sont souvent ceux qui sont mandatés en priorité sur ce type d’exercice. Les principales lacunes méthodologiques portent notamment sur le fond et la forme du livret de stage qui doit comporter des items prédéfinis nationalement et qui contient des données institutionnelles plus facilement accessibles par le cadre de santé que par le tuteur (durée moyenne de séjour, GIR moyen pondéré…). Une autre carence méthodologique porte sur la construction des situations emblématiques. Les tuteurs de stage ont parfois des difficultés à passer de la narration de cas clinique à la présentation didactique de problématiques cliniques.

Compétences scripturales

De même, une sixième plus-value du cadre de santé concerne les compétences scripturales. Il est en effet connu chez les corporations soignantes, dont les infirmières, que le passage à l’écriture constitue un frein(26 ; 27). De fait, il est souvent constaté chez les tuteurs des difficultés à organiser leur pensée en vue de la transcription scripturale. Le tuteur connaît parfaitement les composantes des cas cliniques qu’il souhaite développer, mais ne parvient pas à organiser un cheminement dans une forme que les stagiaires vont pouvoir utiliser dans leur apprentissage. Ce problème méthodologique est parfois majoré par une maîtrise précaire des logiciels informatiques permettant d’optimiser cette mise en forme. Dans les deux registres méthodologique et scriptural, forts de la possession de titres universitaires (master I et II), les cadres de santé d’aujourd’hui seraient logiquement, en théorie, en capacité d’apporter un soutien aux tuteurs de stage. La réalité est que peu des cadres de santé en activité sont en mesure de répondre à cette attente. Leurs compétences universitaires sont peu ou ne sont pas consolidées, du fait même que le cadre de santé est toujours dans l’agir. Le milieu de travail est axé sur la technique et la production de soins. Les cadres vivent leur fonction comme une position de tampon des conflits et de régulation d’une activité où l’empirisme a pris le pas sur une organisation structurée des soins. « La pression du travail ne l’encourage pas à devenir un planificateur, mais plutôt un adaptateur spécialiste du traitement de l’information, qui travaille dans un environnement de style stimulus-réponse et qui préfère l’action. »(23) Une solution est de disposer, à l’échelle institutionnelle, d’un ou plusieurs cadre (s) de santé, experts en ingénierie de la formation, et de les placer en posture transversale, à titre de coordinateurs de la formation clinique. C’est une proposition qui est en adéquation avec l’organisation actuelle des établissements de santé où la mutualisation des compétences, à condition d’être fondée sur le volontariat, permet d’optimiser le fonctionnement général. Il s’agit de permettre à ces cadres de santé experts en formation de se détacher de leurs services pour animer des groupes de travail institutionnels, concernant ici le dispositif tutoral. Il peut être intéressant que ces groupes comportent aussi des formateurs d’IFSI. Ces groupes de travail regrouperaient ponctuellement les tuteurs des différentes unités fonctionnelles, générant alors une formation commune et donc une aide procédurale homogène. Ainsi, des situations emblématiques réalisées sur les bases d’une même trame méthodologique seraient transférables d’un pôle à un autre. Des synergies entre tuteurs de pôles différents seraient envisageables. De même, une méthodologie commune donnerait du sens au dispositif pédagogique clinique à l’échelle de l’institution, permettant aux stagiaires une adaptation plus rapide quel que soit le terrain de stage.

LE RETOUR D’EXPÉRIENCE

Au sein de l’établissement où nous exerçons, nous avons l’opportunité de développer une coopération élargie entre cadres de santé et tuteurs de stage. Un groupe de travail institutionnel sur le tutorat est créé depuis 2016. Il est composé, au niveau de son pilotage, par deux cadres de proximité et deux cadres formateurs en IFSI. L’un des cadres de proximité possède une solide expertise en ingénierie de la formation lui permettant de prendre une posture de coordinateur de formation clinique. Vingt-cinq tuteurs issus de l’ensemble des pôles sont inscrits au groupe de travail. Trois rencontres annuelles sont planifiées.

Actuellement, le pôle “gériatrie et soins de suite” ainsi que le pôle “mère-enfant” se sont rapprochés pour coopérer à la mise en forme de situations emblématiques. En pratique, suite au ciblage des situations emblématiques de leurs unités fonctionnelles par la triade cadre de santé maître de stage/tuteur/médecin chef de service, l’utilité d’un soutien méthodologique et scriptural a motivé la formalisation de ces situations dans le cadre des réunions du groupe de travail institutionnel.

L’avancée de la réflexion et des réalisations au sein de ces deux pôles, nourrie de l’expertise des pilotes du groupe de travail institutionnel, dont le cadre coordinateur de formation clinique, s’apparente à un dispositif expérimental tout autant qu’à un catalyseur du dispositif de formation clinique pour les tuteurs des autres pôles.

POUR NE PAS CONCLURE

L’environnement actuel de travail n’est pas facilitant pour le déploiement d’un dispositif de formation clinique optimal. « La charge de travail n’a jamais été aussi lourde, et les moments qui permettaient aux équipes de se parler et de transmettre leurs savoir-faire aux étudiants sont réduits au minimum. »(28) Il n’est pas certain que la conjoncture actuelle permette un partage et une transmission des savoirs expérientiels, tout autant que la pérennisation d’une culture infirmière vectrice d’une construction identitaire. La paire partenariale maître de stage/tuteur de stage a donc une grande responsabilité dans ce projet de promouvoir les professions de soins via une formation clinique de haut niveau. Pour le cadre de santé de proximité, dans ce domaine si crucial qu’est la formation des futurs professionnels, l’art de se ménager des zones de manœuvre joue un rôle essentiel. Il l’est tout autant dans celui d’aménager des zones de manœuvre pour que le tuteur de stage puisse développer et exprimer un panel de compétences spécifiques à sa posture. La profession de cadre de santé se réinvente au quotidien ! Pour reprendre le titre de l’article de Friard(29) : « Le quotidien n’existe pas, il se construit. »

NOTES

(1) Agence régionale de santé Bourgogne. (2010). “Guide 1re partie pour les professionnels des terrains de stage accueillant des étudiants en soins infirmiers. Programme 2009”. Dijon : ARS Bourgogne (à consulter via le lien raccourci bit.ly/2fiIEx1).

(2) Vega, A. (1997). “Les infirmières hospitalières françaises : l’ambiguïté et la prégnance des représentations professionnelles”. Sciences sociales et santé, 15 (3), 103-132.

(3) Gonnet, F. (1989). “Les relations de travail : entre la complexité et l’insécurité, l’Hôpital à vif”. Autrement, (109), 128-147. Soyer, L. (2006). “Le management par projet pour favoriser le travail d’équipe et la qualité des soins au bloc opératoire”. Mémoire de master 1 Ingénierie de la santé option gestion santé. Paris : École supérieure Montsouris / Université Paris XII Val-de-Marne. Peneff, J. (1992). L’hôpital en urgence. Paris : Métailié.

(4) Bourdoncle, R., Agulhon, C., & Pelpel, P. (1996). “La fonction tutorale dans les organisations éducatives et les entreprises”. Éditorial. Recherche et formation, (22), 4-5 (repéré via le lien raccourci bit.ly/2xZ4tZl).

(5) Via bit.ly/2eWc8Aa.

(6) Barbier, J. M. (1996). “Tutorat et fonction tutorale : quelques entrées d’analyse”. Recherche et formation, (22), 7-19 (repéré via le lien bit.ly/2f5zl6o).

(7) Jonnaert, P. (2012). Compétences et socioconstructivisme. Bruxelles : De Boeck Université.

(8) Masingue, B. (2009). “Seniors tuteurs : comment faire mieux ?” Rapport au secrétaire d’État chargé de l’Emploi (repéré via le lien bit.ly/2wWt0kW).

(9) Soyer, L., & Tanda, N. (2015). Initiation à la démarche de recherche. Traitement des données.Unité d’enseignement 3.4et 5.6. Semestre 4 et 6. Paris : Vuibert. Collection Référence IFSI.

(10) Ministère de la Santé et des Sports. (2013). Formations des professions de santé Profession infirmier Recueil des Principaux textes relatifs à la formation préparant au diplôme d’Etat et à l’exercice de la profession. Paris (France) : Berger-Levrault.

(11) Via bit.ly/2wZ93rf.

(12) Duru-Bellat, M. (2015). “Les compétences non académiques en question”. Formation emploi, 2 (130), 13-29.

(13) Lambert, M. (2009). L’accompagnement d’apprennant-e-s dans l’enseignement supérieur : expériences d’une conseillère pédagogique. Travail de fin d’études en vue de l’obtention du Diplôme en enseignement supérieur et technologie de l’éducation. Fribourg : Centre de didactique universitaire, Université de Fribourg.

(14) Brousseau, G. (1988). “Le contrat didactique et le concept de milieu : Dévolution”. Recherches en didactique des Mathématiques, 9 (3), 309-336.

(15) Wittorski, R. (2009). “Accompagnement et professionnalisation”. Esquisse, (52/53), 5-21.

(16) Raucent, B., & Vander Borght, C. (2006). Être enseignant. Magister ? Metteur en scène ? Bruxelles : De Boeck.

(17) Charlier, B., Nizet, J.,& Van Dam, D. (2005). Voyage au pays de la formation des adultes. Dynamiques identitaires et trajectoires sociales. Paris : L’Harmattan.

(18) Flye Sainte-Marie, A. (1997). “La compétence interculturelle dans le domaine de l’intervention éducative et sociale”. Les cahiers de l’Actif, (250/251), 53-63.

(18) Soyer, L. (2016). “Développer une compétence interculturelle”. Objectif Soins & Management (244), 26-30.

(19) Le Boterf, G. (2011). Ingénierie et évaluation des compétences. Paris : Eyrolles.

(20) Baudrit, A. (2002). Le tutorat. Richesses d’une méthode pédagogique. Bruxelles : De Boeck.

(21) Via bit.ly/2fhJSIH.

(22) Prides. (2009). Services à la personne. Le guide de la coopération. Marseille : pôle Services à la personne PACA (PSP PACA), URIOPSS PACAC (repéré via bit.ly/2vTm2co).

(23) Mintzberg, H. (1984). Le manager au quotidien. Les dix rôles du cadre. Paris : Éd. d’Organisations.

(24) Caminel, B. (1999). Manager un centre de responsabilités. Paris : Maxima.

(25) Vial, M. (2012, juin). “Évaluation par compétences dans la formation : apprendre par les situations”. Conférence proposée dans le cadre des Journées de l’AEEIBO. Marseille (repéré via bit.ly/2fiCzjS).

(26) Duquenne, I., & Le Moguen, C. (2012). “La transmission d’une expertise infirmière en éducation thérapeutique”. Soins, 57 (770), 37-39.

(27) Soyer, L. (2013). “Universitarisation de la formation initiale en soins infirmiers : Partenariat entre IFSI et Aix-Marseille Université : genèse d’un glissement paradigmatique ?” Mémoire de master Recherche 2e année Éducation, systèmes d’apprentissage, d’évaluation et de formation. Marseille : Aix-Marseille Université.

(28) Annane, F. (2011). Quelles conséquences psychosociales de la réforme des études en soins infirmiers ? Issy-Les-Moulineaux : Elsevier Masson. Soins Cadres, (77), 38-41.

(29) Friard, D. (2006). “Le quotidien n’existe pas, il se construit”. Soins psychiatrie, (243), 24-27.