« L’innovation sociale mérite l’attention des chercheurs » - Objectif Soins & Management n° 259 du 01/10/2017 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 259 du 01/10/2017

 

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Claire Pourprix  

Interview Apparue en France dans les années 2000, l’innovation sociale est encore bien trop discrète. Explications et pistes d’amélioration par Fabrice Gzil, responsable du soutien à la recherche et à l’innovation sociale à la Fondation Médéric Alzheimer.

Qu’entend-on par innovation sociale ?

Fabrice Gzil : Quand on parle d’innovation, on a tendance à penser à la recherche médicale et aux progrès technologiques. L’innovation sociale, beaucoup plus discrète et moins médiatique, concerne les initiatives nées du terrain, par les patients, leurs proches, les professionnels de santé et du secteur médico-social qui les accompagnent et qui cherchent en permanence à améliorer leurs réponses, leurs pratiques, quitte à critiquer et remettre en question leur mode de fonctionnement, d’organisation, d’accompagnement. On pourrait penser qu’elle a toujours existé… la différence est que, aujourd’hui, elle est reconnue comme une innovation. Et, en tant que telle, elle vise véritablement un meilleur service rendu, en termes de qualité et d’efficacité.

Comment se situe la France dans ce domaine par rapport aux autres pays ?

F. G. : En France, l’innovation sociale est réellement apparue au début des années 2000, notamment au sujet de la maladie d’Alzheimer et des pathologies associées. Les trois plans Alzheimer et le plan maladies neuro-dégénératives nous ont permis de rattraper largement notre retard par rapport à des pays souvent cités en exemple, comme le Canada (Québec) et l’Angleterre. Nous sommes désormais reconnus pour l’ampleur de nos politiques publiques et l’originalité de nos réponses, mais nous ne savons pas toujours très bien mettre en valeur la créativité et l’inventivité des acteurs de terrain. Il nous reste à apprendre à valoriser toutes ces pépites qui s’ignorent : bien souvent, les auteurs d’innovation sociale n’ont pas conscience de la valeur ajoutée et de l’originalité de leurs initiatives, ils pensent que ce sont de petites choses…

Cela constitue-t-il un frein au développement de l’innovation ?

F. G. : Oui ! Et au-delà de la communication, il faudrait que l’innovation sociale bénéficie de l’appui de la recherche. Il faudrait que les chercheurs s’intéressent plus aux innovations qui naissent du terrain, et développer véritablement les sciences infirmières. Cela permettrait de mesurer, d’objectiver l’impact de ces innovations.

Sur le plan éthique, quels sont les prérequis à l’innovation sociale ?

F. G. : La notion d’innovation sociale étant très à la mode, il faut être attentif à ce qui constitue véritablement une innovation. Elle ne doit pas simplement viser plus d’efficacité et d’efficience, elle doit aussi constituer un réel progrès social : apporter plus de solidarité, mieux prendre en compte la personne, la respecter, apporter du bonheur, même éphémère… Au nom de la promotion de l’innovation, il ne faudrait pas disqualifier des qualités fondamentales, des valeurs intemporelles comme le temps consacré à la personne, la sollicitude, l’attention à autrui. Promouvoir l’innovation sociale, ce n’est pas faire l’apologie de la nouveauté pour la nouveauté. En cela, les acteurs de l’innovation sociale sont à la fois des défricheurs, car ils essayent d’inventer des réponses nouvelles, et des veilleurs, car ils sont les défenseurs d’une culture du soin où, même malade, même diminuée, une personne ne perd jamais sa dignité.

Vous parlez de culture du soin… Quelle est la place des soignants dans l’innovation sociale ?

F. G. : On parle d’innovation sociale mais, dans le domaine qui nous occupe, on pourrait tout aussi bien parler d’innovation médico-sociale. Les professionnels des secteurs sanitaire et médico-social sont de plus en plus impliqués aux côtés des familles et des malades eux-mêmes. C’est le grand message qui est ressorti de la consultation nationale que nous avons lancée il y a quelques mois : et si on travaillait ensemble ? Pour améliorer la prise en charge et l’accompagnement, pour inventer les réponses de demain et en évaluer l’impact, il est indispensable que professionnels, chercheurs, familles et personnes malades unissent leurs forces et apprennent à travailler ensemble.