Choc septique dû à une absence de surveillance - Objectif Soins & Management n° 257 du 01/06/2017 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 257 du 01/06/2017

 

Droit

Gilles Devers  

Dans un arrêt du 19 avril 2017 (n° 16-83640), la chambre criminelle de la Cour de cassation confirme un arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence ayant condamné un chirurgien à deux ans d’emprisonnement avec sursis à la suite du décès d’une jeune patiente d’un choc septique.

Cette patiente avait été opérée deux jours plus tôt d’une intervention banale, une hémorroïdectomie, et le dossier montre des carences graves dans la prise en charge.

LES FAITS

La prise en charge et son évolution dramatique

Une patiente, âgée de 42 ans, est opérée dans une clinique d’une hémorroïdectomie le 7 décembre. Cette opération bénigne sur une jeune femme en bon état de santé ne doit pas entraîner de complications. De fait, il est prévu que la patiente rentre chez elle le lendemain en fin de matinée, après la visite du chirurgien.

• Dès l’après-midi du 7, la patiente se plaint auprès de l’infirmière et de sa famille d’insistantes douleurs, malgré le traitement antalgique. Elle passe une mauvaise nuit. Le 8 au matin, elle est dans un état d’épuisement au point qu’elle ne peut pas se lever seule. La famille, très présente, s’inquiéte de cette évolution auprès de l’infirmière.

De fait, le chirurgien préfère décider du maintien dans le service pour surveillance, mais, considérant comme acquis qu’il s’agit des suites normales de l’opération, il ne recherche pas de cause spécifique à ces douleurs, et s’en tient à la poursuite du traitement antalgique qui est en cours.

• En fin d’après-midi, à 18 heures, l’infirmière appelle le chirurgien, et évoque la persistance des douleurs. La température est à 38 °C, mais il ne ressort pas clairement du dossier que l’infirmière en ait informé le médecin. Le chirurgien n’a pas envisagé de se déplacer, et demande qu’on en reste à la poursuite du traitement.

Par la suite, il coupe son téléphone portable au motif qu’il n’est pas le médecin de garde à la clinique. Dans la soirée, il ne s’informe pas de l’évolution.

Le dossier apporte peu d’éléments mais, quand la famille s’entretient par téléphone avec la patiente vers 21 heures 30, celle-ci se plaint à nouveau de l’importance des douleurs, malgré le traitement.

• Dans le courant de la nuit, l’évolution est devenue alarmante. À 22 heures, l’infirmière découvre la patiente pliée en deux dans son lit, secouée de frissons et le visage couvert de sueur. Les constantes révèlent alors une tension de 10/6, un pouls battant à 117 et une température de 38,5 °C.

L’infirmière cherche à joindre le chirurgien sans succès, le téléphone étant sur répondeur. Elle tente d’appeler le médecin anesthésiste, en vain également ; elle contacte alors le service des urgences de la clinique. Le médecin urgentiste, sans se déplacer, prescrit l’administration de Spasfon, d’un antalgique, et demande qu’une prise de sang soit faite afin de pratiquer une hémoculture. L’infirmière administre le traitement, et programme l’examen sanguin pour l’équipe du matin.

Lors de la relève de l’équipe de nuit, donc le 9 vers 7 heures, la responsable des soins infirmiers s’alarme de la situation et contacte les médecins. Le médecin anesthésiste se rend au chevet de la patiente aux alentours de 9 heures.

Au cours de la matinée, aucun contrôle de température ne figure au dossier.

Le prélèvement sanguin pour hémoculture est pratiqué in extremis aux alentours de 10 heures 30. Les résultats ont été obtenus deux heures plus tard, avec un compte rendu téléphonique effectué à 12 heures 42.

Le chirurgien, malgré ses réticences, suit l’avis de ses confrères, et procède à une exploration sous anesthésie générale en fin de matinée, sur une patiente en état de réanimation.

Le décès est constaté à 12 heures 30, dans un cadre de défaillance générale et brutale d’un choc septique, la réanimation restant vaine.

Le constat est alors fait du décès du fait d’un choc toxique lié à une infection par streptocoque de type A.

Conditions de la survenance du choc septique

La température le 8 au soir, à 38 °C vers 18 heures et 38,5 °C vers 22 heures, témoignait d’un processus infectieux par voie sanguine, qui s’est révélé être une septicémie d’apparition rapide. À 22 heures, la situation n’était pas alarmante, mais appelait une réponse urgente.

Cette évolution était potentiellement dangereuse, avec un pouls qui dépassait les 100 pulsations par minute chez une patiente alitée et qui s’accélérait depuis la veille ainsi qu’une tension artérielle en baisse depuis la veille également.

Selon les données médicales connues, il s’agissait de signes hémodynamiques de dangerosité potentielle nécessitant une réponse urgente, à savoir, d’une part, une analyse bactériologique et biologique pour rechercher le germe et, d’autre part, l’instauration immédiate d’un traitement antibiotique intraveineux pour enrayer le plus rapidement possible le processus infectieux. Puisqu’il fallait agir vite et que le germe n’était pas connu, en attente des résultats de l’hémoculture et de test de sensibilité, il fallait prescrire de la pénicilline. Le chirurgien et l’anesthésiste n’ayant pu être contactés et l’urgentiste ne s’étant pas déplacé, la septicémie s’est renforcée. Les signes cardiovasculaires se sont aggravés, provoquant chez la patiente des douleurs de plus en plus violentes.

La surveillance dans la nuit du 8 au 9 a été gravement défaillante, avec l’absence de contrôle de la température et la non-réalisation de l’examen pour les hémocultures, malgré l’aggravation des signes cardiovasculaires. Interrogée, l’infirmière de garde a expliqué que, pour elle, la patiente allait mieux alors qu’à l’inverse, elle allait entrer en collapsus cardiovasculaire avec des douleurs abdominales encore plus violentes.

LE DROIT APPLICABLE

Procédure

Informée par la famille de dysfonctionnement, l’Agence régionale de santé a mandaté un médecin inspecteur, pour effecteur un rapport. Puis une enquête a été ouverte par le procureur de la République et une expertise judiciaire a été effectuée.

Le chirurgien a été cité devant le tribunal correctionnel pour homicide involontaire. Il a été déclaré coupable des faits reprochés, et condamné à une peine d’emprisonnement avec sursis. La cour d’appel puis la Cour de cassation ont confirmé cette sanction.

En droit

Dans la présente affaire, s’applique l’alinéa 4 de l’article 121-3 du Code pénal, celui consacré à la responsabilité “indirecte”, c’est-à-dire lorsqu’il existe des intermédiaires humains entre le décès et la faute reprochée.

Par principe, il y a délit en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, si cette faute a causé un préjudice corporel et, en règle générale, cette responsabilité est engagée en cas de faute simple.

Toutefois, s’agissant des personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, la faute simple ne suffit plus. L’accusation doit prouver qu’elles ont commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer.

LES FAUTES COMMISES PAR LES DIFFÉRENTS PROFESSIONNELS

Les fautes, sanctionnées, du chirurgien

Le chirurgien a commis une succession d’imprudences et de négligences d’une particulière gravité, en ne pratiquant aucun examen clinique sur une patiente qu’il avait opérée la veille et qui se plaignait d’importantes douleurs dont le chirurgien n’a pas cherché à découvrir l’origine, considérant comme acquis qu’il s’agissait des suites normales de l’opération. C’était au médecin d’examiner la patiente, et il ne pouvait s’en remettre aux informations données par les infirmières, incomplètes il est vrai.

Le chirurgien a soutenu que la poursuite du séjour était dans son esprit destinée à assurer le confort de sa patiente. Or l’état de celle-ci, tel que décrit par le personnel soignant ou par ses parents, excluait que soit envisagé un retour à son domicile. De même, le chirurgien n’expliquait pas comment il avait pu décider du maintien de l’hospitalisation sans s’interroger sur l’origine des douleurs, sans donner aucune consigne particulière de surveillance donnée aux infirmières.

Le fait qu’il ne soit pas de garde ce soir-là ne justifiait pas qu’il coupe sa ligne téléphonique. En effet, les obligations générales pesant sur lui, que ce soit en vertu du Code de déontologie ou en vertu de son contrat avec la clinique lui imposait d’assurer la continuité des soins aux malades hospitalisés, et lui faisait obligation de s’assurer personnellement de l’évolution de l’état de santé de sa patiente. Le contrat de travail signé le 2?avril 2010 indique que « le praticien s’engage à assurer la continuité des soins aux malades hospitalisés au sein de la clinique et à répondre aux appels qui lui sont adressés par le service d’urgence de la clinique ».

Dès lors que les suites de l’opération nécessitaient la prolongation de l’hospitalisation, il lui appartenait de procéder aux examens utiles et de s’enquérir de l’apparition de tout symptôme lui permettant d’apprécier, en connaissance de cause, l’évolution de l’état de santé de son opérée. Sur ces points, sa défaillance est complète. Le chirurgien n’a procédé à aucun examen dans la journée du 8 décembre, et ne s’est pas préoccupé de sa patiente. Appelé par l’infirmière en fin d’après-midi, il s’est contenté de prescrire la poursuite du traitement initial sans manifester l’intention de se déplacer et, par la suite, il a coupé son téléphone portable de sorte qu’il n’a pu recevoir l’appel de l’infirmière. Or il lui incombait de sa propre initiative de s’enquérir d’une possible aggravation de l’état de celle qui était sous sa responsabilité. Il existait suffisamment de signes cliniques pouvant motiver cette antibiothérapie, ce qui a justifié la prescription de l’hémoculture faite par le médecin urgentiste.

Ces manquements sont d’autant plus graves qu’ayant opéré la patiente d’une zone poly-microbienne, le chirurgien devait avoir conscience du risque infectieux dont le traitement pré-opératoire administré par l’anesthésiste ne pouvait suffire à se prémunir et alors que les symptômes de douleurs abdominales persistantes, un état de faiblesse généralisé et l’apparition d’une température anormale dont le chirurgien aurait dû avoir connaissance s’il avait été normalement diligent auraient dû l’alerter sur la dégradation de l’état de santé de sa patiente.

L’alerte que constituaient tous ces symptômes aurait dû conduire le chirurgien à envisager un phénomène infectieux. Il a d’ailleurs reconnu avoir pensé à une telle évolution, mais, au vu du compte rendu de l’infirmière effectué le 8 décembre en fin de soirée, il n’avait pas jugé utile de se déplacer au chevet de la malade, se privant de la faculté de constater la gravité de son état. Or, à défaut d’avoir prescrit une analyse de sang le matin, il aurait dû, au moins, le faire le soir, et prescrire une antibiothérapie prophylactique afin de prémunir la patiente de toute complication infectieuse. Sa négligence, par l’absence de soins attentifs qui lui incombaient, a permis le développement de la pathologie qui a conduit à l’issue fatale du 9 décembre à 12 heures 30.

C’est l’absence de prescription de l’antibiothérapie qui a permis le choc septique brutal à l’origine du décès de la victime. Ce choc septique aurait dû être évité par la mise en place de l’antibiothérapie auquel un examen attentif et consciencieux de la patiente aurait dû conduire.

Ce faisant, le chirurgien a bien commis des fautes caractérisées en négligeant de se préoccuper après son opération de sa patiente dont l’état devait susciter des inquiétudes et en ne prenant pas en compte le risque infectieux qui pouvait conduire à l’issue fatale alors qu’en sa qualité de chirurgien, il ne pouvait ignorer les complications possibles de l’opération pratiquée.

Ces fautes sont en relation causale certaine avec le décès de la patiente : le décès aurait pu être évité si elle avait bénéficié de soins attentifs et consciencieux par la prescription d’une antibiothérapie à laquelle son état de santé aurait dû conduire et sans attendre sa dégradation brutale. À défaut de mesure prophylactique, ses chances de survie devenaient hypothétiques du fait du développement de l’infection et du choc septique qui s’en est suivi. Ce sont ces négligences répétées qui sont à l’origine du phénomène infectieux qui a causé le décès, et ces fautes ont privé la patiente de toute chance de survie. De telle sorte, le délit d’homicide involontaire est donc constitué.

Les fautes, non sanctionnées, de l’infirmière de nuit

Les infirmières n’ont pas été aidées par le médecin, ni globalement par l’équipe médicale, et le dossier laisse deviner le contexte général de relations qui ne sont pas de qualité.

Notamment, alors que l’infirmière a contacté le médecin vers 18 heures, le fait que celui-ci ait débranché son téléphone et qu’il n’ait pas pris la peine de rappeler dans la soirée est le signe de relations particulièrement dégradées.

Ceci étant, trois points posent difficultés.

• L’infirmière de l’après-midi a-t-elle ou non informé de l’existence d’une température ? Cela ne ressort pas clairement de la décision de justice, il faut donc en conclure que le dossier infirmier est incomplet.

• L’infirmière de nuit, qui avait découvert une situation grave vers 22 heures, s’est heurtée à une véritable indifférence médicale… et il semble qu’elle se soit laissée elle-même glisser dans le moule. Alors que le médecin urgentiste a prescrit une prise de sang pour hémoculture, ce qui est très logique du point de vue infirmier, l’infirmière a pourtant reporté l’examen à l’équipe du matin, alors que le résultat pouvait être obtenu en deux heures et changer la nature des choses. Le dossier montre une surveillance insuffisante, voire inexistante, pendant le reste de la nuit, que l’infirmière a justifié en évoquant une amélioration de l’état de santé, ce qui est en contradiction avec tous les signes cliniques. D’ailleurs, l’état d’alerte a été donné lors de la relève, à 7 heures.

• Enfin, la prise de sang n’a eu lieu qu’à 10 heures…

Ces fautes, et particulièrement pendant la nuit, sont établies, et elles ont concouru à la réalisation du dommage. Sur le plan civil, cette faute engage la responsabilité, en l’occurrence celle de la clinique, employeur de l’infirmière. Mais, sur le plan pénal, la perte de chance de survie laisse un doute, qui interdit la condamnation.

Pour le chirurgien, la défaillance était complète : pas d’examen le lendemain, réponse d’attente à l’appel de l’infirmière de 18 heures, débranchement du téléphone, pas d’appel dans la soirée à l’infirmière, des manquements d’autant plus graves qu’il devait avoir conscience du risque infectieux, qu’il n’était pas en mesure d’expliquer l’évolution, que l’hémoculture pouvait donner des résultats en deux heures, et que s’imposait une antibiothérapie prophylactique par pénicilline. On ne retrouve pas une telle concordance pour l’infirmière.

La faute, non sanctionnée, de l’urgentiste

Le dossier laisse apparaître une autre faute, qui est celle du médecin urgentiste. Avec à-propos, il avait prescrit vers 23 heures un examen sanguin en vue d’hémoculture, mais ne s’est pas enquis du résultat, normalement obtenu dans un délai d’environ deux heures. Or le médecin qui prescrit un examen a le devoir de s’informer du résultat, même si c’est pour remplacer un confrère défaillant. Si le médecin avait rappelé dans la nuit, il aurait pu constater que l’examen n’avait pas été pratiqué, qu’il fallait le faire de toute urgence, et de précieuses heures auraient été gagnées. En cas là encore de perte de chance, pouvant être retenu au civil.