GHT : les cadres aux manœuvres de la conduite du changement - Objectif Soins & Management n° 253 du 01/02/2017 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 253 du 01/02/2017

 

Ressources humaines

Marie Luginsland  

Dans une nouvelle configuration positionnant le patient au cœur de son dispositif, les cadres, passerelles entre médicaux et soignants, entre direction et équipes, trouvent tout naturellement leur place dans la mise en œuvre des groupements hospitaliers territoriaux (GHT) et dans leur fonctionnement futur. Cette mutation est à la fois une opportunité pour la profession d’être reconnue dans son expertise et une source d’inquiétude quant à la mobilité forcée et la compression d’effectifs qui risquent d’en résulter.

Mesure phare de la loi de modernisation du système de santé du 26 janvier 2016, la mise en place de groupements hospitaliers de territoire (GHT) a pour ambition le développement de stratégies médicales et soignantes répondant aux besoins spécifiques de chaque territoire. Le processus en marche devrait être finalisé dans un an. Un calendrier jugé précipité par CH-FO qui aurait souhaité davantage « d’oxygène, et surtout une vision moins intégrative, plus participative », comme le déplore Pascal Martin, son secrétaire général adjoint. Pour autant, l’heure n’est plus aux atermoiements, ni aux coups d’œil dans le rétroviseur. Les cadres sont appelés à prendre le mouvement en marche. Au risque d’être exclus d’une révolution culturelle qui modifie en profondeur la configuration des établissements, tout comme le parcours de soins et le travail au lit du patient. Cependant, les établissements peuvent-ils vraiment faire l’économie d’une coopération avec les cadres tant ces derniers sont impliqués dans l’organisation des soins ? Comme l’a rappelé, en substance, la Fédération hospitalière de France (FHF) au gré des 50 clés de déverrouillage énoncées dans sa plateforme de propositions du 3 février dernier(1), les instances de gouvernance doivent avoir l’intelligence de ne pas s’engager dans un mouvement qui détériorerait la qualité des soins au lit du patient.

LA PLACE DES CADRES

Cent trente-cinq GHT devraient émerger, à terme, du territoire français. Et, avec eux, autant de configurations différentes. C’est dire si les réponses qui seront apportées seront très « GHT dépendantes », remarque Stéphane Michaud, président de l’Association française des directeurs des soins (AFDS). « Nous aurons des choses assez différentes, très innovantes en fonction des GHT, de leur taille, du nombre d’établissements concernés, du secteur géographique, des besoins de santé, de l’offre de soins. Il est donc compliqué aujourd’hui de se projeter, les organisations n’étant pas calées. » Les GHT sont aujourd’hui une page blanche, ou presque. Et les cadres de santé, comme l’ensemble de l’encadrement, sont invités à s’associer à l’écriture de ce qui sera la nouvelle feuille de route des établissements. Se saisir de cette opportunité pour réaffirmer son rôle auprès des équipes et s’affirmer dans la mise en place du dispositif au travers des réponses qu’ils pourront apporter, les cadres doivent imprimer leur marque. Dans ce dispositif centré sur le patient, désormais considéré de manière holistique, les cadres en ont l’entière légitimité. « Ce sont les cadres qui vont faire vivre la stratégie. En effet, leur rôle est majeur pour accompagner leurs équipes sur ces nouvelles notions de territoire, sur ces nouveaux partenariats. D’autant que, demain, ces configurations peuvent évoluer vers des GST, des groupements de santé de territoire », expose Stéphane Michaud, reconnaissant que « la direction des soins va être le trait d’union entre l’hôpital et la ville mais, bien évidemment, ce seront les cadres et les cadres supérieurs qui le feront vivre ». Les éléments fondateurs de chaque GHT que sont la convention constitutive, le règlement intérieur, le projet médical partagé et le projet de soins partagé rendent effectivement les cadres incontournables. « La représentativité des cadres est mise en exergue dans la politique managériale. On est sur du case management, les cadres vont être de facto inclus par le biais du projet de soins partagé mis en place de manière ascendante, en partant du terrain », relève Christian Villermet, directeur chargé du GHT Alpes Dauphiné.

LE RÔLE DES CADRES

Les cadres vont pouvoir jouer ce rôle en s’emparant des différents leviers prévus à la mise en place du GHT. Parmi eux, le projet de soins partagé, tel qu’il est prévu au décret du 27 avril 2016, est l’outil le plus pertinent à manœuvrer car il introduit un changement de paradigme dans la prise en charge du patient. Le cadre, manageur auprès des soignants et relais des instances décisionnelles, en sera un contributeur privilégié. « Les pratiques, et tout particulièrement le travail en coopération au lit du patient, vont être modifiés. Il va se construire sur des valeurs communes autour de la personne soignée avec la réponse de leur choix tout en dépassant les frontières. Il y a de réelles opportunités à avoir un travail de réseau. Les cadres vont jouer un rôle de liaison pour optimiser le service rendu et les ressources », décrit Dominique Combarnous, présidente de l’Association des cadres infirmiers et médico-techniques (Ancim).

UN MANAGEMENT À RÉINVENTER

La mise en place d’un GHT est avant tout une affaire de ressources humaines. Il s’agit en effet d’identifier les compétences et les expertises qui vont permettre de mettre en place des missions transversales pour optimiser le projet médical partagé et le projet de soins partagé. Le cadre est sollicité à double titre. Spécialiste de l’organisation des soins, il va tout d’abord être le décodeur du dispositif auprès des soignants. Le GHT est en effet souvent mal compris par les soignants et une communication s’avère nécessaire pour décrypter auprès d’eux le pilotage des instances de gouvernance. « Les cadres seront les traducteurs de cette dynamique, et nous demandons par conséquent qu’ils y soient obligatoirement associés afin de pouvoir donner du sens auprès de leurs équipes », expose Dominique Combarnous. Leurs qualités managériales seront d’autant plus requises que les GHT, de par les nouvelles notions de management des soins qu’ils introduisent, feront émerger de nouveaux métiers, comme « les gestionnaires de filières, des gestionnaires de disponibilité des lits, des case managers… Les cadres auront donc à manager de nouveaux profils », indique Philippe Orliac, coordonnateur général des soins au CHU Grenoble Alpes, affirmant que « les GHT vont développer une nouvelle chaîne managériale ». Le cadre devra déployer ses compétences dans ces nouvelles configurations hospitalières. Outils de régulation, les GHT ont, entre autres vocations, celle d’optimiser les savoirs. Ainsi, les cadres pourront être amenés à piloter leur expertise à partir de l’établissement support. « Un cadre qui disposera d’une expertise reconnue se verra propulsé en “super-expert” dans un domaine donné, à l’échelle du GHT », remarque Christophe Biondini, cadre supérieur et conseiller pédagogique, formateur à l’Afar(2).

UNE VIGILANCE ÉLEVÉE

Ne risque-t-on pas cependant, dans cette mise à profit des expertises, à l’échelle d’un GHT, de créer des cadres “à deux vitesses” ? Les uns reconnus pour une compétence particulière se voyant “aspirés” par l’établissement support, et les autres, “oubliés” dans leur établissement satellite ? Christian Villermet ne le croit pas : « L’objectif des GHT étant l’optimisation de la prise en charge, les compétences ne vont pas forcément revenir à l’établissement support, pas davantage à ses cadres dont on pourrait craindre une starisation. Bien au contraire, un établissement détenant une spécificité particulière peut s’en voir confier la mise en œuvre au sein du GHT. Je pense par exemple au parcours de soins en pédiatrie que nous sommes en train de mettre en place au sein de nos neuf établissements et qui émane de l’une de nos structures. » En revanche, il est certain que la mise en place des parcours de soins induira de facto une plus grande mobilité, une plus grande flexibilité des cadres qui auront à intégrer leur travail dans de nouvelles voies, y compris avec de nouveaux acteurs dans le parcours patient en intra et extra muros. Face à ces nouveaux enjeux, « les cadres se sentent seuls, ils attendent des réponses de leur hiérarchie », note-t-on aujourd’hui au Syndicat des managers publics de santé alors qu’un sondage signalait en mai dernier que les cadres de santé étaient les moins inquiets sur l’impact des GHT(3). Sollicités sur de nouvelles compétences, les cadres devront nécessairement être délestés de certaines fonctions actuelles. « Parce qu’on leur demandera encore plus d’implication, il faudra veiller à ne pas les surcharger de tâches administratives qui pourraient être faites par d’autres ou par des logiciels métiers plus efficients », estime Stéphane Michaud, tandis que Dominique Combarnous revendique que les cadres « ne se retrouvent pas avec des équipes de plus de 25 personnes ». Il serait contre-productif, alors que le modèle des GHT réclame plus de proximité, d’envisager que l’efficience économique s’accompagne de compressions de postes. Pascal Martin affirme que les partenaires sociaux resteront vigilants. « Nous restons attachés au principe de la publication des postes tout comme nous restons attachés à la protection des statuts », assène-t-il. Des garanties doivent être apportées aux cadres face aux bouleversements qui les attendent. Ils doivent pouvoir aborder ce chantier complexe avec des formations spécifiques, en formation continue comme en formation initiale. Il en va de la sérénité des cadres mais aussi de l’efficience d’un nouveau modèle que les évaluations futures devront démontrer.

NOTES

(1) Les 50 clés de déverrouillage pour assurer l’avenir du service public hospitalier/Plateforme de propositions de la Fédération hospitalière de France pour 2017-2022 (à lire via le lien raccourci bit.ly/2k2r5Wc).

(2) Afar (Action formation animation recherche), www.afar.fr.

(3) “Les directeurs, ingénieurs et cadres de santé et la perception des GHT”, sondage Ifop pour SMPS auprès d’un échantillon de 1 046 personnes entre le 27 avril et le 10 mai 2016 (à consulter via le lien raccourci bit.ly/2lqzHpV).

Trois questions à : Christophe Biondini, cadre supérieur, cadre assistant de pôle et conseiller pédagogique, formateur à l’Afar*

« Les cadres doivent adopterun “management courageux” »

→ Objectif Soins & Management : Comment, au travers des GHT, les cadres peuvent-ils s’impliquer dans les trois orientations fixées par la loi, à savoir le renforcement de la prévention, la réorganisation de la prise en charge autour des soins de proximité et le développement de l’innovation ?

Christophe Biondini : Avec cette nouvelle loi qu’ils sont incités à s’approprier, les cadres sont les garants de la subsidiarité, garants, aux “plus petits” niveaux, des décisions prises de manière plus centralisée. Il y a là un changement de paradigme. Parallèlement, il va falloir qu’ils utilisent leur savoir-faire, leur expérience, pour permettre à l’endroit où ils travaillent de mettre en œuvre une stratégie de territoire. Il faut qu’ils comprennent l’intérêt et l’enjeu de cette loi en matière d’égalité des soins et de parcours des soins et qu’ils en aient une vision positive et pro-active.

OS&M : La loi leur donne-t-elle les outils pour s’associer à cette mutation ?

Christophe Biondini : La loi fait obligation d’élaborer un projet médical partagé mais force est de constater que celui-ci ne pourra se faire qu’au travers du projet de soins partagé, un volet essentiel et à l’élaboration duquel les cadres doivent activement participer. En effet, aucun GHT ne peut fonctionner de manière optimisée sans la participation extrême des cadres avec les médecins, sans coopération entre médecins et soignants. De même, la loi énoncela convention constitutive comme le cœur du GHT. Une sorte de “super règlement intérieur” qui va définir les modalités organisationnelles pour dix ans. N’oublions jamais qu’elle est opposable et que, par conséquent, les cadres doivent veiller rigoureusement à y être associés.

OS&M : S’ils représentent des opportunités, les GHT ne comportent-ils cependant pas certains risques pour les cadres ?

Christophe Biondini : Il faut dégager l’essentiel de la loi pour qu’elle soit positive. Toutefois, nous ne sommes pas naïfs. S’ils peuvent trouver des nouvelles formes de coopération au sein des GHT, les cadres doivent absolument garder un esprit critique. Ils doivent être capables de lutter contre toutes formes de pressions afin que l’interprétation de la loi se fasse en faveur du patient. Il ne faut pas nier que la difficulté du GHT est qu’il implique divers acteurs dans cette association de partenariat d’établissements de santé. Le travail, très conséquent, va être partagé, et on peut alors redouter des cloisonnements. De même, il est indéniable qu’au sein des GHT, les CHU joueront le rôle d’établissement support, y compris les fonctions d’enseignement, de formation et de recherche. On peut donc craindre que les cadres des CHU soient plus impliqués que ceux des autres établissements dans les processus, ce qui pourrait aboutir in fine à un éloignement – avant tout géographique – des cadres des autres établissements du GHT. Dans tous les cas, pour que les GHT soient une force pour l’encadrement, les cadres devront adopter un “management courageux” à savoir : défendre leurs projets et leurs équipes, savoir dire non et reconnaître leurs erreurs.

* Parmi ses futures formations, qu’il est possible de retrouver sur le site afar.fr : Management des pôles en santé mentale : le positionnement du cadre de santé dans les GHT, Piloter un projet et conduire le changement dans le contexte des GHT, Management des pôles en MCO : le positionnement du cadre de santé dans les GHT, Piloter un projet et conduire le changement dans le contexte des GHT…