Cancer, les nouvelles thérapies bousculent la prise en charge - Objectif Soins & Management n° 253 du 01/02/2017 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 253 du 01/02/2017

 

Promotion de la santé

Françoise Vlaemÿnck  

En quelques années, l’innovation thérapeutique dans le traitement des cancers a bouleversé la prise en charge des patients. Dans ce nouvel environnement sans cesse en mouvement, la capacité des cadres d’oncologie à adapter l’organisation du travail et les pratiques de leur équipe est essentielle pour assurer la qualité et la sécurité des soins.

D’ici à 2020, on estime que 50 % de patients atteints d’un cancer seront traités par thérapie orale. Une révolution amorcée il y a une dizaine d’années et qui déjà a entraîné des profonds changements dans la prise en charge : désormais, nombre de patients suivent leur traitement à la maison. Pour accompagner cette nouvelle donne, les cadres ont eux aussi dû innover en adaptant l’organisation des soins et en faisant de la formation de leur équipe un enjeu stratégique. « Le travail et l’objectif du cadre doivent être de donner les bons outils à son équipe qui va prendre en charge les patients. Il faut qu’elle apprenne à utiliser ces nouveaux traitements, qu’elle connaisse leurs modalités d’administration, qu’elle sache ce qui doit être fait avant, pendant et après le traitement. Mais également qu’elle maîtrise leur toxicité et les effets secondaires à surveiller et que le patient devra aussi savoir repérer et signaler le plus vite possible », explique Pascale Dielenseger, présidente de l’Association française des infirmières en oncologie (Afic)(1) et cadre du département des innovations thérapeutiques et essais précoces à l’Institut Gustave-Roussy(2) à Villejuif (Val-de-Marne). « Tout doit être mis en œuvre pour permettre l’autonomie et l’observance du patient. C’est une démarche qui vise la sécurisation de la prise en charge et qui doit conduire à ce que le patient ne se sente ni démuni en cas de problème ni qu’il ne minimise le traitement parce qu’il rentre chez lui, sachant que les effets secondaires peuvent être importants. Il est donc essentiel qu’il appréhende bien tous les paramètres afin de suivre la prescription à la lettre, au risque de voir la maladie flamber. Une situation qui impliquerait une réhospitalisation, de nouveau examens et des coûts supplémentaires. Bref, quand il quitte l’établissement, le patient doit avoir reçu le maximum d’informations pertinentes. C’est vraiment l’une des conditions importantes pour maximiser la réussite du traitement et s’assurer de son bien-être », indique Christine Dorléan, directrice des soins du Centre régional de lutte contre le cancer (CLCC) Georges-François-Leclerc(3) de Dijon (Côte-d’Or).

FAVORISER LE RÔLE INFIRMIER

Dans ce contexte, le CLCC de Dijon a d’ailleurs mis en place depuis 2013 une prise en charge infirmière dans le cadre d’une consultation renforcée qui associe également en amont médecin et pharmacien. Objectif : évaluer avec le patient tout ce qu’il pourrait rencontrer comme difficultés lors de son retour à la maison. « Au regard de cet entretien, l’infirmière peut mettre en place des soins de supports, organiser l’intervention d’autres professionnels de santé ou encore proposer des ateliers d’éducation thérapeutique. Toute cette analyse se fonde sur la réflexion clinique de l’infirmière. Son but est vraiment de mesurer ce que le patient connaît de sa maladie, s’il est capable de gérer la prise de son traitement seul et la façon dont on peut l’aider pour y parvenir au mieux », insiste Christine Dorléan. Le management du cadre doit consister à favoriser le rôle de l’infirmière qui, grâce à ses compétences et son expérience clinique, va optimiser la prise en charge. « L’infirmière a vraiment un rôle d’interface entre le médecin et le patient dans ce type d’organisation des soins. La prise en charge s’est complexifiée et spécialisée au cours des années, c’est vrai pour les traitements oraux mais aussi pour l’ensemble des thérapies ciblées de plus en plus nombreuses. Or, au cours de la formation initiale des infirmières, l’enseignement de biochimie et des molécules n’existe pas. Il est donc nécessaire d’adapter leurs connaissances et de former les infirmières. Par exemple, qu’est-ce qu’un récepteur de cellule ou un inhibiteur de tyrosine kinase, à quoi ça sert et comment ça marche ? C’est d’ailleurs ce type de formation que dispense l’Afic tout au long de l’année ou par le biais de son congrès annuel et ses rencontres régionales », souligne Pascale Dielenseger. « Lorsqu’une nouvelle molécule est disponible, les cadres travaillent beaucoup avec les informations délivrées par les laboratoires pharmaceutiques. Ces derniers ont quand même structuré des documents d’informations utiles qui sont facilitant pour former et informer les professionnels, même si, en interne, médecins et pharmaciens sont des personnes ressources indispensables », explique Frédéric Despiau, cadre de santé du département d’oncologie médicale de l’Institut Claudius-Regaud(4) à Toulouse (Haute-Garonne). Et de poursuivre : « Parfois, ce n’est pas la molécule qui change, mais la façon de l’administrer par rapport aux protocoles habituels. Par exemple, on voit se développer des traitements sous-cutanés ; en soi, la technique n’est ni innovante ni compliquée, mais, pour un traitement contre le cancer, cette configuration reste rare, ce qui implique de mettre les équipes à niveau sur les pratiques de l’injection. »

FLUIDIFIER LA PRISE EN CHARGE

« Il est désormais impératif que les patients entendent la même chose quel que soit l’interlocuteur à qui ils ont affaire durant le traitement. Si c’est blanc, tout le monde doit parler blanc ; idem si c’est noir. Les patients ont besoin des mêmes repères. C’est fondamental », déclare Christine Dorléan. Et ce qui vaut dans les murs de l’établissement vaut aussi à l’extérieur avec le réseau des professionnels libéraux (médecins, infirmières libérales…) et des pharmaciens mobilisés pour la prise en charge. Certains établissements mettent d’ailleurs sur pied des cessions de formation dédiées aux médecins libéraux et pharmaciens afin qu’ils se familiarisent avec les nouveaux traitements et nouvelles molécules car ils ont généralement très peu de patients qui suivent ce type de traitement dans leur patientèle. À l’Institut Claudius-Régaud à Toulouse où l’immunothérapie fait peu à peu son entrée, « nous sommes en train de mettre sur pied des réunions d’information et d’échange en direction des infirmières libérales afin qu’elles possèdent les données de base sur ces nouveaux traitements. L’idée étant de fluidifier la prise en charge commune et que les informations sur les patients circulent rapidement entre nous et elles », indique Frédéric Despiau. « Lorsqu’en 2013, nous avons débuté la prise en charge hors les murs, le dispositif ne concernait que les patients atteints d’une tumeur cérébrale mais, au regard des résultats très positifs enregistrés, nous avons décidé d’élargir ce protocole afin de mettre en place un véritable un parcours patient ville/hôpital sous thérapie orale. Depuis début 2016, tous les patients bénéficiant de ce type de traitement sont accompagnés ainsi. Par ailleurs, chaque jour, une infirmière et un pharmacien sont d’astreinte pour recevoir des patients à la suite des consultations non programmées », souligne Christine Dorléan.

ÉVITER LA RUPTURE DANS L’OBSERVANCE DU TRAITEMENT

À l’Institut Paoli-Calmettes(5), à Marseille (Bouches-du-Rhône), un suivi infirmier par téléphone a été mis en place il y a presque deux ans dans le cadre d’une convention avec l’Agence régionale de santé. Depuis, c’est un infirmier expert, rattaché à la direction des soins, qui coordonne cette expérimentation pilote, qui inclut, sans autre critère, tous les patients de plus 70 ans sous thérapie orale, soit au total une dizaine de molécules différentes. « Je suis un peu comme un contrôleur aérien. Je suis, soit de façon hebdomadaire soit mensuellement, tous les paramètres des patients ; si j’identifie un problème, j’agis en conséquence et, le cas échéant, j’alerte les professionnels de santé de ville en lien avec le patient, ou encore l’oncologue et l’hématologue de l’institut avec lesquels je travaille étroitement. Sachant que je connais parfaitement chaque dossier patient et que tous ont reçu des pré-prescriptions pour parer aux effets secondaires les plus courants. Mon objectif est qu’il n’y ait pas de rupture dans l’observance du traitement, c’est une condition sine qua non pour ce type de prise en charge », explique Éric Cini, infirmier expert. Depuis le lancement de ce protocole, quelque 230?patients ont été intégrés au dispositif pendant une période de six mois et 120 en bénéficient actuellement. « Il faut qu’on s’adapte au virage des patients hors les murs. Il y aura toujours des patients hospitalisés, mais l’objectif tend à ce qu’ils sortent le plus tôt possible ; cela oblige à mettre en place une prise en charge identique, tant par sa qualité que par sa sécurité, à celle qu’ils auraient dans l’établissement. Ce poste d’infirmier expert est une vraie valeur ajoutée pour le suivi des patients. D’ici peu, notre infirmier va entamer une formation de pratique avancée. Et même si, pour l’heure, aucun statut n’existe pour ce type de profil infirmier, ce qui est tout à fait regrettable, nous poursuivrons dans cette voie car elle correspond parfaitement aux besoins et aux attentes des patients », indique Michèle Isnard, directrice des soins de l’Institut marseillais.

RECENTRER SUR LE MÉTIER

Au CLCC dijonnais, qui réfléchit également à la création de postes d’infirmières de pratique avancée, l’approche du suivi patient est assez similaire, avec un contrôle à distance du suivi de l’observance et des effets secondaires. En fonction des symptômes décrits par le patient, l’infirmière peut se référer à une grille d’aide à la décision et, le cas échéant, mettre en place une action ou, en première intention, organiser une consultation avec le médecin traitant. « Il est fréquent que nos patients habitent loin et, par conséquent, il est difficile, sauf urgence, de les faire revenir en dehors des rendez-vous programmés », explique Christine Dorléan. Une certitude : la directrice des soins ne souhaiterait plus jamais travailler autrement. « Tout le monde se concentre sur son métier, et on optimise vraiment le temps médical. Je suis convaincue que la prise en charge en oncologie ne cessera de progresser car elle est intrinsèquement liée à l’évolution des thérapies. Et heureusement, car si on travaillait comme il y a quelques années, ce serait une catastrophe ! Et puis s’adapter, c’est également l’intérêt du métier de cadre. »

Traitement anticancéreux, les cadres en première ligne pour les essais cliniques

Actuellement, plusieurs centaines de thérapies contre les cancers sont en cours de développement et si, à terme, peu se verront délivrer une autorisation de mise sur le marché (AMM), les essais cliniques sont un passage obligé – qu’ils soient précoces, comme les essais de phase 1, ou plus avancés, comme les phases 2 ou 3.

« La découverte d’un protocole est un travail d’équipe qui associe médecin investigateur, assistant de recherche clinique, cadre et parfois une infirmière, explique Pascale Dielenseger, présidente de l’Association française des infirmières en oncologie (Afic) et cadre du département des innovations thérapeutiques et essais précoces à l’Institut Gustave-Roussy à Villejuif (Val-de-Marne). À ce stade, il s’agit d’évaluer la faisabilité de l’essai. La base est de suivre le guide du protocole à la lettre. Ainsi, tout ce qui n’est pas marqué n’existe pas, tout ce qui est indiqué doit être fait. »

→ DANS LES RÈGLES DE L’ART

Pour autant, la réalité se heurte parfois à l’idéal imaginé par les chercheurs. « À mon niveau, les questions que je dois poser sont de savoir si j’ai les moyens humains et matériels pour que l’essai soit conduit dans les règles du protocole et est-ce que la demande est également réalisable en termes de soins et de respect des bonnes pratiques. Par exemple, est-il possible de faire un prélèvement sanguin toutes les minutes ou de conserver au frigo des recueils urinaires ? Si tel n’est pas le cas, il sera nécessaire de revoir les modalités du protocole avec le promoteur de la recherche », poursuit la cadre. Dans le cas contraire, le guide est “disséqué” afin de rédiger le cahier infirmier. « Là encore, c’est une construction collective avec les cadres et les infirmières qui va détailler les modalités d’administration et de surveillance de l’essai mais aussi les conduites à tenir en cas de problème. Ce cahier doit être ensuite validé par l’investigateur car, en quelque sorte, il devient une prescription pour le temps de l’essai », conclut Pascale Dielenseger.