« Nous ne pouvons plus travailler selon les valeurs que nous portons » - Objectif Soins & Management n° 250 du 01/11/2016 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 250 du 01/11/2016

 

Actualités

Caroline Coq-Chodorge  

Mobilisation – Paris Le 8 novembre, les infirmières ont défilé à Paris et dans les grandes villes de province. Des salariés, des libéraux et des étudiants « à bout de souffle » ont réclamé des moyens et de la reconnaissance.

L’atmosphère était joyeuse et sombre à la fois, ce mardi 8 novembre, dans la manifestation des infirmières à Paris, qui a réuni 10 000 personnes selon les syndicats et 3 500 selon la préfecture. Joyeuse, parce que la foule était heureuse de se voir nombreuse, entraînée par des étudiants survoltés ; et sombre comme les récits des conditions de travail dans les établissements.

« Les gens s’épuisent, raconte Christelle, infirmière à l’hôpital de Belfort-Montbéliard (Territoire de Belfort). Ils évitent de se mettre en arrêt pour ne pas pénaliser les collègues. Mais le moral chute, la patience manque, parce que nous n’avons plus le temps de travailler selon les valeurs que nous portons. On nous demande toujours plus d’actes, toujours plus rentables. Le relationnel, on s’en fout. » « Étudiants malmenés, profession en danger », crient les élèves de l’Institut de formation de la Croix-Saint-Simon, à Montreuil (Seine-Saint-Denis). Ils observent leurs aînés « surmenés, qui n’ont pas le temps de nous former, expliquent Leïla, Sakina et Mathilde, toutes trois en troisième année. Dans certains établissements, nous sommes considérés comme de la main d’œuvre gratuite pour pallier les sous-effectifs. Et malgré tous nos efforts, nous serons, au mieux, embauchés en CDD. Nous craignons même de ne pas trouver de travail, à cause des réductions d’effectifs ». « En gériatrie, nous ne sommes plus qu’une IDE et deux aides-soignantes le week-end pour trente lits, renchérit Valérie, infirmière en gériatrie. Et nous sommes censés accompagner des fins de vie… Les Français doivent savoir : mieux vaut ne pas mourir à l’hôpital ! Moi, je n’y mettrais pas ma famille. »

L’unité

Le cortège, qui a déambulé de la gare Montparnasse au ministère de la Santé, était en réalité divisé en deux. Devant, trois centrales syndicales – CGT, FO et Sud – ont peiné a mobilisé une petite centaine de manifestants.

Ce sont les seize organisations professionnelles infirmières*, inhabituellement unies, qui ont mobilisé ce 8 novembre. Elles représentent la diversité du monde infirmier : salariés et libéraux, Iade, Ibode, puéricultrices ou infirmières scolaires, cadres ou étudiants. Elles se sont entendues sur un constat commun : la profession est « à bout de souffle ». « Les raisons de la grogne sont nombreuses », constatent-elles en évoquant la « pénibilité non reconnue » du travail, la « discrimination salariale » dont la profession est victime, le « manque de personnel », le « manque de concertation », etc.

Pas de mépris, mais de la reconnaissance

Un pari réussi donc pour ce mouvement qui a montré son unité, du jamais-vu depuis presque trente ans ! “Soigne et tais-toi” était leur slogan commun. Ce sentiment de mépris était en effet très partagé. Sylvie, infirmière du service de soins de suite et de réadaptation de l’hôpital d’Orsay (Essonne), a reçu un texto pendant la manifestation : « Je suis rappelée demain pour remplacer une absence. Les cadres ont des plannings à remplir, ils doivent combler les trous, ils nous obligent à travailler sur notre temps de repos, parfois au mépris de nos compétences. Mais eux non plus n’ont pas le choix. » Les infirmiers spécialisés, très mobilisés, attendent une reconnaissance des tâches qu’ils accomplissent déjà : « Nous surveillons les patients seuls, nous les réveillons, nous prenons l’initiative de réinjecter des produits. Sans nous, le service ne tourne pas », raconte une infirmière anesthésiste de l’institut Curie.

Promesses ministérielles …

Mais c’est encore du mépris qu’ont ressenti les infirmières devant le ministère de la Santé. Seul le directeur adjoint de cabinet de Marisol Touraine a accepté de les recevoir. Les libéraux ont refusé : « Moitié moins nombreux, les médecins auraient été reçus », s’agace Annick Touba, la présidente du Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux. Les organisations d’infirmières salariées ont accepté l’invitation. On leur a fait « des annonces d’annonces », regrette Nathalie Depoire, présidente de la Coordination nationale infirmière. Fin novembre, la ministre dévoilera un plan d’amélioration de la qualité de vie au travail. Puis, en décembre, les travaux sur les pratiques avancées vont être lancés, ainsi que ceux sur les référentiels des Ibode et des puéricultrices. Selon le Syndicat national des professions infirmières, « le cabinet a enfin tranché en faveur d’un master pour les Ibode et les puéricultrices ». Enfin, la vaccination par les infirmières libérales devrait être élargie à l’ensemble de la population. « Mais il n’y a rien de concret, nuance Nathalie Depoire. Pourtant, à Paris comme dans les grandes villes de province, notre mobilisation a été forte, la plus forte depuis trente ans. »

* Association des enseignants des écoles d’infirmiers de bloc opératoire (AEEIBO), Association nationale des étudiants infirmiers anesthésistes (Aneia), Association nationale française des infirmières et infirmiers diplômés d’État (Anfiide), Association nationale des puéricultrices (teurs) diplômé(e) s et des étudiants (ANPDE), Comité d’entente des écoles Iade (CEEIADE), Convergence infirmière, Coordination nationale infirmière (CNI), Fédération nationale des étudiant.e.s en soins infirmiers (Fnesi), Fédération nationale des infirmiers (FNI), Syndicat national des infirmier(e)s anesthésistes (Snia), Syndicat national des infirmiers(ières) conseillers(ières) de santé (Snics), Syndicat national des infirmiers et infirmières éducateurs de santé (SNIES), Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI) CFE-CGC, Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil), Union nationale des associations d’infirmiers(ières) de bloc opératoire diplômé(e)s d’État (Unaibode), Unidel.