Des outils d’évaluation et d’amélioration des pratiques - Objectif Soins & Management n° 249 du 01/10/2016 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 249 du 01/10/2016

 

Qualité et Gestion des risques

Anne-Lise Favier  

Les indicateurs qualité se sont bien étoffés depuis leur arrivée dans le monde hospitalier. Intimement liés à la procédure de certification, ils sont des outils d’évaluation et d’amélioration pour les professionnels de santé qui doivent se les approprier.

Bien avant que les indicateurs de qualité et de sécurité des soins (IQSS) n’arrivent dans les services hospitaliers, la presse grand public s’interrogeait sur les performances des établissements de soins, à grand renfort de données concernant les moyens humains, matériels, le PMSI (programme de médicalisation des systèmes d’information) ou encore la spécialisation des structures. Un classement principalement destiné au grand public. Mais, du côté des établissements, outre la procédure d’accréditation, rien ne permettait aux établissements de s’évaluer sur les pratiques de soins. Jusqu’à ce que les indicateurs ne soient mis en place dès 2004 par Philippe Douste-Blazy, alors ministre de la Santé.

Centrés au départ sur les infections nosocomiales avec l’Icalin (Indice composite des activités de lutte contre les infections nosocomiales) - le scandale, en 1997, des contaminations en série à la Clinique du sport étant encore présent dans tous les esprits - ces indicateurs se sont progressivement étoffés pour parvenir aujourd’hui à un panel de près de 80?indicateurs de qualité et de sécurité des soins, sous la houlette de la Haute Autorité de santé (HAS), gardienne de la procédure de certification à laquelle ces indicateurs sont intimement liés.

QUE MESURENT CES INDICATEURS ?

Ce sont des outils qui permettent de mesurer l’état de santé d’un patient, d’une pratique professionnelle ou de la survenue d’un événement afin d’évaluer la qualité des soins et la sécurité des patients. Les indicateurs de qualité et de sécurité des soins sont donc à la fois utiles aux établissements de santé qui disposent ainsi de données pour l’amélioration des pratiques, mais aussi au grand public, qui peut y voir un moyen de choisir son établissement en cas de nécessité.

« Il s’agit de fournir aux établissements des outils de pilotage et de gestion mais aussi d’apporter aux pouvoirs publics des éléments d’aide à la décision, tout en répondant aux exigences de transparence des usagers », selon Thomas Le Ludec, directeur de l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins à la HAS en 2013.

COMMENT CES INDICATEURS SONT-ILS CHOISIS ?

Les indicateurs doivent être le reflet des critères de bonnes pratiques d’une prise en charge, tout en permettant d’identifier un potentiel d’amélioration de la qualité.

Ces indicateurs doivent pouvoir être intégrés à la pratique quotidienne du professionnel de santé sans être trop consommateurs de ressources. Ils se déclinent à partir d’un questionnement, d’un problème rencontré, d’une erreur constatée a posteriori, d’un audit ou d’une nouvelle pratique, et tendent vers l’amélioration de la qualité et la sécurité des soins.

Ils aboutissent à des plans d’actions, tels que la rédaction de nouveaux protocoles, une remise à plat des pratiques ou une réorganisation. Ils sont toujours complétés d’un suivi, essentiel à une mesure de l’impact des actions mises en place.

DEPUIS QUAND LES INDICATEURS EXISTENT ?

Si l’historique de la démarche commence en 2004 avec la naissance d’indicateurs ainsi que la mise en place progressive de ceux relatifs à la gestion des infections nosocomiales (Icalin), la HAS a complété le dispositif avec des indicateurs fondés sur l’évolution du dossier patient, d’abord auprès des établissements MCO (médecine, chirurgie, obstétrique) puis aux SSR (soins de suite et de réadaptation) en 2009 et enfin aux établissements de santé mentale et à la HAD (hospitalisation à domicile).

QUELS SONT LES DIFFÉRENTS TYPES D’INDICATEURS ?

La HAS couvre un large champ de thématiques avec des indicateurs transversaux et des indicateurs de spécialité : les premiers sont généralistes, comme la tenue du dossier patient, le délai d’envoi du courrier de sortie, le dépistage des troubles nutritionnels ou encore le risque escarres ; tandis que les seconds sont spécifiques de certaines spécialités, comme la prévention et la prise en charge des hémorragies post-partum ou l’hémodialyse chronique.

QUE DEVIENNENT CES INDICATEURS ?

Ils servent à divers niveaux, du grand public aux professionnels de santé. Si les résultats sont rendus publics et publiés sur des sites de données (site Platines, Indicateur e-Satis pour la satisfaction du patient), ils sont aussi communiqués dans les établissements.

En 2012, la HAS a même produit un guide pour aider les établissements de santé à communiquer sur ces résultats : « Les patients sont de mieux en mieux informés sur ce qu’ils sont en droit de savoir et sont donc très demandeurs de ce genre de données », explique Nadia, bénévole auprès d’une association de patients. Des enjeux qui ont fait que les pouvoirs publics ont rendu obligatoire la restitution de certains indicateurs (lire l’encadré ci-dessous), de plus en plus d’établissements faisant également un pas en avant en communiquant sur leurs propres résultats et leur marge de progression.

En interne, ces résultats permettent aussi d’être un levier de progression pour les équipes qui y voient parfois un challenge et aussi un moyen de se fédérer autour d’une même problématique, toujours au service, finalement, du patient.

RÉTRIBUTION FINANCIÈRE CONTRE OBJECTIF ATTEINT ?

Certains de ces indicateurs sont objectivés dans les contrats de pôle et conduisent à une rétribution financière si les objectifs sont atteints : l’incitation financière (Ifaq), si elle n’est pas l’argument premier pour réussir à progresser, participe tout de même à la motivation des équipes. De l’avis d’Annie Devulder, cadre de santé supérieur (lire l’interview ci-dessous), celle-ci est intéressante pour valoriser ce qui se fait au niveau des professionnels, même si certains estiment ne pas avoir besoin de cette carotte pour avancer : « Néanmoins, à chaque retour d’expériences sur ce qui se fait dans les équipes, une certaine émulation naît des échanges entre équipes », estime Annie Devulder. « S’ils ont été capables de progresser en mettant en place telle action, pourquoi notre service ne pourrait-il pas en faire autant ? », s’interrogent en substance les professionnels.

DIFFUSION PUBLIQUE

Depuis 2010, les établissements de santé sont tenus de mettre à disposition du public les résultats des indicateurs les concernant, cette restitution des données intervenant le plus souvent pendant la semaine de la sécurité des patients (cette année, du 21 au 25 novembre), certains indicateurs étant obligatoires (fixés par arrêté), car jugés prioritaires en termes de santé publique et d’organisation des soins. « Cette mise à disposition des résultats a pour objectif de fournir des outils pour aider les établissements de santé au pilotage de la qualité et de la sécurité des soins pour l’amélioration interne, d’informer les usagers sur la qualité des prises en charge hospitalières et d’éclairer les décisions des pouvoirs publics à l’échelon régional et national », explique la HAS.

Interview
Annie Devulder, cadre supérieur de santé de pôle à l’Institut cœur-poumon du CHRU de Lille (Nord)

Mettre en place une culture des indicateurs

→ Comment s’est opérée la mise en place des indicateurs dans le pôle cardiovasculaire ?

Il y a une quinzaine d’années, nous avons travaillé sur les indicateurs liés à l’hygiène et sur ceux relatifs aux incidents. Tout est parti d’une observation : lors de l’utilisation de seringues auto-pulsées, il y avait des erreurs de pratiques. L’idée était alors de mettre en place une analyse de ces pratiques pour donner aux professionnels qui utilisent ce type de matériel des pistes d’amélioration. C’est ainsi que nous avons bâti avec l’aide de l’ingénieur qualité une grille d’indicateurs reprenant des informations comme le dosage, l’identification patient, l’identification produit et la vitesse. Une fois ce projet abouti et validé, il a été étendu à l’ensemble du CHRU et a servi à d’autres services dans le cadre de l’amélioration des pratiques.

→ Comment avez-vous travaillé sur les indicateurs qualité ?

Lors de la constitution de notre pôle, il y environ cinq ans, nous avons identifié un certain nombre de thématiques autour de la sécurité des soins qui concernaient tous les professionnels. Nous avons donc bâti notre projet sur quatre thématiques, l’identitovigilance, la sécurité des soins et des médicaments, la tenue du personnel et la propreté de la chambre. Ce projet a trouvé son architecture avec les cadres de santé et, grâce au travail avec l’ingénieur qualité, il a ensuite été présenté en conseil de pôle, à l’appui de résultats, ce qui a permis de créer une véritable dynamique de groupe, chacun étant concerné par les thématiques abordées. À la suite de cela, nous apportons des actions correctrices là où cela est nécessaire : nous avons par exemple travaillé sur l’erreur médicamenteuse. L’une de nos cadres de santé a mené un master sur ce thème, ce qui a conduit à une réflexion poussée sur la manière dont nous pouvions améliorer le travail des soignants pour éviter les erreurs. C’est ainsi que nous sommes arrivés à la mise en place du projet “gilet jaune” : une infirmière occupée lors d’une préparation ou administration médicamenteuse porte ce gilet, ce qui signifie qu’elle ne doit pas être dérangée. Cela évite qu’elle soit interrompue au cours du soin, ce qui conduit inévitablement aux erreurs.

→ Comment faire pour fédérer des équipes autour des projets d’indicateurs alors que c’est très chronophage ?

Pour qu’une dynamique fonctionne correctement, il faut que ce soit une dynamique de groupe. Nous essayons de mettre en place une culture des indicateurs, avec le travail en collaboration avec l’ingénieur qualité qui apporte des méthodes et nous permet de progresser. Tout le monde est concerné et les restitutions permettent de faire un partage d’expériences utile à tous : c’est un travail de longue haleine, qui mobilise l’encadrement de proximité, oblige à répéter les messages, au quotidien dans les unités ou lors de réunions, et qui repose aussi sur une vérification de l’acquisition des connaissances, via l’auto-évaluation puis l’audit. Et puis il y a l’inscription des objectifs relatifs aux indicateurs dans le contrat de pôle : nous avons fait le choix d’inscrire le programme qualité dans les objectifs en lien avec l’intéressement. Lorsqueles objectifs sont atteints, une prime d’intéressement est allouée aux secteurs. Nous avons ainsi progressé de manière significative sur la prise en charge de la douleur et sa traçabilité. Cela motive aussi le personnel. Qui plus est, le partage d’expériences produit un peu d’émulation entre les équipes qui souhaitent faire toujours mieux.

→ Quels sont les outils à votre disposition pour parvenir aux objectifs des indicateurs ?

Ils passent à la fois par les revues de mortalité et morbidité - RMM -, mais aussi par les comités de retour d’expérience, les Crex, ou l’évaluation des pratiques professionnelles (EPP). Au sein de notre pôle, nous utilisons la méthode Alarm [Association of Litigation And Risk Management, NDLR] qui est une méthode qui repose sur l’identification de la cause immédiate d’un événement pour en rechercher les causes racines afin de les corriger. Cette méthode a l’avantage de balayer l’ensemble des facteurs et de faire que les professionnels observent l’ensemble des points-clés de leurs pratiques. Cela permet d’objectiver les faits et de dépassionner, en quelque sorte, les erreurs. En gardant à l’esprit l’objectif numéro un : être performant sur les soins délivrés aux patients. La cohésion de l’encadrement de pôle et de proximité, le développement de compétences, la mobilisation des acteurs associés à une structuration institutionnelle de la dynamique qualité constituent un socle solide permettant à chaque professionnel de faire évoluer sa pratique au service de la qualité des soins.

Propos recueillis par Anne-Lise Favier

Obligations légales

→ Article R 6111-8 du Code de santé publique : un bilan des activités de lutte contre les infections nosocomiales est établi par l’équipe opérationnelle d’hygiène selon un modèle défini par arrêté du ministre chargé de la Santé.

→ Décret n° 2009-1763 du 30 décembre 2009 relatif aux dispositions applicables en cas de non-respect de la mise à disposition du public par les établissements de santé des indicateurs de qualité et de sécurité des soins.

→ Arrêtés du 7 avril 2011 (modifié) et du 15 avril 2016 relatif au bilan annuel des activités de lutte contre les infections nosocomiales.

→ Arrêté du 3 mai 2016 fixant la liste des indicateurs obligatoires pour l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins et les conditions de mise à disposition du public de certains résultats par l’établissement de santé.