Master de parcours complexes de soins : coordonner pour améliorer la prise en charge - Objectif Soins & Management n° 246 du 01/05/2016 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 246 du 01/05/2016

 

Formation

Françoise Vlaemÿnck  

Dans quelques mois, un nouveau métier infirmier enrichira officiellement l’éventail des spécialisations de la profession, celui d’infirmière de pratique avancée (IPA). Après un socle commun de formation, plusieurs options d’expertises seront possibles. Dans le domaine de la coordination de parcours complexes de soins, un seul diplôme est aujourd’hui accessible.

Master de santé publique dédié aux fonctions de coordination dans le système de santé, master de coordinatrice du parcours de soins du patient atteint de maladie chronique et/ou dégénérative ou encore master de coordination des trajectoires de santé… Depuis la réforme des études infirmières et l’entrée en vigueur du licence, master, doctorat (LMD), l’offre de formation de niveau master ne cesse de s’étoffer, tant dans le cursus initial qu’en formation continue. Pour autant, dans le champ de la pratique avancée, un seul master de sciences cliniques infirmières existe aujourd’hui pour former des professionnelles qui souhaitent se spécialiser dans la coordination de parcours complexes de soins. Celui proposé depuis 2009 par l’université d’Aix-Marseille(1), alors même que cette spécialisation infirmière n’en est qu’à ses balbutiements.

PRÉPARER SON MASTER

Des contours encore flous

En effet, si la pratique avancée est désormais reconnue par la loi de modernisation de notre système de santé, votée en décembre 2015 et promulguée fin janvier 2016, les contours de la formation en pratique avancée demeurent imprécis faute de décrets d’application cadrant ce nouveau métier infirmier (lire l’encadré p.51). Il n’empêche, et malgré l’absence de perspective à court terme, que depuis sa création, ce master et cette spécialisation attirent.

Travailler en amont en équipe

Mais, prévient Sébastien Colson, infirmier, co-responsable pédagogique de la formation à la faculté d’Aix-Marseille, « avant de se lancer dans cette formation, il est important que le projet soit travaillé en équipe. Dans le contexte actuel de financement de formation restreint et de réorganisation des soins, il est essentiel, en effet, d’avoir pensé le projet d’implantation d’une infirmière coordinatrice avec l’ensemble des parties prenantes : équipe de soins, équipe médicale, encadrement, direction, usagers… C’est, à mon sens, la clé de la réussite. C’est d’ailleurs ce projet professionnel que nous examinons lors du dépôt de candidature des futures étudiantes ».

Le rôle du cadre

Ainsi, avant d’engager une personne dans la formation, il est nécessaire de procéder à une analyse des besoins des personnes soignées en rapport avec l’offre de soins proposée.

Ceci afin de déterminer si effectivement un rôle de pratique avancée est nécessaire pour améliorer la prise en charge des patients ou si ces besoins peuvent être satisfaits par une réorganisation de service ou entre les professionnels libéraux. Ici, le rôle du cadre est primordial : « Il doit accompagner l’infirmier étudiant dans sa démarche de professionnalisation, en facilitant les aménagements de planning pour se rendre en formation, en facilitant les relations avec son équipe, l’épauler dans ses démarches de recherche, son projet de mémoire, valoriser ses compétences et favoriser l’implantation de l’IPA diplômée », indique Sébastien Colson.

LA FRANCE EN RETARD…

Si la pratique avancée n’est pas une fin en soi, elle est assurément un levier de changement en vue d’améliorer la qualité des soins avec un ajustement des missions et des compétences des professionnels de santé aux besoins de la population. Elle offre aussi de nouvelles possibilités de répartitions des activités entre professionnels de santé et, enfin, s’intègre dans la médecine de parcours.

Rappelons que pour le Collège des infirmiers français (CIF)(2), il semble important de ne pas réduire la pratique avancée aux seules délégations de tâches médicales. « En effet, il ne faut pas la confondre, précise-t-il, avec la délégation/substitution dans laquelle le médecin délègue des actes à l’IDE sous sa responsabilité, dans le cadre du protocole de coopération “article 51 de la loi HPST”. Il s’agit d’une nouvelle pratique basée sur une formation universitaire en master, après une expérience clinique, dans un champ particulier d’exercice. »

Et dans ce domaine, la France n’est pas en avance : « Vingt-cinq pays environ comptent déjà quelques 330 000 IPA et certains, comme les États-Unis, depuis plus de soixante ans », relève Thierry Amouroux, secrétaire général du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI CFE-CGC) et vice-président du Cif.

PLUS-VALUE

Attentes

« Je ne prends ni la place des collègues infirmiers, ni celle des médecins ni celle des autres soignants qui interviennent au domicile du patient », déclare Céline Thomas, IPA coordinatrice de parcours de soins complexes en neuro à l’Institut de cancérologie de l’Ouest à Saint-Herblain (Loire-Atlantique). Et de préciser : « Mon poste de coordinatrice a été créé en 2012 et j’ai participé, avec les oncologues qui l’ont promu, à la définition de son périmètre et de ses missions. Le master de parcours complexes de soins que j’ai suivi ensuite à Aix-Marseille fut une suite logique pour renforcer et valider mes connaissances et enrichir mon expérience. » En l’espèce, ce cursus a permis à l’infirmière d’approfondir son expertise clinique, la démarche qualité et d’acquérir des outils et une méthodologie pour mettre sur pied des projets de recherche infirmière ou répondre à des appels à projets.

« Avant la formation, j’étais capable de repérer des dysfonctionnements dans les parcours de soins mais pas en capacité de les analyser et de faire des propositions pour en élaborer de nouveaux ; aujourd’hui, je sais le faire, et c’est même une de mes missions que d’identifier les zones de ruptures de soins », explique Céline Thomas.

Approche globale 

Infirmière anesthésiste et major de soins au service de réanimation de l’hôpital Nord à Marseille (Bouches-du-Rhône), Marie-Hélène Po cherchait à évoluer dans sa carrière lorsqu’elle a entamé le master de parcours complexes de soins. Actuellement en deuxième année, elle planche sur son mémoire qu’elle consacrera à l’évaluation des pratiques professionnelles selon la méthode du patient-traçeur. « Je souhaitais faire autre chose tout en gardant absolument une activité clinique auprès du patient. Ce master de coordination correspondait parfaitement à ce que je voulais faire : prendre en charge les patients dans leur globalité. En réanimation, lorsque les patients arrivent, on sait très peu de choses sur eux et, faute d’information, des liens qui amélioreraient leur prise en charge ne sont pas faits. Pour moi, la coordination, c’est savoir ce qui s’est passé avant, pendant, et après », explique l’infirmière.

EXPERTE ET POLYVALENTE

« Une infirmière coordinatrice de parcours complexes de soins a reçu une formation universitaire de niveau master, basée sur la pratique avancée, qui développe des compétences en termes de pratique clinique, de consultation, de leadership clinique, de formation, de guidance du patient, de prise de décision éthique et de recherche. La différence avec le métier d’infirmier de soins généraux ou de cadre de santé réside justement dans les compétences qui sont mises en place dans l’environnement de soins où elle exerce », détaille Sébastien Colson.

Référente, gestionnaire et experte

De fait, l’infirmière coordinatrice de parcours complexes de soins est une référente des soins, elle dispose pour ce faire de compétences cliniques à un niveau d’experte et peut être un soutien auprès des autres professionnels dans la gestion de cas complexes. Elle peut être amenée à réaliser des activités dont elle a la seule compétence (les décrets d’applications à venir détailleront ces activités), comme par exemple recevoir un patient en première intention avant un médecin, ou encore orienter un patient vers un autre professionnel de santé.

Spécificité

La spécificité de l’IPA est qu’elle exerce ces différentes compétences, notamment en termes de veille professionnelle et de recherche, dans le but d’analyser les pratiques professionnelles, de les remettre à jour en prenant appui sur les données probantes et de participer à des projets.

Son rôle se situe donc en mission transversale et n’est pas censé se chevaucher avec le rôle d’une infirmière de soins généraux ou le rôle d’un cadre de santé, davantage centré sur le management de son équipe. « La formation en alternance que nous proposons à l’université d’Aix-Marseille permet à l’infirmier étudiant de réinvestir les connaissances acquises lors des enseignements ou des stages dans sa propre pratique et de construire progressivement son rôle pendant sa formation », précise Sébastien Colson.

ÉVITER LA RUPTURE

« Au sein de l’établissement, mon poste d’infirmière coordinatrice de parcours complexe de soins est identifié comme tel et j’ai une habilitation particulière pour, par exemple, préparer des prescriptions, qui aujourd’hui encore nécessitent une validation médicale du fait de l’absence de décret précis. Notre mode d’organisation repose sur un travail en binôme avec le médecin référent dont je suis le pendant paramédical. Nous mettons en commun les dossiers et nous collaborons étroitement ensemble pour améliorer la prise en charge des patients », explique Céline Thomas.

Améliorer la prise en charge des patients

Dès lors qu’un patient lui est orienté, parce qu’il est “repéré” comme présentant un risque de rupture dans son parcours de soins, l’IPA va assurer une prise en charge personnalisée par le biais d’appels téléphoniques, d’une consultation infirmière, de sa présence lors de consultations médicales et, dans certains cas, de sa participation aux réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP). « Mon objectif est vraiment d’éviter toute rupture dans le parcours du patient », insiste Céline Thomas. Et les situations mettant en jeu la continuité du parcours sont multiples. « Par exemple : difficulté du maintien à domicile, symptomatologie liée à la maladie ou à celles de pathologies associées, non venue aux consultations médicales, mauvaise gestion des effets secondaires dues à la chimiothérapie ou radiothérapie… À ce stade, il est impératif d’identifier les problèmes et, le cas échéant, d’accompagner et d’orienter le patient vers d’autres professionnels médicaux et paramédicaux pour qu’ensemble on organise la prise en charge autour du patient. »

Des masterisés sans poste

Si l’infirmière assure avoir trouvé son bonheur professionnel et une réelle autonomie, bien qu’elle attende qu’un cadre légal consolide ses missions et prérogatives, d’autres “mastérisées” n’ont pas encore eu l’opportunité de mettre en œuvre leur nouvelle compétence et expertise. C’est le cas de Véronique Goubely, infirmière au CHRU de Besançon (Doubs). « Pour l’instant, j’ai repris mon mi-temps en chirurgie digestive et aucune mission transversale ne m’a encore été proposée par la direction des soins de l’établissement. Les choses pourraient cependant évoluer d’ici à l’été », espère-t-elle. L’avenir professionnel de Marie-Hélène Po n’est pas non plus assuré en tant qu’IPA. « Pour l’instant mon premier objectif est de retourner dans mon service en exploitant ce que j’ai appris pour faire au mieux. Je vais essayer de développer ce que j’ai appris pour mes patients et pour l’équipe, notamment dans le domaine de la recherche infirmière. Si j’avais ne serait-ce que 20 % de mon temps dédié à la recherche, je serais très contente ! »

3 QUESTIONS À THIERRY AMOUROUX

Thierry Amouroux, secrétaire général du SNPI-CFE CGC

1 Il existe aujourd’hui plusieurs masters infirmiers de coordination de soins, est-il possible qu’ils soient un jour unifiés dans le cadre d’une même filière de formation d’infirmière de pratique avancée ? Avec l’autonomie des universités, ça va un peu dans tous les sens depuis quelques années. Mais le principe de la loi est justement de définir un cadre. À terme, un master en sciences cliniques infirmières préparant aux fonctions d’infirmière de pratique avancée (IPA) et ses spécialités, qui pourront être étoffées au regard de l’émergence des besoins, devrait ainsi être rattaché à une faculté de médecine, ce qui d’emblée exclura ceux qui n’entrent pas dans cette caractéristique. Par ailleurs, un groupe de travail, dans lequel devrait siéger le Collège des infirmiers français, va se mettre en place sous la houlette de la Direction générale de l’offre de soins, pour définir les référentiels d’activités, de compétences et de formation des IPA en vue de la rédaction des décrets d’application. Le temps est désormais compté puisque la loi santé de décembre 2015 précise que les textes doivent paraître dans les 18 mois après sa promulgation, qui a eu lieu le 26 janvier dernier. A priori, tout devrait être prêt pour la rentrée universitaire de 2017.

2 Pensez-vous que ce cadre ouvre de réelles évolutions de carrière pour les infirmières ?

Absolument puisqu’au sortir de la négociation, il va y avoir un cadre statutaire ! Une infirmière de pratique avancée sera identifiée avec un référentiel métier, une grille salariale spécifique et un métier dûment répertorié. Aujourd’hui, on est dans le bidouillage puisque ce cadre n’existe pas. Ainsi, à terme, une IPA sera une spécialité infirmière au même titre que celles qui existent déjà. Cela ne veut pas dire que les négociations vont être faciles. Pour ce qui est du référentiel d’activité et de compétences notamment, il va falloir s’entendre avec les syndicats de médecins libéraux sur ce que doit faire une IPA sans qu’ils soient lésés. Et sans doute que les discussions vont être âpres du fait de notre système de financement. Rappelons qu’une consultation basique pour un renouvellement d’ordonnance est tarifée de la même manière qu’une consultation diagnostic de 45 minutes.

3 D’ores et déjà, peut-on quantifier ce nouveau corps infirmier ? À plein régime, on estime que les IPA représenteront environ 3 % des effectifs infirmiers, à savoir le même pourcentage que celui des Iade, Ibode et puéricultrices. Bref, il n’y aura pas d’IPA partout. À notre niveau, on va se battre avec la Haute Autorité de santé pour que leur présence dans les établissements soit intégrée dans les critères de certification. Dans un premier temps, notamment au nom de l’amélioration de la qualité des soins, on pourrait envisager une IPA par CHU et CH au moins. Cela ne va pas être simple, mais intégrer le critère qualité de vie au travail ne l’a pas été non plus au départ et, désormais, il est. Et puis rappelons que de nombreuses études montrent qu’une infirmière davantage diplômée et formée réduit le coût des pathologies. De fait, établissements et Assurance maladie seront donc gagnants.