Du concept de maltraitance - Objectif Soins & Management n° 244 du 01/03/2016 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 244 du 01/03/2016

 

Promotion de la santé

Jérôme Eggers  

À l’occasion de l’informatisation du plan de soins, un Ehpad(1) se trouve confronté à des prises en charge non assurées. La maltraitance est-elle celle de la prise en charge ou celle de la non-prise en charge ? Comment l’équipe et l’institution réagissent-elles ?

La vie en Ehpad réserve des surprises, contrairement à ce qui est communément admis. Bien sûr, la vie s’écoule pour les résidents qui sont dans la dernière partie de leur vie(2), en collectivité, avec les joies et les souffrances que l’on connaît. Cette vie est rythmée par les actes de la vie quotidienne : réveil, repas, toilette et hygiène, quelques loisirs pour ceux qui le peuvent, les animations pour presque tous les résidents, les visites, les soins, le coucher et la nuit. Finalement, une vie pas très différente de celle des personnels qui les entourent au quotidien, l’énergie en moins !

LA TOILETTE : DU SOIN À LA VEILLE

Dans les actes ritualisés, la toilette occupe une place primordiale. Parce qu’être propre est un standard de la société, plus encore en collectivité, mais également parce que ce moment permet aux soignants un accès licite au corps des résidents pour vérifier une intégrité physique préservée. Non, tous les résidents ne sont pas fans de la toilette, et il y en a qui répugnent à se laver…

Disons qu’on y arrive plus ou moins, peut-être en fonction des jours, de la personne qui propose les soins d’hygiène, de la liberté laissée au résident à se prendre en charge ou à être accompagné.

UNE INFORMATISATION RÉVÉLATRICE

Nous changeons de logiciel soins. Après Medicor qui est en fin de vie, nous avons choisi Netsoins, de Teranga. La formation au logiciel s’étale sur un peu plus d’une semaine et la saisie des plans de soins est à la fois un plaisir (le logiciel est très intuitif) et fastidieux (il faut le faire pour chaque résident). Mais le résultat est bluffant(3). Sauf que… Le groupe des aides-soignantes référentes soulèvent deux lièvres : les reports de soins ; ?quid de la toilette de quelques résidents ?

Le report de soins

Qu’est-ce que c’est ? Le report de soins consiste à dire : « Je ne peux pas faire ce soin maintenant, je le reporte à un autre moment. » Les raisons sont multiples. Mais cela veut dire qu’une autre équipe prendra ce soin en charge, et ce n’est envisageable que si c’est la même personne. Pourquoi ? Parce que l’équipe à laquelle échouera le soin dira que la première équipe s’est déchargée d’un soin qu’elle ne voulait pas faire ! La prise en charge est celle du résident et non celle de l’équipe, et cette prise en charge s’étale sur 24 heures. Une note de service sera nécessaire pour valider définitivement ce report de soin. À la rentrée, le travail sur les fiches de postes sera poursuivi. Dans le cadre de cet article, c’est évidemment le second point qui nous intéresse.

Les résidents qui ne veulent pas se laver

Au détour d’une transmission, on apprend que madame Augustine ne s’est pas lavée… depuis au moins cinq ans… Et également que tout le monde est au courant et que, malgré de multiples relances, cette résidente a toujours dit non. Bizarrement, pas d’odeur suspecte, à part peut-être les cheveux de forme et de couleur indéfinissables… C’est une personne relativement jeune mais atteinte de troubles psychiatriques graves.

Puisque la coupe n’est pas encore pleine, on signale que trois autres résidents posent problème, toujours pour la toilette. Une résidente est atteinte du syndrome de Diogène (extrême négligence corporelle et syllogomanie(4)), doublé d’un trouble cognitif grave. Une intervention avait déjà eu lieu et la programmation de la toilette ne posait pas de problème malgrès des refus fréquents. Avec de la persuasion, les personnels arrivent à une toilette complète avec shampoing et change de vêtements ; on réussit même à faire intervenir la coiffeuse et la pédicure ! Mais que d’énergie… Pour les autres résidents, c’est épisodique ! Gros avantage de l’informatisation, les plans de soins saisis obligent à se poser les questions dans la prise en charge et l’organisation des soins.

LE NON-SOIN EST-IL UNE MALTRAITANCE ?

Toutes les formations possibles et imaginables sur la maltraitance tournent autour du problème du consentement du résident aux soins. On ne peut qu’adhérer à ce principe. Solliciter le consentement, voire la coopération du résident, est une tautologie.

Du respect…

Le respect de la personne, de son intimité et de ses choix est aussi une priorité, en institution comme à la maison, tout particulièrement avec des personnes vulnérables du fait de l’âge, de la maladie ou de l’état mental des personnes.

… à l’hygiène

Le refus du soin de la toilette pose plusieurs problèmes en institution : l’hygiène non respectée peut amener des problèmes de contamination d’un groupe de personne ou de la totalité de l’Ehpad. Par exemple, une personne refuse de rester dans sa chambre alors qu’elle est atteinte d’une belle gastroentérite…

Également, le fait de ne pas surveiller l’état cutané ou l’élimination pour les personnes sensibles de ces côtés. Entre autres problèmes, il existe un problème psychologique, mais nous y reviendrons tout à l’heure.

Et maintenant, on fait quoi ? Revenons à notre résidente.

OÙ LE SOIN EST UNE COERCITION ET UNE DÉLIVRANCE

En plein milieu de la formation, et en l’absence d’Idec(5), la direction demande que la douche de madame Augustine soit faite par l’équipe du secteur, y compris lavage des cheveux. Refus à nouveau de la résidente, comme depuis plus de cinq ans.

Mission accomplie

L’équipe composée d’une aide-soignante expérimentée et d’une agent de service hospitalier aguerrie accepte le challenge et madame Augustine se retrouve à la douche entre des mains expertes. Disons tout de suite qu’elle n’a pas subi de violence, même si l’accompagnement par le bras en est de fait une. Pour dire les choses, c’est une coercition, dans le sens où ce n’est pas la volonté de la résidente.

L’acte de soin en lui-même se passe plutôt bien. Le lavage des cheveux n’est pas possible : après trois shampoings, des plaques restent dans les cheveux. La coiffeuse aura réussi à les démêler et les ébouter l’après-midi.

À la demande des soignantes, l’IDE intervient en fin de toilette, et là… elle découvre une dermatose grave du bas ventre jusqu’à mi-cuisses. Cette dermatose est ancienne et laissera des marques profondes sur une peau ultra-sensible. Sans compter les soins médicaux mis en route. Mais l’histoire ne s’arrête pas là…

Sur dénonciation de quelques membres de l’équipe, les autorités mènent une inspection exactement quinze jours après cette prise en charge, vous l’imaginez, pour maltraitance… Une inspection n’est jamais agréable, surtout sur un fait comme celui-là. Si nous pouvons comprendre l’émotion générée par une prise en charge spécifique, il est difficile de dire qu’on ne dénonce pas le non-soin qui aboutit à un déni de prise en charge et révèle les carences dans les soins.

La délivrance

Passons. Finalement, ce qui importe, c’est le bien-être de la résidente puisque ce soin a été une délivrance.

Pour la résidente

Elle avait des douleurs insoutenables dont elle n’a jamais parlé, avec une image d’elle totalement dévalorisée, ainsi que d’autres soucis physiques qu’il est inutile d’évoquer ici, chacun peut s’en faire une idée. Les deux semaines suivantes, la douche accompagnée a été maintenue et la résidente revit : recherche dans l’habillement, soin de soi, acceptation de l’accompagnement, dialogue avec l’IDE pour dire quand elle a mal.

Pour l’équipe

Mais ce soin a aussi été une délivrance pour l’équipe, car le soin est maintenant facile, la relation agréable et la peur de l’autre comprise.

QUELLE RESPONSABILITÉ ?

Supposons maintenant que madame Augustine ait été hospitalisée en urgence avant cette toilette pour un problème cardiaque. Elle arrive aux urgences et doit être auscultée. En la déshabillant, le personnel découvre une plaie, une nécrose ou la dermatose en question… Qui est responsable ? Les soignants, de n’avoir pas soigné ? La résidente, d’avoir dit non ? L’institution, d’avoir laissé faire ? Le formateur, d’avoir dit qu’il fallait absolument le consentement ? Le directeur, d’avoir laissé l’organisation des soins sans contrôle ? L’Idec, de n’avoir pas organisé le plan de soins ? Le médecin, de n’avoir pas ausculté ? Le psychologue, de n’avoir pas fait le point avec les équipes et le résident ? Tout ça est bien compliqué et il n’y a vraisemblablement pas une seule réponse. Un juge qui serait saisi va s’intéresser à l’ensemble de la prise en charge, y compris les conséquences des défauts de soins.

Dans les prises en charge de résidents avec des soucis psychiatriques, on a souvent des difficultés de soins : un résident diabétique qui pique des gâteaux aux autres résidents, l’acceptation du soin, même un simple pansement, l’acceptation de la pédicure ou de la coiffeuse.

Tout peut être sujet à un refus de soin ou à un comportement inapproprié. Faut-il pour autant s’abstenir de soigner ? Un petit test en éthique professionnelle revient en mémoire(6), sous forme de questionnement pour soi-même.

• Est-ce légal ?

• La décision est-elle équitable ou équilibrée ?

• La décision rend-elle fier ?

La réponse est oui aux trois questions, même si la première a une réponse très longue et toujours en fonction des circonstances.

De cette aventure, nous ne retiendrons que de deux maux, il faut choisir le moindre, et que, quand le soutien de quelques personnes fait défaut, il faut rester droit et fidèle aux principes qui nous animent. Nous retiendrons également que l’organisation des soins en amont permet d’apaiser les non-dits et d’envisager ensemble des solutions de prise en charge.

Mais tout cela est une fiction et n’existe pas dans la vraie vie, n’est-ce pas ?

NOTES

(1) Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. C’est la nouvelle dénomination des maisons de retraite…

(2) Il y a parfois un retour au domicile, un rapprochement de domicile familial ou le choix d’un accueil en famille, mais c’est rare.

(3) Nous n’avons aucune action boursière dansce logiciel. Il est jeune,il demande à grandir mais c’est un bon produit.

(4) Accumulation compulsive d’objets divers, dont détritus, aliments périmés.

(5) Infirmière coordinatrice.

(6) Kenneth Blanchard et Norman Peale. Éthique et management. Éditions d’organisation. Paris. 1988.