Les cadres, moteurs de leur formation - Objectif Soins & Management n° 243 du 01/02/2016 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 243 du 01/02/2016

 

Ressources humaines

Marie Luginsland  

Les cadres n’ont pas attendu le 1er janvier 2015 et la création du compte personnel de formation (CPF) pour prendre leur formation en main. Soucieuse de s’adapter aux évolutions de l’organisation des soins et des établissements pour mieux les intégrer dans leur management, la profession puise dans les ressources de la formation, continue, diplômante ou non. Les cadres y trouvent également un champ d’expression personnel et même de nouvelles perspectives professionnelles.

Le DIF est mort. Vive le CPF. Il y a tout juste un an, le compte personnel de formation remplaçait le droit individuel à la formation. Dans les textes, il est destiné à conférer plus d’autonomie au salarié dans la gestion de son plan de formation (lire l’interview p.28). Mais a-t-il changé la donne auprès des cadres ? « Pour moi, le CPF n’a rien modifié car j’ai toujours voulu me former, acquérir de nouvelles connaissances pour améliorer ma pratique et faire évoluer mon niveau en fonction des évolutions de l’établissement et de la fonction publique hospitalière », déclare Sandrine Baucher, préparatrice en pharmacie hospitalière, faisant fonction cadre de santé en médecine polyvalente au centre hospitalier de Dreux (Eure-et-Loir).

Les organismes de formation notent une demande majoritaire en formations “intra”, d’une part pour faire face à un besoin important et, d’autre part, en raison des compressions budgétaires. Il semblerait toutefois que les formations décidées par le cadre dans son projet professionnel, soient mieux suivies. Certains établissements les mettent en place dans le parcours de compétences et des programmes pluriannuels.

DÉCRYPTER L’ENVIRONNEMENT ET SES ÉVOLUTIONS

Se prendre en main. C’est ce que font de nombreux cadres qui n’attendent pas d’être sollicités par leur direction des soins ou par la RH pour demander à suivre une formation. Leurs besoins dépassent les traditionnels domaines de la qualité ou de la gestion des risques psychosociaux. Les demandes en formation de gestion des ressources humaines et en management se font plus précises et plus pressantes. Les parcours en compétences managériales, le management par délégation, les outils de communication, le management de projet, la gestion des personnalités difficiles figurent au palmarès des formations les plus demandées. Des modules souvent courts – trois jours reconduits en deux jours l’année suivante par exemple –, organisation des établissements et tensions budgétaires obligent.

« Nous notons une évolution dans les besoins en formation de cadres confrontés à la problématique des plannings qu’ils disent chronophages. Il faut les aider à penser au-delà, à gérer les compétences qui ne sont définies à l’hôpital que par des qualifications et des métiers. Or, aujourd’hui, face à la montée de l’absentéisme, une nouvelle approche peut être possible en établissant des référentiels en fonction des compétences », relève Marie-Claude Miremont, responsable du domaine management au Grieps. Elle précise que la loi de modernisation du système de santé adoptée par l’Assemblée nationale le 17 décembre dernier*, offre de nouvelles ouvertures et de potentielles souplesses sur le recours à de nouvelles compétences sur le territoire.

Bien que ne disposant pas de ces nouvelles perspectives, les cadres du privé disent avoir les coudées franches pour choisir leurs thématiques de formation, si ce n’étaient les restrictions budgétaires. Quoi qu’il en soit, rattachés au public ou au privé, les cadres éprouvent plus que jamais la nécessité de décrypter les évolutions législatives et leurs impacts sur leurs structures. Ils comptent ainsi mieux comprendre les mutations de leur établissement afin de mieux les intégrer à leur management. « Donner du sens aux politiques de santé et politique institutionnelle auprès de leur équipe », résume l’Association nationale pour la formation permanente du personnel hospitalier (ANFH), qui aborde ces questions dans un module de trois jours destiné à donner – entre autres – aux cadres les clés pour mieux intégrer les évolutions de l’organisation de la santé dans leur management. Un prérequis pour mieux développer des compétences managériales en adéquation avec ces nouvelles composantes.

ÉVOLUER AVEC SES AGENTS

« Les cadres sont très demandeurs de formation les aidant à comprendre les outils financiers, à décoder les stratégies des directions car ils sont un maillon essentiel dans la hiérarchie entre ces directions et les agents », confirme de son côté Jamila Lasri, responsable du département Santé chez Octantis, association toulousaine spécialisée dans le secteur d’activité de la formation continue d’adultes. Cette forte sollicitation lui semble cohérente. « On demande aux cadres de santé et à ceux “faisant fonction de” d’être visionnaires dans leurs métiers, dans leurs fonctions, avec pour seul bagage leur pratique paramédicale. Sans qu’ils disposent pour autant des outils et des formations pour accompagner ces mutations », remarque-t-elle. Si elle estime que les cadres de santé se “débrouillent” mieux que bien des salariés d’autres secteurs d’activité, comme l’encadrement intermédiaire de l’industrie ou les services, elle relève une « souffrance » des cadres de santé dans un contexte qui « se complexifie, notamment pour des raisons budgétaires, mais aussi parce que les populations sont plus difficiles ». Rien d’étonnant à ce que les cadres ressentent un besoin accru en formations leur donnant les moyens de mieux comprendre la réglementation du travail, les contrats de travail, afin d’être plus en mesure de savoir ce qu’ils peuvent ou non exiger de leurs agents. Du reste, l’environnement n’est pas le seul à évoluer. Le renouvellement des agents et l’arrivée de nouvelles générations demandent également une réactualisation du management. « Je sens que j’aurais besoin d’une formation pour mieux gérer ces nouvelles générations et les conflits intergénérationnels au sein des équipes, et pourtant je n’ai que 35 ans », reconnaît Sandrine Baucher. En interne, dispensées par les organisations ou encore par la ANFH, y compris en e-learning, ces formations au management intergénérationnel explosent littéralement pour répondre à ce nouveau besoin des cadres.

Sans aller jusqu’à explorer systématiquement cette question du fossé des générations, les cadres ont le souci de suivre des formations leur permettant de mieux comprendre leurs agents. « Ils ont envie de rester en lien avec la formation et les projets de leurs agents. Il ne s’agit pas de suivre comme eux des formations en éducation thérapeutique ou sur la prévention de la maltraitance, mais bien de disposer d’outils managériaux pour suivre leurs évolutions », décrit Marie-Claude Miremont. Ces formations devront donner les pistes de réflexion pour répondre à ces nouvelles questions : quelles sont les conditions de travail et quelle est l’organisation pour un transfert des savoirs en compétences ? Quelles méthodes de suivi vais-je mettre en place ? Quelle méthode d’évaluation cela va-t-il impliquer ?

Depuis une dizaine d’années, les organismes de formation constatent chez les cadres ces récentes préoccupations, tandis que de nouveaux termes émergent : leadership, positionnement… Les cadres reconnaissent que leurs compétences managériales ne suffisent plus. Face aux mutations du monde de la santé, privé ou public, un nouveau savoir-être est requis.

Ce qui convient désormais de nommer “posture” s’acquiert-elle pour autant en formation ? Les organismes de formation ne le prétendent pas. Ils proposent toutefois de donner les bases de ce leadership, un sujet peu abordé par les formations initiales. Les formations continues, qu’elles soient ou non diplômantes, permettent d’ailleurs de prolonger ces formations initiales. « Entre le poste tel qu’on l’imagine et le poste tel qu’on le vit au quotidien, il y a une différence importante, de sorte que nous avons besoin d’outils. Les formations complémentaires nous donnent les méthodologies qui nous permettront d’adapter les outils aux équipes et à nous-mêmes, sans parler de la posture adéquate que nous n’avons pas toujours », reconnaît une cadre de proximité.

Les “faisant fonction de” sont sans aucun doute encore plus demandeurs en formations qui leur permettent de les conforter dans leur nouvelle fonction, et même de trouver leur légitimité. « Ma directrice des soins m’a invitée à suivre le parcours des compétences managériales pour consolider mes acquis dans mon poste, mieux gérer mon temps et mieux mener mes équipes. C’était un challenge pour moi car je changeais de métier », expose Sandrine Baucher.

John Bonnet, chef de bloc à l’Hôpital d’instruction des armées Robert-Picque au Service de santé des armées, vient d’obtenir un diplôme universitaire (DU) de management de la santé. “Faisant fonction de” depuis cinq ans, il éprouvait le besoin de progresser en adéquation avec les évolutions du monde de la santé. « Ne pouvant prétendre dans l’immédiat au concours d’entrée à l’école des cadres de santé en raison du prévisionnel des départs du service de santé qui détermine la possibilité de suivre cette formation qu’en fonction des futures places disponibles, j’ai opté pour le DU de management de la santé : il m’a permis d’avoir une formation adaptée au quotidien de mon exercice professionnel. Il semblerait par ailleurs que l’enseignement dispensé dans le domaine du “contrôle de gestion” soit plus approfondi dans cette formation », témoigne-t-il. Avant de noter « une véritable volonté du Service des armées d’accompagner cette dynamique de formation. Toutefois, en ce qui concerne le CPF, la problématique est double. D’une part, les budgets sont de plus en plus contraints et les choix institutionnels sont guidés en tenant compte de ce frein financier. D’autre part, les formations soulèvent le problème de l’absentéisme au bloc opératoire où nous devons veiller à la fois pour des critères de qualité et de sécurité des soins à l’effectif en personnel soignant ». Elle aussi “faisant fonction de”, mais dans un établissement privé, la clinique de Verdaich à Gaillac (Haute-Garonne), Emmanuelle Gérant a accepté ce poste à condition qu’il soit accompagné d’outils. Le concept en alternance du DU de management de la santé lui a permis de mettre à profit l’enseignement en temps réel : « Dans notre profession confrontée à une technicité nouvelle, nous avons besoin d’expérimenter. Le projet de la certification est passionnant mais chronophage. Il requiert de l’investissement mais aussi des outils. » Elle ajoute que, dans le privé, une partie importante des process de certification repose sur les épaules du cadre.

CO-DÉVELOPPEMENT

Rompre l’isolement

Combler les manques et par là-même se rassurer : les formations, surtout lorsqu’elles sont suivies en externe, sont souvent considérées par les cadres comme une bouffée d’oxygène. « Pour les cadres de pôle comme pour les cadres de proximité, participer à une formation signifie rompre l’isolement provoqué par les conditions de travail à l’hôpital. Face à ce constat, nous diffusons des méthodes de partage de pratiques où les cadres vont utiliser le principe du co-développement pour découvrir de nouvelles méthodes de travail auprès de leurs pairs. Ces derniers deviennent des “consultants” », note Marie-Claude Miremont. Cette méthode de travail sur des situations problématiques a tant de succès que le Grieps est sollicité par les cadres pour renouveler la formation dans les établisssements et la propose aussi pour une pérennisation en interne.

Voir différemment

Ce besoin d’interactions est particulièrement spécifique au monde de la santé, comme le note Jamila Lasri : « Ces cadres, davantage que les autres encadrements, éprouvent le besoin d’échanger sur leurs pratiques et de se retrouver. Cela est certainement lié aux réalités du terrain où le temps manque. Contrairement à d’autres secteurs d’activité atteints parfois de réunionite… » D’ailleurs, les relations entre stagiaires ayant suivi une formation externe perdurent souvent bien après la session. « Les formations sont effectivement un lieu d’échanges avec des collègues rencontrant les mêmes difficultés. Cela nous aide à voir les choses différemment », confirment les cadres qui, notamment pour cette raison, disent apprécier davantage les formations externes. Ces dernières apportent également le bénéfice d’une prise de distance par rapport au quotidien. Si les formations en interne peuvent être entrecoupées d’appels du service et de réunions impromptues, les directions des soins, lorsqu’elles sont elles-mêmes à l’origine de ces formations internes, veillent à ce que les cadres soient disponibles. Dans un contexte de contraintes budgétaires, les formations collectives et “intra” sont souvent privilégiées par les établissements pour appuyer les stratégies institutionnelles.

Éviter la routine

Il n’est pas rare qu’une fois revenus aux réalités du terrain, les cadres déchantent. Le rythme de travail, souvent évoqué comme barrière à la formation, s’érige à nouveau en barrière quand il s’agit de mettre en application la théorie acquise lors des sessions.

La crainte de « retomber dans la routine » est évoquée par les stagiaires. « Il m’arrive de fermer parfois mon bureau pendant deux heures pour me poser et réfléchir aux projets et travaux à réaliser », explique Sandrine Baucher. Emmanuelle Gérant a elle aussi trouvé une solution pour ne pas subir les travers du quotidien. Elle a ainsi pu asseoir le process de management au sein de la certification de son établissement, en s’appuyant sur un coaching de six mois.

Intégrer le coaching

En effet, le coaching apparaît de plus en plus souvent comme une solution pour prolonger dans le quotidien les bienfaits d’une formation et sa mise en pratique. Ce soutien individuel du cadre est soit proposé par les directions des soins, soit déclenché à la demande du cadre. Dans la plupart des cas, il fait l’objet d’un accord tripartite entre le cadre, sa direction et les organismes de formation, qui, face à l’explosion de la demande, ont intégré le coaching à leur offre. « Nous voulons que l’établissement s’implique afin que l’évolution du cadre soit en adéquation avec celle de l’établissement », précise Jamila Lasri. De son côté, Marie-Claude Miremont affirme que « le coaching ne consiste pas à ajouter une nouvelle couche de connaissances, mais bien d’accompagner les cadres, souvent dans des situations difficiles (changement de poste, restructuration d’un service…) ».

Enchaîner les formations

Une fois qu’ils ont goûté à la formation et à cet incessant besoin de progresser, les cadres ne s’arrêtent plus. Emmanuelle Gérant va enchaîner en mai prochain sur un master afin de gagner en aisance dans son management. John Bonnet débutera l’année prochaine la formation menant au DU de démarche qualité et gestion des risques en établissement de santé et en secteur médico-social.. Et d’affirmer : « J’estime que l’on doit disposer d’un maximum de cordes à son arc ! »

NOTE

* Publiée au Journal officiel le 27 janvier dernier.

Trois questions à : Catherine Hurtaud, directrice de l’Institut pour le travail éducatif et social (ITES) de Brest-Quimper (Finistère)

→ Quel est l’esprit de la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale en matière de formation continue ?

Cette loi fait obligation à l’employeur de permettre au salarié de concevoir lui-même son projet professionnel. La formation individuelle n’est plus considérée comme un moyen au service de l’entreprise, mais bien avant tout au bénéfice du salarié qui déterminera lui-même les formations qu’il souhaitera suivre, sans être dans l’obligation d’en référer à sa hiérarchie s’il ne le souhaite pas. Pour preuve, le salarié peut gérer lui-même son CPF qu’il aura lui-même activé sur Internet. Ce CPF va le suivre toute sa vie. Chaque emploi dès l’âge de 16 ans, y compris les périodes de chômage, lui permettra d’abonder ce CPF. Ce changement radical signe une plus grande individualisation de la formation et une plus grande autonomie du salarié.

→ Les établissements sont-ils en mesure de s’adapter à cette loi ?

On peut en effet craindre une méconnaissance de la loi qui fait qu’aujourd’hui, dans de nombreuses structures, notamment les plus petites ne détenant pas de DRH, les salariés n’ont pas encore activé leur CPF. Ces établissements ou associations qui ont encore des difficultés pour s’approprier la loi nous sollicitent afin que nous leur explicitions le dispositif. La loi introduit par ailleurs l’entretien professionnel. Un nouvel élément qui suppose que les établissements fassent la synthèse de tous ces entretiens afin de revisiter leur plan de formation collective. On peut s’interroger sur la faculté des établissements à mettre en adéquation leurs besoins propres en matière de formation avec les demandes personnelles des salariés.

→ Au regard des nouvelles dispositions de la loi, l’encadrement a-t-il encore un rôle à jouer dans le plan de ses agents ?

Il se peut que, là où autrefois les besoins individuels étaient intégrés au plan de formation global de l’établissement, on renvoie aujourd’hui le salarié vers son CPF. Le salarié devra gérer en toute autonomie son plan de carrière. Si cela peut être bénéfique à certains, d’autres seront moins en mesure de se prendre en charge. Il reviendra à leur encadrement de les accompagner pour finaliser leurs souhaits en matière de formation et d’évolution de carrière.