La revue de littérature en recherche infirmière - Objectif Soins & Management n° 243 du 01/02/2016 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 243 du 01/02/2016

 

Recherche et Formation

Laurent Soyer*   Nicole Tanda**  

La revue de littérature, encore dénommée notamment “recension des écrits” ou “état de l’art”, constitue une étape incontournable de la démarche de recherche. Elle devient une exigence de plus en plus prégnante dans le cursus de formation licence-master-doctorat en lien avec la profession infirmière. Avec la généralisation des technologies numériques, la circulation des publications s’effectue dans un espace mondial d’échanges des savoirs.

Actuellement, la co-construction de savoirs passe par le tissage de liens qui échappe à toute frontière institutionnelle. Guite(1) et Siemens(2) évoquent le néologisme de “connectivisme” dans cette notion de technologie du maillage de connaissances. Ce phénomène ne constitue pas simplement une évolution sociétale mineure, mais une réelle acculturation, ici, celle du numérique. « Pour de nombreux commentateurs des phénomènes de société, le développement du numérique s’apparente à une révolution copernicienne. »(3) Cette révolution a généré une profusion d’informations et donc une complexification de la recherche documentaire. Que ce soit en formation initiale infirmière dans le cadre de la réalisation du travail de fin d’études (TFE) ou lors de la réalisation d’un mémoire de master et plus encore lors d’une thèse, mettre en œuvre une démarche de recherche amène à réaliser systématiquement une, voire plusieurs revues de littérature, selon le cahier des charges institutionnel. La revue de littérature prend une importance de plus en plus conséquente et constitue un attendu des jurys de mémoire ou plus généralement de tout projet de recherche. Pour preuve, la montée en puissance du niveau méthodologique des revues de littérature constatée au niveau des projets de recherche de type Projet hospitalier de recherche infirmière et paramédicale (PHRIP). Comment expliquer ce développement ? Tout d’abord, la diffusion des travaux de recherche et la recherche documentaire sont déjà très cadrées méthodologiquement sur le plan international. La corporation infirmière française se doit de s’aligner sur un niveau d’exigence établi et conforter sa légitimité sur le terrain de la recherche. L’accent porté sur la réalisation de revues de littérature, dès la formation de 1er cycle, permet à terme de faire disparaître certains facteurs défavorables au développement de la recherche infirmière, comme le défaut de culture scientifique, la non-appropriation de la démarche de recherche, la faible utilisation de résultats de recherche(4)

DÉFINITION ET PRINCIPE MÉTHODOLOGIQUE

La revue de littérature ne s’improvise pas, elle doit être menée avec méthode pour découvrir et approfondir différentes sources documentaires. Elle s’appuie sur trois étapes successives :

• effectuer une recherche documentaire qui nécessite en particulier de maîtriser l’utilisation de l’outil numérique pour utiliser les catalogues de bibliothèques et les bases de données en ligne ;

• réaliser une analyse descriptive et critique des documents recensés pour cibler les plus pertinents à la démarche de recherche ;

• rédiger une synthèse pour éclairer la recherche.

INTÉRÊTS

Se livrer à la recherche documentaire s’apparente à une activité d’exploration et de découverte. Le schéma ci-contre met en lumière six intérêts majeurs à la pratique de la revue de littérature en recherche infirmière. Le développement du processus de recherche porte intrinsèquement une dimension formative, quel que soit le niveau d’études. La recherche ne peut être disjointe d’une composante de développement professionnel et d’une composante de développement personnel. D’un point de vue professionnel, la revue de littérature permet de dresser un état des lieux actualisé des savoirs concernant la thématique travaillée lors d’une recherche. Les soins infirmiers se développent dans un creuset de disciplines scientifiques dites « connexes » (car connectées entre elles), comme la biologie, la psychologie, la sociologie, les sciences de l’éducation, etc. Il est donc évident qu’une recherche s’enrichit d’une revue de littérature pluridisciplinaire, en fonction de la thématique de recherche investiguée. La revue de littérature permet au chercheur de se faire une idée de ce que la communauté scientifique, lato sensu, a écrit sur le thème de recherche abordé. Elle situe notamment le chercheur par rapport aux recherches antérieures, tout en soulignant si le thème de recherche est aujourd’hui socialement vif, « c’est-à-dire d’actualité qui fait débat au sein de la communauté professionnelle ou/et au niveau sociétal »(4). Toute recherche vise à accroître le savoir scientifique ou à l’actualiser et donc à transformer le non-savoir scientifique en savoir scientifique. « La connaissance commence par la tension entre savoir et non-savoir : pas de problème sans savoir – pas de problème sans non-savoir. »(5) La question de recherche constitue l’interface entre ce non-savoir scientifique et ce savoir scientifique. La revue de littérature contribue à déplacer cette frontière favorablement, vers un accroissement des savoirs scientifiques. Le chercheur, au détour de ses lectures, prend connaissance de concepts, modèles ou encore théories qui viennent alimenter la problématisation(6). D’un point de vue personnel, le chercheur voit ses certitudes bousculées car il part inconsciemment d’un point initial constitué de ses connaissances acquises. Ce point va se trouver déplacé grâce aux découvertes de la revue de littérature. Pour être efficace, ce processus implique une lecture critique des écrits qui catalyse chez le chercheur l’émergence ou le renforcement d’une posture critique. La réalisation d’une revue de littérature dépasse donc ses limites. Elle impacte fortement et durablement les représentations et donc les certitudes du chercheur. Lire, c’est se confronter au point de vue l’autre.

Lire, oui, mais quoi ?

Dans la profusion actuelle des publications, il convient, pour éviter que la revue de littérature ne soit trop chronophage et éloignée de la thématique de recherche, de cibler le ou les types de littérature qui vont étayer la recherche. Le chercheur est face à six grands types de littérature.

• La plus couramment disponible est sans nul doute la littérature professionnelle, qui développe des sujets en lien avec la profession considérée, sous forme d’articles, de dossiers thématiques, de récits expérientiels, de fiches techniques, de conseils, etc. L’avantage principal de ce type de littérature est de “coller” au plus près de l’actualité et des problématiques professionnelles. Les articles professionnels ne sont pas publiés sans passer par le filtre d’un comité de lecture (ou de rédaction) qui juge de la qualité et de la pertinence de l’écrit en vue de sa publication. Ce type de littérature est donc fort intéressant, d’autant que les auteurs, outre des membres de la profession, peuvent également être des experts et/ou des chercheurs. Les revues professionnelles constituent une mine d’informations et de points de vue variés qui permettent en particulier d’alimenter la phase exploratoire d’une recherche (problématique pratique). Il existe trois moyens d’accéder à ce type de littérature. Le premier est le site Internet officiel de la revue professionnelle où se trouvent le plus souvent les archives des numéros déjà édités, et parfois des numéros en accès libre. Le second accès à ce type de littérature se fait via les centres de documentations institutionnels, habituellement abonnés aux principales revues professionnelles. Le troisième moyen d’accès indirect est celui d’une recherche par base de données.

• Les ouvrages dits “de synthèse” focalisent le développement d’un thème, souvent avec une approche plurielle. Ce type de littérature donne des informations plus exhaustives que celles limitées par le plus faible volume de pages d’une revue professionnelle.

• La littérature grise correspond à « une littérature non indexée dans les catalogues officiels d’édition et dans les circuits conventionnels de diffusion de l’information : congrès, documents gouvernementaux, études non publiées, rapports et autres documents non conventionnels »(7). Ils ont l’avantage de paraître plus précocement que les articles scientifiques. « Les informations qu’ils contiennent sont généralement originales et c’est cette rareté qui en fait le prix. Lorsque l’information paraît sur la place publique, dans un article par exemple, il est souvent déjà trop tard pour l’exploiter de manière performante. »(8) Les TFE de 1er cycle infirmier et les mémoires de formation cadre de santé font partie intégrante de la littérature grise. Se fondant le plus souvent sur des problématiques de terrain et partant de constats récents, ils mériteraient d’être convoqués plus avant dans les revues de littérature de recherche.

• La littérature scientifique concerne principalement la recherche. Elle comporte surtout des articles axés sur des comptes rendus de travaux de recherche, également de plus en plus des revues de littérature, des analyses de concepts, des approches théoriques, etc. Les revues scientifiques sont aussi dénommées “revues académiques” ou “revues savantes”. Elles se différencient des revues professionnelles par le fait qu’elles sont écrites principalement par des scientifiques, universitaires, chercheurs, professeurs, etc. Par ailleurs, les articles sont systématiquement soumis à un comité de lecture scientifique (editorial board). Leur acceptation répond à un cahier des charges plus drastique que celui d’une revue professionnelle. Il faut ajouter que les articles publiés présentent un niveau de lecture élevé nécessitant une certaine maîtrise du “jargon scientifique”, ainsi qu’un nombre de pages conséquent. Il existe un classement de ces revues scientifiques à partir de leur facteur d’impact (impact factor). S’il existe plus de cent revues scientifiques anglophones, le nombre des revues scientifiques francophones est encore très limité.

• Dans chaque domaine scientifique et professionnel, pour chaque spécialité ou pour des thèmes précis, il existe des auteurs dits “de référence”, c’est-à-dire des personnes reconnues par la communauté scientifique et/ou professionnelle et qui font autorité. Il est donc logique que les jurys s’attendent à trouver ces auteurs dans les travaux de recherche. Charge à chaque chercheur de justifier ses choix, de retenir ou non tel ou tel auteur de référence. Il existe par exemple des ouvrages consacrés à la pensée infirmière(9), à une recherche réalisée(10), à une théorie de soins (11), etc. Comme les ouvrages de synthèse, ce type de littérature permet au chercheur l’approfondissement d’un thème. A contrario, il ne met en relief qu’un point de vue unique. Il est donc plus indiqué lors de la problématique théorique que lors de la problématique pratique. Les auteurs qui font référence sont ceux qui vont apparaître fréquemment de trois manières : en auteurs principaux d’articles, en citations dans des articles d’autres auteurs et enfin en bibliographie des documents.

• Les documents divers constituent un éventail ouvert de ressources documentaires, comme les sites Internet, les ouvrages ni scientifiques, ni professionnels comme les dictionnaires, les journaux, etc. Seuls, ils ne peuvent suffire à produire une revue de littérature digne de ce nom. Ils ont une vertu contributive.

Les sources documentaires

Les sources de documents potentiellement utilisables sont relativement variées. La source documentaire la plus accessible est la bibliothèque personnelle du chercheur. A contrario, elle peut présenter un faible volume de publications disponibles ainsi qu’un défaut d’actualisation pour certains ouvrages anciens. La recherche est aussi et surtout à considérer comme un travail d’équipe, notamment lorsqu’elle est menée dans le cadre d’un PHRIP ou au sein d’un laboratoire de recherche. Dans cette dynamique, plus le chercheur développe son réseau relationnel de professionnels et/ou de chercheurs, plus il a accès à des publications complémentaires. L’un des réflexes de toute personne cherchant des informations aujourd’hui est le recours à la recherche documentaire via des moteurs de recherche dits “usuels”. Néanmoins, il convient de maintenir une posture critique vis-à-vis des informations véhiculées par quelques-uns de ces moteurs de recherche, pas toujours scientifiquement fiables. Certains sites Internet infirmiers permettent d’avoir accès à des archives de TFE qui constituent une source intéressante de littérature grise. Au niveau institutionnel (Ifsi, universités, médiathèques, etc.), il existe des catalogues de bibliothèques réalisés par les documentalistes. Ils constituent un inventaire informatique des différents documents disponibles. Si les institutions travaillent en réseau, il est alors envisageable de consulter les catalogues à distance, voire de contracter des prêts de documents inter-institutionnels. Il existe des catalogues de bibliothèques internationaux multilingues en accès gratuit contenant les données de plus de soixante-dix mille bibliothèques. Les recommandations officielles(7) stipulent que toute revue de littérature se doit d’utiliser la source documentaire des bases de données. « Une base de données est une banque de fichiers informatiques bibliographiques. Elle peut être mono- ou multidisciplinaire, spécialisée ou généraliste, en libre accès ou payante. »(4) Elle est donc plus précise, plus ciblée.

MÉTHODE DE RÉALISATION D’UNE RECHERCHE DOCUMENTAIRE

Une recherche documentaire comporte trois niveaux de sélection.

• La première sélection s’opère via des bases de données choisies en fonction de leur champ disciplinaire en lien avec la thématique de recherche. Une revue de littérature est plus riche et plus crédible si plusieurs bases de données complémentaires sont questionnées concomitamment. Le chercheur doit déterminer les mots clés qu’il va utiliser pour effectuer sa recherche dans les bases de données, puis opter pour différentes bases de données pertinentes aux objectifs de la revue de littérature. Il définit des critères d’inclusion pour cadrer la recherche dans les bases de données. Il peut ainsi décider de rechercher des documents sur une période temporelle donnée, ou choisir la langue, ou encore limiter la recherche à la présence des mots clés dans le titre du document, dans le titre et le résumé… La traçabilité est essentielle pour retrouver les références sélectionnées et éliminées et pour les transférer directement au niveau des citations ou de la liste de références de l’écrit final de recherche. Il est donc important d’indiquer combien de documents sont trouvés puis de préciser quels documents sont finalement sélectionnés et de noter pour quels motifs les autres ont été éliminés. De nombreux logiciels de gestion bibliographique existent : EndNote (payant), Zotero (gratuit)…

• Le second niveau de sélection, ou sélection bibliographique, est une recherche de proche en proche. Le chercheur utilise le corpus de documents issus de la première sélection et recherche de nouvelles références au niveau des bibliographies (et/ou liste de références) de chaque document retenu.

• Enfin, le chercheur enrichit sa revue de littérature par une sélection dite “opportuniste”, c’est-à-dire de toute provenance complémentaire (bibliothèque personnelle, réseau de chercheurs, sites Internet…).

Au niveau de la présentation des résultats de ces trois sélections documentaires, il existe également des attendus. La première sélection implique de créer un logigramme de première sélection à partir des bases de données (cf. schéma de la page ci-contre). Ce logigramme constitue une annexe de la recherche. Pour augmenter davantage la lisibilité des résultats, nous recommandons d’insérer dans cette annexe, à la suite du logigramme de 1re sélection des documents, une liste de références de ces documents, dans le respect des normes de style bibliographique correspondant au cahier des charges institutionnel (Ex : APA 6th, Vancouver, Chicago, etc.).

De même, en regard du second niveau de sélection, une nouvelle annexe est attendue, couramment exposée sous forme d’un tableau. D’une manière similaire, il est espéré un tableau en annexe présentant les résultats de la 3e sélection. Ces trois niveaux successifs de sélection permettent au chercheur de disposer d’un corpus de documents venant étayer sa recherche. C’est avec ces références documentaires et uniquement avec celles-ci qu’il effectue une analyse critique puis rédige la synthèse de sa revue de littérature.

L’analyse des documents

L’analyse des documents retenus est une étape importante et difficile, car elle nécessite d’adopter à la fois une posture ouverte et critique. Deux types d’analyse sont envisageables : descriptive et critique.

• Une analyse descriptive des documents recensés permet au chercheur d’avoir une vision d’ensemble de son corpus documentaire. Dispose-t-il d’une majorité d’articles professionnels ? De quel genre (retours d’expériences, articles thématiques…) ? Dispose-t-il plutôt d’une majorité d’articles scientifiques ? Si oui, de quelles types d’études s’agit-il (études monocentriques, multicentriques) et avec quelle méthode de recherche (expérimentale, clinique…) ? De quels champs disciplinaires proviennent les auteurs ? Les documents sont-ils récents ou anciens ? La description peut aussi s’attarder sur les différents résultats de recherches présentés dans les documents.

• Une analyse critique du corpus documentaire est aussi nécessaire. Elle peut être inter-documents, c’est-à-dire examiner les convergences, les divergences, les complémentarités entre documents. Elle peut aussi porter sur une appréciation des forces et limites des résultats exposés. L’analyse critique peut également être beaucoup plus poussée. Il existe de nombreux guides méthodologiques d’analyse critique le plus souvent consacrés aux articles scientifiques. Pour l’ensemble des articles scientifiques, le SQUIRE guidelines(12 ; 4) constitue un outil adapté et relativement aisé à utiliser. Nous trouvons aussi des outils d’analyse critique plus spécialisés, pour les analyses d’une revue de synthèse (overview, meta-analysis), pour les articles épidémiologiques…(7)

La synthèse de la revue de littérature

La synthèse de la revue de la littérature constitue le corps de texte que le jury va lire. Pour le chercheur, il s’agit à la fois d’être concis et précis, mais également de rester objectif (ne pas décontextualiser ou déformer la pensée des auteurs). Il est essentiel que le chercheur précise à quel auteur il fait référence. Le chercheur va annoncer les points les plus importants révélés par la revue de littérature et qui correspondent aux buts fixés en amont. Après cette courte introduction, il consacre un paragraphe à chaque idée forte, appuyée de citations. Attention à ne pas tomber dans la succession de citations. Le jury attend aussi que le chercheur ait une posture discursive.

LES FREINS ACTUELS

Réaliser une revue de littérature en recherche infirmière nécessite une rigueur scientifique et une maîtrise technique, liée à l’utilisation des bases de données. Or nous avons constaté plusieurs freins.

• Le premier frein est connu, la profession infirmière est principalement tournée vers les soins, la pratique clinique. Les étudiants sont en majorité attirés par l’aspect technique des soins(13 ; 14). Cette dynamique ne facilite pas forcément la mise en lien des soins avec la recherche et la théorisation, donc en particulier avec la littérature scientifique. Pourtant, au moins lors du cursus de formation initiale infirmier, un détour par les bases de données et la réalisation d’une revue de littérature est au rendez-vous !

• Le second frein est l’accessibilité aux bases de données. Plusieurs éléments entrent ici en jeu. La connaissance de l’existence des nombreuses bases de données qu’un néophyte aura peine à repérer. Ensuite, l’accès, sachant que nombre de ces bases de données parmi les plus intéressantes sont payantes. Or, pour un étudiant, le coût des études ne revêt pas un caractère secondaire. De plus, la manipulation des recherches sur les bases de données nécessite a minima une formation de base et un peu de pratique. Cette pratique n’est pas évidente pour les étudiants !

• S’ajoute ici un frein supplémentaire avec la barrière de la langue. Quoi que l’on en dise, les étudiants français en général ne maîtrisent pas suffisamment l’anglais, et en tout cas pas assez le vocabulaire scientifique. « Selon les résultats 2012 du Test d’anglais langue étrangère (Toefl), la France ne fait pas figure de bon élève en la matière, ne pointant qu’à la 23e position des pays de l’Union européenne. Loin derrière la Belgique, l’Allemagne et les Pays-Bas, et tout juste devant la Lituanie et la Lettonie. »(15) Une revue de littérature dite “internationale” peut-elle être validée lorsque seules des bases de données en langue française sont visitées ? La réponse est une question de point de vue. « La Francophonie est proposée comme alternative à la puissance culturelle uniformisante de l’anglais : la pratique du français et l’espace francophone sont enrôlés dans une forme de résistance postcoloniale. »(16) La suprématie de l’anglais n’a pas une réalité géographique si évidente que cela. « La langue française continue de progresser. Un récent rapport établit à 220 millions le nombre de locuteurs francophones dans le monde. […] Preuve de vitalité, il est la troisième langue sur Internet, la seule avec l’anglais à être enseignée dans presque tous les pays du monde. »(17) Dans le champ disciplinaire infirmier, le Secrétariat international des infirmières et infirmiers de l’espace francophone se positionne clairement : « La Francophonie s’étend dans un espace qui va au-delà des frontières. Cet intérêt pour la langue française ne se veut pas limitatif, il est plutôt fondé sur la nécessité, ressentie par de nombreuses infirmières et infirmiers francophones ou francophiles, de ne pas limiter leurs lectures et la mise en partage de leurs travaux et expériences à la langue dominante, l’anglais. »(18) D’autre part, la culture anglo-saxonne n’est pas identique à la francophone. Cette différence se retrouve dans la manière de penser la recherche et celle d’écrire les articles scientifiques. Par exemple, la notion d’éducation thérapeutique du patient ne désigne pas exactement la même chose dans les régions anglophones et dans les régions francophones, notamment en Europe occidentale(19) et en France(20). Afin d’aider les recherches documentaires en langue française, nous proposons un récapitulatif non exhaustif dans le tableau ci-dessus.

• Un quatrième frein est bien la gestion du temps. Est-il raisonnable de demander une recherche complète en formation initiale ? Peut-être suffirait-il d’accompagner les étudiants à conduire une vraie revue de littérature méthodologiquement correcte ? Pour les professionnels déjà en activité qui souhaitent effectuer des revues de littérature, comme c’est le cas pour ceux qui préparent des dossiers de PHRIP, là aussi se pose le problème de la gestion du temps. Comment continuer son activité professionnelle et mener en parallèle des recherches ? C’est une question qu’il faudra porter au débat au sein des structures de soins et auprès des directions des ressources humaines.

• Ce constat amène le frein suivant : le manque de reconnaissance de l’activité de chercheur chez les pairs. Un soignant ou un cadre de santé qui se lance dans un PHRIP peut rencontrer des difficultés à être reconnu comme chercheur et surtout comme contributif à l’amélioration des soins. Il y a aujourd’hui, au cœur des établissements de soins, un combat qui se mène pour à la fois être légitime et négocier sa disponibilité pour entreprendre sérieusement une démarche de recherche qui se déroulera sur trois années, sans compter l’année de montage du dossier.

• Terminons ce tour d’horizon non exhaustif des freins par un problème plus insidieux mais bien réel, celui des prérequis à la recherche. Il est clair que, dans les promotions de cadres de santé et masters, et dans une bien moindre mesure au niveau des promotions d’étudiants en soins infirmiers, les prérequis concernant les compétences en démarche de recherche sont hétérogènes, voire très (trop ?) hétérogènes. En formation initiale, ce phénomène s’explique par l’arrivée de personnes provenant d’autres disciplines où ils ont déjà suivi un cursus universitaire de 2e et parfois de 3e cycle. Pour les promotions de cadres de santé, c’est plus compliqué, car deux éléments conjoncturels entrent en jeu. Le premier est une course à la “masterisation”, en particulier le master 2.

Cette “mastérisation de masse” concerne notamment les formateurs en Ifsi où se joue un problème de légitimité là où des étudiants atteignent un niveau licence(21). Le second élément est financier. Certains IFCS rencontrent aujourd’hui, du fait de la diminution des financements des projets cadres par les établissements de soins, de grandes difficultés d’effectifs d’étudiants. Il devient donc vital pour eux de recruter notamment par la proposition de l’obtention d’un master?2, avec le bénéfice d’une validation des acquis de l’expérience (VAE) ou d’une validation des acquis professionnels (VAP). Dans ces stratégies de validations, les universités partenaires des IFCS se situent dans un contexte stratégico-politique de recrutement comparable. Ces validations garantissent-elles que les étudiants disposent des mêmes prérequis en démarche de recherche que leurs homologues ayant suivi un cursus complet licence-master 1-master 2 et ayant déjà une expérience concrète de la réalisation d’une ou plusieurs revues de littérature ? Dans les faits, les productions de mémoires sont de qualités très inégales du fait même que les prérequis en recherche font défaut.

DES PERSONNES RESSOURCES

La recherche n’est pas une activité individuelle, mais collective. Le chercheur a donc intérêt à s’appuyer sur des personnes ressources qui participeront de près ou de loin au travail de recherche, catalysant ainsi notamment l’efficience de la réalisation d’une revue de littérature de qualité. Cinq types de personnes ressources semblent emblématiques.

• Les directeurs de mémoire, professionnels ou universitaires, ont un double rôle à jouer. Ils sont tout d’abord des guidants méthodologiques, garants que l’étudiant respecte le cahier des charges institutionnel et la rigueur scientifique d’une revue de littérature de recherche. Ils ont également un rôle d’accompagnant. C’est une posture plus subtile qui passe par des échecs, des impasses, des discussions et de nombreuses heures d’échanges ou d’argumentations et de contre-argumentations. Cette posture de médiation des savoirs nécessite une véritable disponibilité en termes d’écoute et de temps. Il s’agit d’un engagement mutuel entre directeur de mémoire et étudiant vers la réussite, une œuvre commune.

• Les documentalistes sont comme les experts de la recherche documentaire. Ils occupent donc aujourd’hui des postes clés pour contribuer au développement de la recherche infirmière. Selon l’Office national d’informations sur les enseignements et les professions, « le documentaliste recherche et sélectionne l’information utile à son entreprise ou à son administration. Il interroge les bases de données et les centres de documentation, dépouille la presse, explore Internet… À lui d’assurer une veille permanente »(22). Souvent, ce sont eux qui animent les formations pour la manipulation des bases de données. Ce sont d’excellents guides pour déterminer les bons mots clés, les bases de données les plus pertinentes sur tel ou tel thème de recherche, pour dénicher en un clin d’œil le numéro d’une revue qui convient parfaitement pour la revue de littérature en cours, etc. Ils ont une posture plus neutre et plus distante par rapport aux directeurs de mémoire, ce qui apporte au chercheur un point de vue complémentaire.

• Les formateurs d’Ifsi, qui seront bientôt majoritairement détenteurs d’un master 2 (qu’il faudra parfois consolider en formation continue), seront des référents et des personnes ressources primordiales. Participant à l’ingénierie de la formation des unités d’enseignement 3.4 et 5.6 pour la démarche de recherche et l’analyse critique d’un article de recherche, ils ont la responsabilité du développement des compétences des étudiants en ce qui concerne notamment la revue de littérature. L’apprentissage de la revue de littérature ne se borne donc pas à une transmission de savoirs. Il comprend une dimension d’épanouissement personnel, car la motivation est un facteur essentiel de réussite scolaire(23) et professionnelle.

• Certains formateurs consultants intervenant ponctuellement à la demande d’institutions participent très activement au développement des compétences infirmières dans le domaine de la recherche et de l’apprentissage ou du perfectionnement en regard de la revue de littérature. En effet, quelques organismes de formation dans le champ de la santé ont développé un secteur recherche et ont recruté des personnes expérimentées en soins et en recherche.

• Les pairs (étudiants) ont aussi un rôle à jouer. Lors de leurs études, des entraides se mettent en place, des forums, des discussions informelles, des échanges de courriels. Autant de vecteurs de construction des connaissances et de développement des compétences concernant la pratique de la revue de littérature.

CONCLUSION

À l’instar de la recherche infirmière émergente aujourd’hui en France, la pratique de la revue de littérature prend son essor dans un environnement de formation ou d’activité professionnelle où se bousculent les préoccupations, voire les contraintes. Pourtant, la pratique de la revue de littérature « est un processus incontournable dans une démarche de recherche, qui se retrouve également dans le cadre d’une démarche éducative, d’une démarche clinique, mais aussi lors de l’évaluation des pratiques professionnelles ou, par exemple, de manière très pragmatique lors de la rédaction d’un protocole de soins, etc. »(4). C’est très probablement au niveau de la formation initiale infirmière que va se jouer le développement et la pérennisation de compétences infirmières liées à la maîtrise de la réalisation d’une revue de littérature de recherche. Il faut donc tout mettre en œuvre pour accompagner les nouvelles générations infirmières. Un rôle qui revient aux infirmiers déjà diplômés et cadres de santé, dont les formateurs en Ifsi. Bien qu’universitarisée, la formation de 1er cycle infirmière reste une vraie formation professionnelle où le passage de témoin et l’apprentissage entre pairs sont la clé de voute de la formation. La pratique de la revue de littérature ne peut que contribuer à une reconnaissance professionnelle accrue. N’est-il pas fort probable que la pérennisation de la pratique de la revue de littérature favorisera l’amélioration de la qualité des soins liée au questionnement des certitudes du soignant, voire l’émergence de néo-auteurs d’articles motivés… et de jeunes chercheurs pour faire avancer la profession infirmière… Croisons les doigts !

NOTES

(1) Guite F. (2007). “Constructivisme, socioconstructivisme et connectivisme”. [En ligne]. Repéré sur ce lien raccourci bit.ly/1Qx0Rlt

(2) Siemens G. (2013). Connectivism: A Learning Theory for the Digital Age. Journal de l’IDTL. [En ligne]. Repéré sur ce lien raccourci bit.ly/1rQaJHL

(3) Barou Y. & Cristol D. (2013). “La formation à l’épreuvedu numérique”. Éducation Permanente (Hors-série Afpa – Formation & Numérique), 1-17. Repéré sur ce lien raccourci bit.ly/1VvbmHb

(4) Soyer L. & Tanda N. (2015). “Initiation à la démarche de recherche et traitement des données”. Unités d’enseignement 3.4 et 5.6. Semestres 4 et 6. Paris : Vuibert.

(5) Popper K. (1979). La logique des sciences sociales. Dans T. Ardono & K. Popper, De Vienne à Francfort, la querelle allemande des sciences sociales (p. 75-90). Bruxelles : Complexe.

(6) Soyer L. (2013a). “L’initiation à la recherche et la notion de problème”. Objectif soins et management (219), 52-54.

(7) Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (Anaes) (2000). Guide d’analyse de la littérature et gradation des recommandations. Paris : Anaes, service communication et diffusion.

(8) Comberousse M. (1993). “La littérature grise”. Bulletin de la bibliothèque de France, tome 38, (5). 60-62.

(9) Pépin J., Kérouac?S. & Ducharme F. (2010). La pensée infirmière (3e éd.). Montréal : Chenelière Éducation.

(10) Vega A. (2004). Une ethnologue à l’hôpital : l’ambiguïté du quotidien infirmier. Paris : Éditions des archives contemporaines.

(11) Hesbeen W. (1997). Prendre soin à l’hôpital – Inscrire le soin infirmier dans une perspective soignante. Paris : Masson.

(12) Davidoff F., Batalden, P., Stevens D., Ogrinc G. & Mooney S. (2008). “Publication guidelines for quality improvement in health care: evolution of the SQUIRE project”. Qual Saf Health Care, (17), 3-9.

(13) Duquenne I. & Le Moguen C. (2012). “La transmission d’une expertise infirmière en éducation thérapeutique”. Soins, 57 (770), 37-39.

(14) Soyer L. (2013b). “Universitarisation de la formation initiale en soins infirmiers : Partenariat entre Ifsi et Aix-Marseille Université : genèse d’un glissement paradigmatique ?” Mémoire de master recherche 2e année “Éducation, systèmes d’apprentissage, d’évaluation et de formation”. Marseille : Aix-Marseille Université.

(15) Bonnard J. (2013). “Pourquoi les étudiants français ont-ils un mauvais niveau d’anglais?” Repéré sur ce lien raccourci bit.ly/1RQOvHX

(16) Baneth-Nouailhetas E. (2010). “Anglophonie – francophonie : un rapport postcolonial ?” Langue française, (167), 73-94. Repéré sur ce lien raccourci bit.ly/1WREVEf. DOI : 10.3917/lf.167.0073.

(17) Kouchner B. (2010). “La francophonie ne doit pas être opposée à l’anglophonie”. Repéré sur ce lien raccourci bit.ly/1OU9WhO

(18) Secrétariat international des infirmières et infirmiers de l’espace francophone (Sidiief) (2015). “Francophonie”. Repéré à : www.sidiief.org/reseau/francophonie/.

(19) Walger O. (2013). “Self-management education, éducation du patient et chronic disease management : une réflexion sur les termes employés en Suisse”. Ther Patient/Ther Patient Educ, 5 (2), 401-408.

(20) Baudier F. & Leboube G. (2007). “Éducation thérapeutique du patient et disease management : pour une 3e voie à la française ? Santé publique, 19 (4), 335-340.

(21) Yahel M., Mounier C. (2010). “Quelles formations pour les cadres hospitaliers”. Rapport de l’Inspection générale des affaires sociales. Paris (France).

(22) Onisep (2015). Fiche métier documentaliste. Repéré sur ce lien raccourci bit.ly/1xyGBVl

(23) Gumbel, P. (2010). On achève bien les écoliers. Paris : Grasset.