À la croisée du soin, de l’art et de la culture - Objectif Soins & Management n° 243 du 01/02/2016 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 243 du 01/02/2016

 

Promotion de la santé

Anne Couedic Ergothérapeute*   Isabelle Croquefer**   Thierry Maillard***   Kaëlig Morvan****  

Au sein du Centre médico-psychologique (CMP) de Châteaubriant (Loire-Atlantique), des temps d’accueil thérapeutique sont mis en place depuis plusieurs années. Il existe notamment une intervention avecun ergothérapeute du Centre hospitalier spécialisé de Blain et une infirmière du CMP. Des ateliers d’expression théâtrale se déroulent en dehors des murs du soin. Récit d’une expérience à la frontière du soin, de l’art et de la culture.

Les intervenants travaillent pour l’ergothérapeute à hauteur de 10 % au Centre d’accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP) et pour l’infirmière à temps plein au CMP avec une délégation de 10 % pour les activités. Une des missions du CATTP est de proposer des actions de soutien visant à maintenir ou à favoriser une existence autonome, c’est-à-dire d’éviter l’isolement social et de maintenir des capacités relationnelles. Le CATTP est de fait tourné vers l’extérieur. Il peut être perçu comme une passerelle entre un suivi individuel dans le cadre strict du soin en CMP et l’inscription de la personne dans un groupe, dans la cité, dans son environnement.

GENÈSE DE L’ATELIER

Dans ce contexte, deux possibilités se présentent : soit amener l’expérience de l’extériorité dans le lieu du soin, soit sortir de ce lieu pour aller vers la cité. Le choix de proposer une activité thérapeutique dans un espace en dehors des murs du soin, c’est-à-dire dans un espace public reconnu de tous, a été pris en juin 2010.

Nous souhaitions proposer un espace de création et d’expression par le jeu théâtral, avec comme principaux objectifs : développer la confiance en soi, affirmer son expression, prendre conscience de son corps et de sa place dans un groupe.

Partenariat

À la suite de démarches entreprises auprès de la communauté de communes du pays de Châteaubriant, un partenariat est établi entre le conservatoire à rayonnement intercommunal de Châteaubriant et le Centre hospitalier spécialisé (CHS) de Blain via le CATTP.

Cette collaboration avec le conservatoire permet qu’un professionnel de l’art dramatique nous éclaire de sa pratique et nous assiste dans ce projet. Notre souhait d’accompagner un groupe du CATTP vers l’extérieur rejoint la volonté du conservatoire à rayonnement intercommunal d’ouvrir ce lieu à un large public et de proposer des activités, c’est-à-dire des cours, dans les salles dédiées à cet effet.

Déroulement

L’atelier d’expression théâtrale se déroule donc au conservatoire dans une salle de cours spécifique au théâtre. Chaque participant arrive dans le hall d’accueil où il peut y croiser élèves de théâtre, danse, musique, et consulter les affiches des différents spectacles et manifestations du bassin de Châteaubriant. Ainsi, le conservatoire, perçu parfois comme élitiste, apparaît comme un lieu de service public avec la possibilité de se saisir de l’offre proposée. Le groupe est d’ailleurs nommément invité aux représentations des élèves du conservatoire, ensemble, individuellement ou en famille.

MODALITÉ DE LA PRISE EN CHARGE

L’indication se fait à la suite de propositions lors des réunions cliniques avec l’ensemble de l’équipe du CMP (médecins, infirmiers et psychologue).

Entretien

Un entretien préalable avec l’infirmière et l’ergothérapeute est nécessaire pour présenter le cadre de l’atelier et pour convenir avec le participant des objectifs thérapeutiques. Il est possible de venir à la première séance pour découvrir l’atelier puis, par la suite, il est demandé un engagement sur l’ensemble de la session.

Fonctionnement

L’atelier fonctionne par session de six à sept semaines. Le nombre de participants inscrits est de dix personnes maximum. L’atelier se déroule chaque semaine au conservatoire pendant une heure trente.

Des bilans sont régulièrement faits au CMP avec l’infirmière, l’ergothérapeute et le patient. Chaque module fonctionne en groupe fermé en lien avec une progression pédagogique.

Un temps d’échange avec le professeur de théâtre et les soignants est programmé, quinze minutes avant et après l’atelier. Un temps de reprise est prévu à la suite de la séance pendant un quart d’heure dans la salle de cours. Cet espace sans la présence du professeur permet à chacun, s’il le souhaite, de faire le lien entre leur vécu, leurs objectifs de soin et leur problématique.

RÔLES ET PLACES DES INTERVENANTS

La notion de soin est à la charge des thérapeutes. Lors des séances, l’idée d’horizontalité est essentielle. Les professionnelles de santé et les patients répondent aux mêmes consignes, à la même exigence du professeur de théâtre. Les soignants, sans oublier leurs rôles et places, sont des participants, des élèves comédiens. Ils font partie du groupe.

Dans nos places respectives, nous, soignants, évaluons, observons la capacité d’autonomie de la personne dans l’activité afin d’adapter et de faire le lien avec le professeur de théâtre. L’observation clinique participe à la prise en charge individuelle du patient dans le cadre du CMP.

Dans le cadre des séances, les rôles de l’ergothérapeute et de l’infirmière se croisent. Elles aident la personne à se mettre en jeu, verbaliser son ressenti. Elles travaillent comme soutien contenant (holding) pour le patient dans l’activité, afin de l’aider à sortir de ses angoisses, du vide qui peut exister. Effectivement l’objectif est d’amener le patient à être capable d’agir, de se mettre en mouvement, de jouer. Pour résumer, selon Donald W. Winnicott, pédiatre, psychiatre et psychanalyste britannique, l’espace scénique peut être perçu comme l’espace intermédiaire et le jeu (game) est perçu comme un geste créateur mais en lien avec des normes : les conventions théâtrales. Les soignants, de par la connaissance des personnes et de leur difficulté, participent à faciliter la parole, la mise en mots du vécu du groupe et de chacun. Ils sont des médiateurs entre le professeur de théâtre et les patients (à l’aide de reformulations, par exemple).

L’infirmière

L’infirmière est garante du soin du patient. En effet, elle a une connaissance plus particulière de son vécu et de sa problématique. Elle travaille en étroite collaboration avec ses collègues infirmiers, la psychologue et les médecins du CMP.

L’ergothérapeute

L’ergothérapeute a une vision globale de la problématique actuelle et du quotidien des participants. Elle est garante du caractère soignant de l’expérience du patient dans cette activité. Son rôle est de permettre la mise en évidence du potentiel de chacun, de ses ressources.

Le professeur de théâtre

Il participe à l’atelier en tant qu’expert de sa discipline, le théâtre. Il est le garant de la technique, du déroulement et des objectifs de la séance et de la session. Il établit la progression artistique des élèves.

DÉROULEMENT DE LA SÉANCE

La séance est ritualisée en trois temps : l’accueil, le cours et le point du professeur.

L’accueil

L’infirmière, l’ergothérapeute et le professeur de théâtre arrivent ensemble dans le hall d’accueil du conservatoire pour chercher les participants et les accompagner dans la salle de cours. Cette étape permet de mettre en évidence le travail de collaboration entre les soignants et le professeur. Elle participe au caractère contenant du cadre de l’activité.

Le cours

Ensuite, le cours commence toujours par un travail en cercle autour de la respiration et de la voix, et par la dénomination de chaque membre du groupe. C’est une étape de reconnaissance et de conscience de chacun, d’affirmation symbolique du désir individuel de participer au jeu, de faire partie du groupe.

Le point du professeur

Enfin, dans un troisième temps, le professeur fait le point sur la (ou les) séance (s) précédente (s) et explique son (ou leur) déroulement.

TRAVAIL DU PROFESSEUR ET OBSERVATIONS CLINIQUES

Depuis le début de l’expérience, nous travaillons sur le personnage sans utiliser la mémoire affective à l’aide de trois indications : la manière de bouger (composante physique), la manière de penser (le caractère) et la manière de s’exprimer (voix, rythme et type de langage). L’idée de mettre en avant un personnage permet une distance. On se prête au personnage et on ne peut remettre en cause que celui-ci et non la personne. La spécificité du théâtre est ici pleinement nécessaire dans le phénomène de distanciation que les élèves comédiens doivent appréhender pour progresser dans cet art : le personnage et la personne doivent être distincts dans l’esprit du “comédien”. L’élève comédien se “prête à jouer”, il est le personnage par sa volonté, et sa personne n’est en rien engagée dans les paroles ou actes du personnage.

Lors des premières sessions, la mise en jeu se faisait sous forme d’improvisations libres. Nous nous sommes aperçus que cela pouvait être source d’angoisse pour certains : angoisse liée au vide psychotique ou angoisse liée à l’inconnu. Le professeur a pris le parti, à la suite d’échanges avec les thérapeutes, de s’adapter en donnant davantage d’indications pour certains et des données plus précises sur l’espace. Les règles du jeu étaient plus visibles, ce qui a diminué les situations angoissantes et favorisé la création. Par ailleurs, un soignant est présent dans chaque sous-groupe afin de soutenir notre fonction contenante dans l’atelier. Par la suite, le passage de l’improvisation à l’écrit a été proposé au groupe. S’en tenir au texte et répéter sont des contraintes supplémentaires. Cela peut être soit plus facilitateur, soit plus compliqué en fonction de la problématique de chacun. L’idée a pu être vécue difficilement par des membres du groupe. Car on ne peut pas s’appuyer uniquement sur la parole pour illustrer le personnage.

Le travail sur le personnage prend une place plus importante pour faire passer au public ce que l’on veut. Pour d’autres, cette contrainte supplémentaire (librement consentie par chacun) a permis un cadre plus rassurant permettant un travail de précision et d’ajustement dans le jeu très valorisant. Le geste fait, refait, jusqu’à la maîtrise, ou pour le moins dans cette perspective, met l’élève dans l’expérimentation du perfectible.

La dernière séance tient place de représentation. Sans public et dans la même salle, elle est toutefois vécue comme un moment fédérateur, un aboutissement. Nous avons pu observer les capacités d’adaptation et de solidarité dans le groupe pour mener à terme le travail engagé.

HYPOTHÈSES DE TRAVAIL

Nous percevons deux modes de lectures qui se chevauchent dans ce même espace-temps. Le premier est la présence de trois entités : un professeur de théâtre, des soignants et des patients. Dans le deuxième, il n’existe qu’un professeur de théâtre et un groupe d’élèves.

Lieu de plaisir et d’expérimentation

Dans le groupe, nous avons un “éprouvé” commun, partagé. La notion de plaisir apparaît comme une composante essentielle. Chaque membre du groupe vient pour vivre un moment agréable, de détente, tout en étant dans une dynamique d’apprentissage du théâtre. Le plaisir de se retrouver pour jouer peut faciliter la parole dans le cadre des entretiens réalisés au CMP pour retravailler les objectifs spécifiques fixés au départ.

Un des objectifs de l’atelier est de créer du lien, une expérience commune, une rencontre entre le patient et les soignants dans un lieu extérieur du soin. Cette relation peut avoir une fonction contenante pendant la séance et permettre l’élaboration autour du ressenti, du vécu et des émotions lors des temps de reprise. Lors des temps de bilan au CMP, elle permet de faire le lien entre ce que l’activité théâtre apporte et ce que la mise en jeu peut procurer au patient dans sa vie quotidienne.

Lieu contenant par les notions d’engagement et d’appartenance

Au fil des séances, les notions d’engagement et d’appartenance à un groupe sont apparues aux patients comme aux soignants. Pour pouvoir jouer, on a besoin d’être en confiance avec les autres, ce qui permet en même temps de travailler l’estime de soi. Rien ne se fait contre l’autre, on fait avec l’autre. « Personne ne peut et ne doit contraindre quiconque sur scène sinon soi-même », dixit le professeur de théâtre, à plusieurs reprises pendant les sessions. Le groupe apparaît comme un tout. En l’absence d’un de ses membres, il n’est plus le même. Il peut être bloqué dans le jeu et la création. Chaque participant est attendu, voire indispensable. La méthode employée par le professeur de théâtre est ouverte, permettant des aménagements selon les possibilités d’expression de chacun.

ENSEIGNEMENTS ET PERSPECTIVES

Nous avons pu observer qu’un groupe s’est formé au fil des départs et arrivées. Il est devenu une entité à part entière. Il a aujourd’hui acquis des connaissances facilitant l’intégration et une progression rapide de nouveaux participants.

Par ailleurs, ce groupe peut être utilisé de deux manières différentes. L’atelier a d’abord été pensé comme une passerelle du lieu de soin vers un lieu public, c’est-à-dire qu’il est le premier pas vers une possible inscription dans la cité. Mais il s’est révélé aussi être un outil d’accroche au soin du CMP, de par son positionnement dans un espace non stigmatisé et non stigmatisant.

Au niveau des indications, quelle que soit sa pathologie, la personne peut y participer si cela correspond à ses besoins et aux objectifs généraux de cet espace. La principale contre-indication serait une personne non stabilisée ne pouvant pas prendre de distance entre l’imaginaire et la réalité, n’ayant pas accès au symbolique. Il faut être en capacité de prendre la distance entre le personnage dans l’espace de jeu et la personne en dehors de celui-ci.

Exemple clinique

Brigitte vient de débuter l’atelier depuis trois semaines. Lors d’un temps d’improvisation d’une file d’attente, son personnage est pris à partie par un autre personnage joué par Thomas. Lors de l’entretien suivant au CMP, elle a pu verbaliser sa non-prise de distance avec les personnages et son vécu. Pour elle, c’était Thomas qui s’en prenait à elle directement. Après quelques échanges avec son infirmière référente, elle a pu se rendre compte de ses difficultés à prendre de la distance et faire le parallèle avec son quotidien où elle peut se laisser envahir par des conflits qui ne sont pas les siens.