Le développement durable progresse à l’hôpital - Objectif Soins & Management n° 242 du 01/01/2016 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 242 du 01/01/2016

 

Qualité

Anne-Lise Favier  

Alors que la COP 21 s’est achevée sur un accord qualifié d’« historique » par les organisateurs, les établissements de santé sont de plus en plus nombreux à inscrire le développement durable dans leur fonctionnement quotidien. Une exemplarité qui peut encore s’étendre.

Dans les secteurs sanitaire et médico-social, la prise de conscience des enjeux liés au climat et la volonté d’être des acteurs du changement sont de plus en plus présentes. Olivier Toma, président du Comité pour le développement durable en santé (C2DS), mesure le chemin parcouru dans ce domaine.

TOUT EST LIÉ

Depuis que ce Comité – qui fête ses dix ans cette année – existe, le monde de la santé s’est éveillé au développement durable. « Dès 1995, l’idée du Comité a germé, c’était l’ère de la découverte ; dix ans plus tard, en 2005, le Comité est né et, avec lui, le temps de l’identification des problématiques de développement durable propres à l’hôpital. Nous avons eu à cœur d’identifier les bonnes pratiques mais aussi de dénoncer les mauvaises et d’identifier les compétences de chacun pour pouvoir les mettre en réseau. Désormais, on entre dans une ère qui sera celle de l’action », espère-t-il. Pour lui, le fait d’être un professionnel de santé est une chance, « il va y avoir du concret, de belles choses à faire, pour agir en faveur de la santé ». Et même si cette dernière n’a pas été au centre des débats de la 21e Conférence des parties (d’où le nom COP 21) à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, elle revient comme un leitmotiv lorsque l’on gratte un peu le fond de la question : agir pour le climat, c’est agir sur la santé. Réchauffement climatique, pollution, déplacement de population, maladies pulmonaires, émergence de maladies et d’épidémies : tout est en effet intimement lié.

EMPREINTE ÉCOLOGIQUE

Dans ce domaine, l’hôpital, comme tout établissement recevant du public, se doit d’être exemplaire, malgré une empreinte écologique importante.

On compte environ 4 000 établissements de santé qui tournent 24 heures sur 24, sept jours sur sept, été comme hiver. Climatisation dans les blocs opératoires, flux d’air, ventilation, chauffage dans les chambres, l’hôpital est gourmand en énergie, mais aussi en eau et produits chimiques de toutes sortes pour nettoyer, diagnostiquer et traiter. Consommateur, donc aussi producteur de déchets : déchets organiques, déchets chimiques, radiologiques, déchets d’activités de soins à risque infectieux, déchets médicamenteux, la liste est longue. Enfin, l’hôpital mobilise les transports pour le convoyage du matériel, du personnel et des patients.

Si l’on connaît les initiatives menées depuis plusieurs années en faveur des déchets – certains hôpitaux valorisent énergétiquement ces derniers et ont plus d’une quinzaine de filières de tri – on se concentre désormais sur d’autres thématiques.

POINTS D’AMÉLIORATION

Qualité de l’air

Pour Olivier Toma, l’amélioration de la qualité de l’air intérieur est un point crucial : « Les maladies provoquées par les composants toxiques ou allergènes sont nombreuses, le coût pour l’Assurance maladie est considérable, alors que les solutions sont relativement simples et peu coûteuses. Il suffit d’une mobilisation générale sur le sujet pour réduire les risques, les maladies et les dépenses de santé », explique-t-il. Car des solutions existent : elles ont d’ailleurs fait l’objet d’une feuille de route du C2DS(1).

Produits de nettoyage des locaux

Au-delà de l’attention portée à la qualité des matériaux de construction utilisés, c’est par exemple lors du nettoyage des locaux qu’une marge de progression est possible : « Il y a les produits chimiques qui sont nécessaires pour nettoyer, et ceux qui sont superflus. Outre les produits éco-labellisés, on peut opter pour d’autres techniques de nettoyage, comme la vapeur ou l’électrolyse. On nous parle d’infections nosocomiales, mais celles-ci sont en grande partie manuportées ; il est donc inutile de désinfecter à outrance, avec des produits agressifs », estime-t-il.

Utilisation du cuivre

Certains établissements se sont d’ailleurs essayés à des solutions alternatives pour la lutte contre les infections nosocomiales en utilisant le cuivre. Car ce métal fait preuve de propriétés antibactériennes relativement intéressantes(2) qui lui confèrent un attrait particulier dans la lutte contre les infections nosocomiales : en effet, le cuivre permet d’éradiquer 90 à 100 % des micro-organismes par rapport aux mêmes surfaces en matériaux standards. Les staphylocoques dorés résistants à la méthicilline meurent ainsi au contact des surfaces en cuivre en moins de deux heures.

Ainsi, en France, quelques établissements ont franchi le pas : au Centre intergénérationnel multi-accueil (Cigma) de Laval (Mayenne), les mains courantes et poignées de portes sont toutes composées de cuivre, avec un objectif : faire reculer les infections nosocomiales manuportées, en complément d’un geste d’hygiène des mains.

ENGAGEMENTS

Pour le moment, aucune étude scientifique n’a montré de lien direct entre ces équipements et une diminution des infections, mais les observations empiriques semblent prometteuses et tentent de plus en plus d’autres établissements de soins.

À l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris (39 hôpitaux concernés), on vient de signer un accord-cadre avec l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie : avec cet accord, l’institution s’engage sur des projets liés aux bâtiments (démarche Haute qualité environnementale) et sur une baisse de la consommation d’énergie en vue d’une réduction des gaz à effet de serre.

Certains vont plus loin : outre la certification ISO 26000, la France compte désormais quatorze établissements EMAS(3) (Eco Management and Audit Scheme), dont trois établissement d’hébergements pour personnes âgées dépendantes (résidences La Cyprière, Les Aigueillères, La Martégale près de Montpellier, Hérault). L’objectif de cette certification est triple : mettre en œuvre une responsabilité environnementale et économique, améliorer les performances environnementales, et communiquer les résultats environnementaux. Avec, à la clé, un gain sur les factures énergétiques et une plus grande implication du personnel, tout investi dans la démarche.

NOTES

(1) Engagement qualité de l’air intérieur, à consulter via le lien raccourci bit.ly/1MtwrLO

(2) Étude menée à Birmingham à consulter via le lien raccourci bit.ly/1QIfLbc

(3) À consulter via le lien raccourci bit.ly/1QEs8oM

3 QUESTIONS À… NATHALIE MARTIN

Nathalie Martin, cadre de santé à la maternité Jeanne de Flandre, au CHRU de Lille (Nord)

1 Vous participez au Comité coordination opérationnelle développement durable (CCODD) du CHRU. Pouvez-vous nous éclairer en quoi celui-ci consiste ?

Il a été mis en place en 2012 et fait partie du Comité stratégique du développement durable. Composé de membres issus des représentants du personnel, de la CME et de la délégation à la communication, il pilote le schéma directeur développement durable pour lequel nous faisons régulièrement des points d’étape afin d’avancer sur les différentes questions prioritaires. Il existe une quinzaine de projets autour des déchets, de la mobilité, des bâtiments, de l’énergie, de l’eau et des achats. En tant que personnel de terrain, j’apporte le vécu et l’expérience nécessaire.

2 Quelles actions exemplaires le CHRU a-t-il mis en œuvre en faveur du développement durable ?

Il en existe plusieurs, mais nous pouvons notamment citer l’action “1 000 jours pour la santé” qui a pour objectif, en maternité, de limiter l’exposition aux toxiques des nouveau-nés et de leur maman, d’améliorer l’alimentation – en faisant la promotion de l’allaitement – par une sensibilisation de la maman dès la préparation à la naissance. Dans un autre registre, nous avons également mis en place un outil – baptisé NOE – pour suivre la quantité d’eau consommée par bâtiment et par service, ceci afin de rationaliser la consommation d’eau. Depuis 2006, il a permis de faire baisser de 30 % la consommation globale : en cas de consommation anormale, les agents du CHRU détectent les fuites et les réparent rapidement. Enfin, nous valorisons les déchets organiques produitspar le CHRU en biogaz, ce qui permet d’alimenter les bus de transports publics de la ville en biogaz. Ces deux dernières initiatives nous ont valu des “awards” au baromètre “Développement durable hospitalier” reconnu par les fédérations hospitalières.

3 Mener une démarche de développement durable est-il facilement compatible avec la démarche de soins ?

Une chose est certaine, c’est qu’on ne sacrifie jamais le soin pour entrer à tout prix dans une démarche de développement durable. Mais, pour prendre un exemple, grâce à la construction d’un bâtiment spécifique et adapté aux normes environnementales, nous diminuons progressivement la consommation de l’usage unique avec le retour de la stérilisation, ce n’est pas pour autant qu’on a constaté une hausse des infections nosocomiales. Preuve, s’il en fallait, que oui, soins de qualité et développement durable peuvent coexister !

Zoom sur le gaspillage alimentaire

1,35 milliards de repas par an : l’hôpital est le plus grand restaurant de France. C’est aussi là que l’on gaspille le plus : 264 grammes par personne et par repas selon une étude du ministère de l’Agriculture. Une marge de progression est donc toujours possible.

Au CHRU de Lille (Nord), on s’est attaqué au gaspillage du pain. « Nous avons pris l’exemple du pain, car c’est symbolique et facilement mesurable, explique Shyrine Cassam, chargée de mission développement durable au CHRU de Lille. Il était assez simple de voir chaque jour qu’une partie du pain présent sur les plateaux repas n’était pas consommée et finalement jetée en fin de chaîne. Ponctuellement, nous faisions une pesée de tout ce pain non consommé et l’affichions au niveau de la collecte des plateaux. Nous avons aussi changé l’emplacement du pain dans la chaîne de service. Il s’y trouve désormais à la fin. Cela nous a permis de réduire de 15 à 20 % le gaspillage lié au pain. » En Midi-Pyrénées, 113 établissements ont évalué leur gaspillage alimentaire grâce à une pesée. Le résultat est éloquent : 1 450 tonnes par an pour l’ensemble des établissements participants, dont 81 tonnes de pain, soit 324 000 baguettes jetées à la poubelle. Une prise de conscience nécessaire pour mettre en place des actions correctives et réaliser des économies.