Responsabilité médicale : comment saisir la justice ? - Objectif Soins & Management n° 241 du 01/12/2015 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 241 du 01/12/2015

 

Droit

Gilles Devers  

En matière de responsabilité médicale, c’est le patient qui est à l’origine de la procédure, et il va faire des choix procéduraux qui marqueront toute la suite de la procédure.

Avant toute chose, il faut distinguer le civil et le pénal. La confusion est souvent entretenue, notamment à partir de la notion de “plainte”. Dans le langage courant, tout recours en justice est présenté comme une plainte, ce qui entraîne bien des erreurs d’analyse. Bien décidée à défendre ses droits en justice, une personne déclare : « Je vais déposer plainte. » Or, si elle va effectivement engager un procès, il n’est pas sûr que ce soit par une plainte. En réalité, il faut réserver la plainte au domaine pénal, et bien comprendre ce dont il s’agit.

LE CIVIL ET LE PÉNAL

Dans le domaine civil, une personne forme une demande en justice. Ainsi, il faut déposer un argumentaire, avec des moyens de droit et des éléments de fait, et former une demande sur laquelle le juge doit se prononcer. La justice n’est jamais demanderesse à la procédure : ce sont les parties qui viennent lui soumettre un litige et le juge tranchera. Le juge est dans une fonction d’arbitre entre deux thèses, et le jugement qu’il rendra ne concernera que les parties au litige, pour les demandes qui ont été formées.

Au pénal, c’est le procureur qui est la partie poursuivante. Il agit de lui-même, étant renseigné de faits infractionnels par les services de police ou de gendarmerie, ou à la suite de plaintes déposées par des particuliers. La grande particularité du pénal est que les poursuites et l’enquête sont conduites par les magistrats. Le particulier informe le procureur par une plainte et demande qu’une enquête soit ouverte. Mais c’est le procureur qui décide, car c’est lui qui a la charge des poursuites. D’ailleurs, la procédure pénale est appelée “l’action publique”.

Si une personne entend réellement maîtriser la procédure, il faut qu’elle choisisse la procédure civile. Dans la procédure pénale, elle jouera un rôle déclencheur important, mais le pénal sera ensuite l’affaire des magistrats. De plus, si le recours en justice n’est jamais simple, la procédure au pénal est beaucoup plus complexe qu’au civil, car il faut des critères très précis pour parvenir à remettre en cause la présomption d’innocence.

Pour les affaires de santé, les patients confrontés à une affaire qui paraît justifier un recours évoquent d’abord l’idée de “porter plainte”. Mais, lorsqu’ils se renseignent auprès des avocats, ils comprennent la complexité de la procédure pénale et préfèrent de manière très majoritaire exercer un recours au civil.

COMMENT SAISIR LA JUSTICE PÉNALE ?

Qu’est-ce qu’une plainte ?

On retrouve ici la notion de “plainte”, mais il faut bien s’entendre sur la définition, et d’abord comprendre quel est le rôle du procureur de la République.

Le procureur est l’autorité poursuivante jusqu’à l’achèvement du procès. C’est-à-dire qu’il va diriger toute l’évolution de l’enquête, donner des instructions aux enquêteurs, tirer les conclusions de l’enquête et décider de la suite à donner. Si l’enquête confirme l’existence de charges pénales, le procureur décidera de renvoyer l’affaire devant un tribunal pour être jugée ou de saisir un juge d’instruction, s’il faut poursuivre des investigations complexes. Mais il peut arriver que l’enquête, au final, ne laisse pas apparaître les éléments constitutifs d’une infraction. Le procureur décide alors de classer sans suite. Il peut agir de sa propre initiative, parce que des informations viennent à sa connaissance, notamment par le biais des services de police ou de gendarmerie qui les constatent. Mais il peut également agir à la suite de renseignements donnés par les particuliers. Juridiquement, c’est ce que l’on appelle la plainte. Déposer plainte, c’est transmettre au procureur des informations susceptibles d’être la matière d’une infraction, et demander l’ouverture d’une enquête. C’est une demande qui compte, mais qui n’oblige pas le procureur. Celui-ci est le seul maître de l’opportunité des poursuites. Parmi toutes les informations qui lui sont transmises, il décide s’il y a lieu d’ouvrir ou non une enquête, et quels moyens allouer à cette enquête.

La plainte n’est donc pas une action en justice, en ce sens qu’à l’inverse du civil, elle n’oblige pas le tribunal à trancher sur les faits qui sont dénoncés. La plainte signale au procureur de la République des faits, et il revient à celui-ci d’apprécier s’il est opportun ou non d’ouvrir une enquête, puis de saisir le tribunal.

Comment déposer plainte ?

Il n’y a pas de modalités spécifiques… mais il faut être très précis dans la dénonciation de ces faits si l’on veut convaincre le procureur, car il est destinataire de nombreuses informations et n’est pas en mesure de toutes les exploiter. Il est tout d’abord possible de se rendre au commissariat ou à la gendarmerie pour faire recueillir la plainte par une audition, qu’on appelle alors le “procès-verbal”. Ce mode est tout à fait jouable, mais il est préférable de passer par un écrit, avec un certain nombre de justificatifs.

De plus, dans la pratique, on observe une certaine réticence des services de police et de gendarmerie à enregistrer les plaintes, et les services encouragent souvent à se contenter d’une inscription sur le registre de main courante. Il reste alors un renseignement laissé à disposition, mais sans demande d’enquête. L’une des raisons est que le nombre de plaintes est analysé comme indicateur de la délinquance dans le pays. Le renseignement porté sur le registre de main courante pourra, un jour, être exploité, mais ne donne pas lieu à une enquête immédiate.

Ainsi, si le dossier est complexe ou délicat, il est préférable de procéder par écrit. En matière de responsabilité médicale, il ne faut pas se contenter du dépôt d’une plainte sur procès-verbal, car le risque est de faire un exposé imprécis des faits. Il sera plus efficace de rédiger un écrit, en procédant à un exposé chronologique et objectif, identifiant les points contentieux, donnant des indications sur le préjudice et fournissant des références jurisprudentielles. Les plaintes peuvent être adressées aux services du procureur de la République en écrivant directement au Palais de justice à l’attention de son secrétariat.

La plainte peut être rédigée par toute personne ou par un avocat. En matière de santé, le dossier est toujours complexe, il faut conseiller le recours aux services d’un avocat. Celui-ci sera d’ailleurs souvent amené à solliciter un premier avis médical, même succinct, mais très utile pour éclairer le professionnel du droit sur les enjeux médicaux.

De plus, il faut être très prudent quand on rapproche des noms et des accusations dans une plainte pénale, car cela peut conduire à des procédures de dénonciation calomnieuse. De telle sorte, il est plus prudent de rédiger une plainte contre X, en proposant les noms d’un certain nombre de personnes pouvant être entendues comme témoins. La plainte est une dénonciation de faits, et c’est à l’enquête d’identifier les auteurs. Si les faits sont caractérisés, exposés de manière cohérente et susceptibles de recevoir une qualification juridique, le procureur donnera suite. Dans un premier temps, ce sera une enquête recourant à des procédés simples d’investigations, appelée “enquête préliminaire”. Si l’affaire paraît grave ou complexe, le procureur saisira un juge d’instruction pour une “information judiciaire”.

En bref

• Une plainte pénale est une dénonciation de faits auprès du procureur de la République qui est libre d’apprécier la suite à donner.

• La plainte n’est pas une donnée formelle, et ce qui compte, c’est la précision des informations.

• Pour une affaire médicale, soit une situation complexe ou délicate, une plainte écrite avec un dossier adressée au procureur est la voie préférable.

COMMENT SAISIR LA JUSTICE CIVILE ?

Procédure civile et procédure administrative

En France, existent deux ordres de juridictions différents.

• Les juridictions judiciaires, qui connaissent des litiges entre personnes privées, associations et sociétés, sont principalement le tribunal de grande instance, la cour d’appel et Cour de cassation.

• Les juridictions administratives, compétentes chaque fois qu’est en cause une collectivité publique, sont principalement le tribunal administratif, la cour administrative d’appel et le Conseil d’État.

Pour un divorce, on saisit le juge aux affaires familiales, qui dépend du tribunal de grande instance, et pour contester un refus de permis de construire, on dépose un recours devant le tribunal administratif.

Mais, en matière de santé, cette dualité juridictionnelle reste un héritage du passé, que rien ne justifie. En effet, une affaire qui a eu lieu dans le secteur privé ou libéral sera portée devant le tribunal de grande instance, alors que, si les mêmes faits se sont tenus dans un établissement public, c’est le tribunal administratif qui sera compétent. Or, de part et d’autre, on trouve les mêmes professionnels, on attend la même qualité des soins et on applique les mêmes règles de droit. C’est donc une bizarrerie sans justification logique… Et tout le problème est que les jurisprudences judiciaires et administratives sont sensiblement différentes.

Procédure de référé

Dans une procédure civile ou administrative, le plaideur ne peut compter sur le rôle d’un juge pour enquêter, et la charge de la preuve lui revient. En matière de santé, cette preuve résulte de l’examen du dossier médical et un grand rôle est laissé à l’avis des experts. Aussi, la loi a mis à disposition des particuliers des procédures simples et jugées de manière rapide, qui sont en quelque sorte des avant-procès, que l’on appelle les “procédures de référé”.

Dans les affaires médicales, ces procédures sont fréquemment utilisées pour obtenir une mesure d’instruction civile, à savoir la désignation d’un expert. S’il n’y a pas de droit à la désignation d’un expert, il est en pratique assez aisé d’obtenir cette désignation. Pour obtenir la désignation de l’expert, il faut démontrer que l’expertise est nécessaire, c’est-à-dire que, pour régler un litige, il y a besoin des lumières d’un technicien. Sous cette réserve, les procédures sont bien accueillies par les juges et se révèlent d’une grande efficacité. Cet expert interviendra en exécution de la décision de justice, c’est-à-dire en opérant de manière contradictoire. Ainsi les parties au procès sont convoquées et doivent se présenter à l’expertise. Si elles ne viennent pas, elles sont défaillantes et le rapport leur est opposable.

L’audience peut être obtenue dans un délai très court, de quinze jours à trois semaines. Le tribunal alloue un délai, en général de six à huit mois pour que le rapport d’expertise soit déposé. Mais il peut y avoir des mesures urgentes, notamment s’il faut rapidement faire un constat pour un équipement dangereux. Dans ces cas, les délais peuvent être beaucoup plus rapides, même ramenés à quelques semaines.

La désignation de l’expert par le juge des référés est une étape importante, mais cela ne veut pas dire que suivra nécessairement une procédure en responsabilité. En effet, il arrive souvent que le rapport d’expertise n’apporte pas d’éléments techniques permettant d’envisager de faire reconnaître une faute médicale par le juge, et l’affaire en restera là.

Procédure au fond

Le procès normal est appelé la “procédure au fond”. C’est le procès qui permet de faire trancher le litige, après l’échange entre les parties de toutes les pièces et arguments. La procédure civile est bien différente du pénal dans la mesure où une demande saisit le juge, qui a l’obligation de se prononcer. Cela suppose donc du formalisme et de la précision dans la rédaction. Une demande en justice qui ne respecte pas les formalités de procédure peut être jugée irrecevable. Ce procès suppose un certain délai. En règle générale, même bien conduite, une procédure devant le tribunal de grande instance dure entre dix à douze mois, et devant le tribunal administratif entre dix-huit mois à deux ans. Au civil comme en administratif, les procédures sont de même nature : une demande formée en justice. Pour le reste, les pratiques procédurales sont très différentes devant les juridictions. En particulier, la procédure judiciaire mêle l’écrit et l’oral, avec l’importance des plaidoiries, alors que, devant les juridictions administratives, la procédure est essentiellement écrite, et l’audience a un rôle formel. D’une manière ou d’une autre, ces procédures sont très techniques et relèvent de l’intervention de l’avocat.