Les groupements hospitaliers de territoire - Objectif Soins & Management n° 241 du 01/12/2015 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 241 du 01/12/2015

 

Économie de la santé

Didier Jaffre  

Le projet de loi portant modernisation du système de santé introduit la notion de groupe hospitalier de territoire (GHT), principale évolution concernant les établissements de santé publics.

Si les débats ont beaucoup porté sur la notion de territoire, le contenu même des GHT, leur gouvernance, il semble qu’une notion importante soit passée inaperçue. Et pourtant, elle est fondamentale : c’est celle de groupe. Le GHT, c’est adopter dans le secteur public hospitalier une stratégie de groupe, bien connue depuis des décennies dans le secteur industriel, mais également dans le secteur privé de la santé. La plupart des cliniques privées appartiennent aujourd’hui à des groupes. Au fur et à mesure que les entreprises se développent et en reprennent d’autres, on voit apparaître des ensembles d’entreprises, soumises plus ou moins étroitement au contrôle d’une société mère, et donc appelés groupes. Les groupes sont nés en France au début du XXe siècle dans les domaines bancaires et industriels. Mais le secteur public n’a pas été absent. À l’instar des GHT, les groupes dans le secteur privé n’ont pas d’existence légale. Quels enseignements tirer des groupes dans le secteur privé sur le secteur public hospitalier ?

UN GROUPE, C’EST QUOI ?

D’une manière générale, un groupe est un ensemble d’entreprises soumises au contrôle d’une société mère. Plusieurs approches peuvent les caractériser :

• juridique : organisation d’entreprises juridiquement liées, ensemble de centres de production liés les uns aux autres par des liens multiples de participation, ensemble d’entreprises unies par des liens financiers, ensemble formé par une société mère et de filiales placées sous son contrôle ;

• leur rôle dans la structuration globale du capitalisme et de la recherche des modalités de domination qu’ils mettent en place. Les groupes constituent une structure propre, adaptée à l’évolution du système économique pour mettre en valeur le capital.

Dès lors, on peut définir un groupe comme une structure organisée et autonome de mise en valeur du capital. Il unifie les phases du processus économique des entreprises qui le constituent et assure la fusion des capitaux. Il convient de distinguer le groupe, qui est un ensemble d’entreprises, de la très grande firme intégrée avec plusieurs unités. Autrement dit, le groupe, c’est le contraire de la fusion d’entreprises. Les entreprises qui constituent le groupe sont intégrées, c’est-à-dire qu’il existe des liens forts et structurants entre elles : il y a appartenance à l’ensemble et adhésion aux objectifs de cet ensemble. Le groupe est soumis au contrôle stratégique d’une société mère qui en assure la direction. Cette tête de groupe est nécessaire pour veiller à l’intégration d’unités autonomes dans un ensemble plus vaste et pour définir les objectifs de cet ensemble. Ce pouvoir central doit permettre de surmonter l’hétérogénéité des activités des filiales. La société mère coordonne les activités des firmes dans le cadre du processus économique du groupe et fusionne ensuite les capitaux issus de ces différentes unités sous un même contrôle. Le groupe est donc un ensemble intégré d’entreprises soumis au contrôle d’une société mère qui en assure la direction et veille à l’unification des processus économiques et la fusion des capitaux.

LES TYPES DE GROUPES

On distingue les groupes primaires et groupes complexes. Les types primaires de groupe concernent les groupes industriels engagés dans la mise en valeur du capital sous sa forme productive et qui maîtrisent donc des entreprises productives d’une ou plusieurs activités ; les groupes commerciaux engagés dans la valorisation marchande du capital, les groupes bancaires engagés dans la valorisation financière du capital, sachant que ces groupes peuvent entretenir des relations entre eux et donner naissance à des groupes de forme complexe. Les groupes financiers sont des ensembles constitués par la réunion de groupes industriels, bancaires et/ou commerciaux, dans le but de mieux mobiliser le capital argent. La maison mère caractérise alors le groupe financier : à dominante industrielle quand la maison mère est une firme d’origine industrielle, à dominante bancaire quand la maison mère est une firme d’origine bancaire. Ces groupes financiers permettent l’interpénétration des capitaux bancaires et des capitaux industriels. Les ensembles financiers sont des fédérations de groupes financiers. Ils reposent sur des rapports d’ententes entre les groupes qui, tout en conservant leur autonomie, collaborent à la réalisation de stratégies communes, comme par exemple pour porter des ensembles marchands de très grande envergure. Enfin, les holdings sont des formes de sociétés mères qui sont consacrées uniquement à la détention et à la gestion des titres des sociétés membres du groupe, sans donc exercer d’activité d’exploitation. Les conglomérats ont, quant à eux, des participations dans un nombre très grand d’entreprises pour diversifier leurs activités et assurer une rentabilité immédiate des capitaux, selon une logique purement financière.

LES LIENS STRUCTURANTS

• Les liaisons financières sont constituées par le degré de participation d’une société A au capital d’une autre société B. La participation est majoritaire quand A détient plus de 50 % du capital de B (et devient donc la société mère) ; et minoritaire si A détient moins de 50 % du capital de B (et donc va devoir s’allier avec un autre pour obtenir la minorité de blocage entre 30 et 50 %).

• Les liaisons personnelles sont moins faciles à repérer ; comme par exemple le fait que les membres d’une même famille siègent dans les conseils des entreprises du groupe pour assurer une unité.

• Les liaisons économiques font partie des relations de marché obligées qui s’instaurent entre les unités économiques du groupe (achats, ventes…) : relations financières d’endettement (avances, prêts consentis par la société mère aux unités de moindre importance), relations contractuelles (accord de sous-traitance, de franchise), relations économiques de collaboration à la réalisation d’un projet (accords de filières).

POURQUOI CRÉER DES GROUPES ?

• Les groupes constituent de vastes circuits de financement, ce qui leur procure une relative autonomie par rapport aux autorités.

• Les groupes permettent de mieux maîtriser les coûts de transaction, et notamment les effets de “déséconomies” d’échelle liés à la taille de l’entreprises, en conservant l’autonomie des entreprises et en se focalisant uniquement sur certaines relations.

• Les groupes constituent une barrière à l’entrée redoutable pour les concurrents potentiels. Non seulement les stratégies de partenariat et de coopération au sein du groupe permettent de dominer les coûts sans pour autant augmenter les coûts de transaction, mais surtout elles permettent de gérer la concurrence.

Enfin, la stratégie de groupe permet d’infiltrer plus facilement les marchés mondiaux.

CONCLUSION

La logique sous-jacente aux GHT est bien de constituer, comme dans le secteur privé, des groupes entre les hôpitaux publics d’un même territoire. Les GHT s’apparentent à un ensemble intégré d’hôpitaux publics d’un même territoire, avec des liens structurés (convention constitutive), avec une société mère (établissement support) qui vise à mieux maîtriser la production de soins hospitaliers et à fusionner les capitaux (mutualisation des trésoreries). On est face à un type primaire de groupe industriel, avec des liaisons financières (budget consolidé ?), des liaisons personnelles (direction commune et conseil de GHT), de liaisons économiques (systèmes d’information, mutualisation des fonctions support). L’association des CHU aux GHT pouvant s’apparenter à la création d’un ensemble financier de groupes. Le secteur public saura-t-il prendre le tournant de cette évolution de son mode de fonctionnement pour le rendre plus concurrentiel vis-à-vis du secteur privé ? Il conviendra de sortir d’une logique individualiste très ancrée pour une logique de groupe, la seule capable de maintenir et de développer les intérêts de chacun des sites hospitaliers publics. Ce qui suppose naturellement une volonté des acteurs, une légitimité de la maison mère (l’établissement support) et une stratégie offensive face aux groupes privés de santé.

POUR EN SAVOIR PLUS

• Fondements d’économie industrielle, Yves Morvan, Économica, 1991

LES GHT DANS LE PROJET DE LOI DE SANTÉ (VERSION EN VIGUEUR)

Le groupement hospitalier de territoire (GHT) a pour objet de permettre aux établissements de mettre en œuvre une stratégie de prise en charge commune et graduée du patient, dans le but d’assurer une égalité d’accès à des soins sécurisés et de qualité. Il assure la rationalisation des modes de gestion par une mise en commun de fonctions ou par des transferts d’activités entre établissements. Dans chaque groupement, les établissements parties élaborent un projet médical partagé garantissant une offre de proximité ainsi que l’accès à une offre de référence et de recours. Tous les GHT s’associent à un centre hospitalier universitaire au titre des activités hospitalo-universitaires. Cette association est traduite dans le projet médical partagé du GHT ainsi que dans une convention d’association entre l’établissement support du GHT et le CHU.

→ La convention constitutive du GHT comprend :

« 1° Un projet médical partagé de l’ensemble des établissements parties à la convention de GHT ;

« 2° Les délégations éventuelles d’activités ;

« 3° Les transferts éventuels d’activités de soins ou d’équipements de matériels lourds entre établissements parties au groupement ;

« 4° L’organisation des activités et la répartition des emplois médicaux et pharmaceutiques, résultant du projet médical partagé et pouvant être prévues par voie d’avenant, ainsi que les modalités de constitution des équipes médicales communes et, le cas échéant, des pôles interétablissements ;

« 5° Les modalités d’organisation et de fonctionnement du groupement, notamment :

« a) La désignation de l’établissement support chargé d’assurer, pour le compte des autres établissements parties au groupement, les fonctions et les activités déléguées. Cette désignation doit être approuvée par les deux tiers des conseils de surveillance des établissements parties au groupement. À défaut, l’établissement support est désigné par le directeur général de l’agence régionale de santé concernée, après avis du comité territorial des élus locaux ;

« b) La composition du comité stratégique chargé de se prononcer sur la mise en œuvre de la convention et du projet médical partagé. Il comprend notamment les directeurs d’établissement, les présidents des commissions médicales d’établissement, les présidents des commissions des soins infirmiers, de rééducation et médico-techniques et les présidents des conseils de surveillance de l’ensemble des établissements parties au groupement. Le comité stratégique peut mettre en place un bureau restreint auquel il délègue tout ou partie de sa compétence ;

« b bis) Les modalités d’articulation entre les commissions médicales d’établissement pour l’élaboration du projet médical partagé et, le cas échéant, la mise en place d’instances communes ;

« c) Le rôle du comité territorial des élus, chargé d’évaluer les actions mises en œuvre par le groupement pour garantir l’égalité d’accès à des soins sécurisés et de qualité sur l’ensemble du territoire du groupement. À ce titre, il peut émettre des propositions et est informé des suites qui leur sont données.

→ L’établissement support désigné par la convention constitutive assure les fonctions suivantes pour le compte des établissements parties au groupement :

« 1° La stratégie, l’optimisation et la gestion commune d’un système d’information hospitalier convergent, en particulier la mise en place d’un dossier patient permettant une prise en charge coordonnée des patients au sein des établissements parties au groupement. Les informations concernant une personne prise en charge par un établissement public de santé partie à un groupement peuvent être partagées ;

« 1° bis La gestion d’un département de l’information médicale de territoire ;

« 2° La fonction achats ;

« 3° La coordination des instituts et des écoles de formation paramédicale du groupement et des plans de formation continue et de développement professionnel continu des personnels des établissements du groupement.

« II- L’établissement support du groupement hospitalier de territoire peut gérer pour le compte des établissements parties au groupement des équipes médicales communes, la mise en place de pôles interétablissements tels que définis dans la convention constitutive du groupement ainsi que des activités administratives, logistiques, techniques et médico-techniques.

« II bis (nouveau)- Les établissements parties au GHT organisent en commun les activités d’imagerie diagnostique et interventionnelle, le cas échéant au sein d’un pôle interétablissement. Ils organisent en commun dans les mêmes conditions les activités de biologie médicale. »