France/Allemagne : victoire de l’Allemagne - Objectif Soins & Management n° 239 du 01/10/2015 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 239 du 01/10/2015

 

Économie de la santé

Didier Jaffre  

Si les systèmes d’assurance maladie des deux pays sont comparables et reposent sur les mêmes principes fondateurs, à savoir un système assurantiel à l’instar de son précurseur Allemand Bismarck, force est de constater que les dispositifs de régulation financière et de pilotage diffèrent fortement. À tel point qu’ils conduisent à une situation financière inversée, l’un étant en excédent (le système de santé allemand), l’autre en fort déficit (le système français).

Le 22 octobre 1985 était diffusé sur la chaîne de télévision Allemande ZDF le premier épisode de la série Die Schwarzwaldklinik, mettant en scène le quotidien d’une équipe médicale et des malades d’une clinique située dans la Forêt Noire, autour du Professeur Klaus Brinkmann et de sa famille. La série compta pas moins de 72 épisodes et connut une forte popularité internationale, y compris en France, sous le nom de La Clinique de la Forêt-Noire.

Trente ans plus tard, la Cour des comptes en France publie son rapport annuel sur la Sécurité sociale dans lequel elle consacre plus de cent pages à la comparaison des systèmes d’assurance maladie et de retraite des deux pays, France et Allemagne.

Dès lors, quelles leçons en tirer pour les évolutions de notre propre système d’assurance maladie que tant d’autres pays nous envient – mais a priori pas l’Allemagne ?

UNE STRUCTURATION DES DÉPENSES DIFFÉRENTE

La structuration des deux systèmes de santé est similaire. On retrouve de part et d’autre du Rhin chez les offreurs de soins des hôpitaux publics, des cliniques privées, des établissements de santé à but non lucratif, des médecins libéraux (généralistes et spécialistes). Elle repose sur le principe de la liberté de choix du malade. Les deux pays ont un niveau élevé de dépenses de santé : 11,6 % du PIB français contre 11,3 % du PIB allemand, ce qui représente un niveau très élevé par rapport aux autres pays européens. Dans les deux pays existe un système d’assurance maladie obligatoire.

• Les dépenses de santé représentent 3 611 euros par habitant en Allemagne contre 3 465 euros en France, avec des taux d’évolution comparables sur les dernières années (plus de 2 % par an).

• Toutefois, on constate un poids plus important des dépenses hospitalières en France (37 % des dépenses de santé contre 29 % en Allemagne) alors même que le nombre de séjours hospitaliers est plus élevé en Allemagne, de même que le nombre de lits et la durée de moyenne de séjour. Ce paradoxe s’explique en fait par un coût de fonctionnement de l’hôpital français plus élevé, dû en grande partie aux charges de personnels largement supérieures (17,33 équivalents temps plein hospitaliers pour 1 000 habitants en France contre 11,2 en Allemagne) et par une externalisation plus intense en Allemagne des fonctions supports et techniques.

• À l’inverse, il y a 50 % de plus de consultations en médecine de ville en Allemagne qu’en France (30 % des dépenses de santé en ville en Allemagne contre 22 % en France), avec des revenus des médecins libéraux plus élevés et une densité de professionnels libéraux plus forte.

• À noter par ailleurs une séparation stricte entre l’hospitalisation et la médecine de ville en Allemagne. Contrairement à la France où l’on développe l’ambulatoire dans les établissements de santé (objectif majeur du plan triennal), les établissements de santé en Allemagne se consacrent exclusivement aux malades qui ont besoin d’être hospitalisés dans un lit, les autres étant pris en charge exclusivement par les professionnels de santé libéraux.

UN SEUL RÉGIME D’ASSURANCE MALADIE VERSUS UNE PLURALITÉ DE RÉGIMES

• Contrairement à la France, un seul régime d’assurance maladie couvre l’ensemble des salariés en Allemagne, quel que soit leur secteur d’activité et leur statut : l’assurance maladie légale. C’est un régime paritaire, géré par les partenaires sociaux au niveau de chaque Länder (région) qui disposent d’une très grande marge de manœuvre pour négocier chaque année avec les offreurs de soins. Un comité fédéral commun regroupant les professionnels de santé et l’assurance maladie existe, le rôle de l’État fédéral se limitant à la “surveillance” du système (à l’instar de nos conseils de surveillance de nos hôpitaux français) en fixant uniquement le cadre.

• Face à ce régime unique auto-administré fortement décentralisé s’oppose la pluralité des régimes d’assurance maladie français en fonction du secteur d’activité des individus, fortement régulés et administrés par l’État (les fameuses conventions d’objectifs et de gestion, COG), avec donc une responsabilisation de plus en plus faible des partenaires sociaux, les conseils d’administration des caisses d’assurance maladie ayant finalement que peu de pouvoirs. L’État ayant donc un rôle prépondérant, que ce soit au niveau central (ministère de la Santé) qu’au niveau régional (agences régionales de santé), sans qu’il y ait néanmoins de régionalisation mais une simple déconcentration des pouvoirs.

• De même, si les niveaux de prise en charge par le régime obligatoire des dépenses de santé est sensiblement le même (73,8 % en France contre 70,4 % en Allemagne), en revanche, le périmètre de prise en charge n’est pas le même. L’Allemagne a fait le choix politique d’avoir des taux de remboursement supérieurs mais sur un périmètre plus restreint, avec l’instauration d’un bouclier sanitaire. Par ailleurs, si la généralisation de la complémentaire santé est pratiquement atteinte en France (95 % de la population couverte en 2010), représentant ainsi 13,8 % des dépenses de santé, il n’existe pas à proprement parler d’assurance complémentaire en Allemagne. En effet, les fonctionnaires et les salariés à haut revenus peuvent se soustraire à l’assurance obligatoire pour prendre une assurance privée mais qui, dès lors, prend tout en charge, cela ne concernant que 11 % de la population pour 2 % des dépenses de santé.

DES MODES DE RÉGULATION FINANCIÈRE DIFFÉRENTS

• Le régime d’assurance maladie allemand ne saurait être en déséquilibre : c’est un principe constitutionnel. Dès lors, la recherche de l’équilibre par des actions centrées avant tout sur les recettes s’impose aux différentes caisses. Si un fonds santé a été instauré pour mutualiser les ressources et le redistribuer, les mécanismes d’équilibre reposent avant tout sur une augmentation des cotisations, sur des mécanismes de subvention de l’État fédéral en dernier ressort, l’utilisation des réserves. Il existe des mécanismes de maîtrise des dépenses mais ils sont à la marge, dans la mesure où l’assurance maladie négocie les moyens des offreurs de soins en fonction de ressources dont ils disposent.

• Mécanisme de régulation complètement à l’opposé en France, reposant sur la maîtrise des dépenses et surtout de leur évolution depuis 2016, avec l’instauration de l’Ondam, Objectif national des dépenses d’assurance maladie, qui fixe un volume de dépenses à ne pas dépasser a priori.

• Les résultats étant sans appel pour la France : 11,8 milliards d’euros cumulés d’excédents en 2014 en Allemagne contre 104,8 milliards d’euros de déficits cumulés en France, cherchez l’erreur.

DES ENJEUX SIMILAIRES POUR LES DÉPENSES HOSPITALIÈRES MAIS AVEC DES OUTILS DIFFÉRENTS

Les deux pays sont engagés dans une restructuration du tissu hospitalier qui vise à réduire le parc hospitalier et donc à rendre efficient celui-ci, mais avec des méthodes divergentes :

• une régionalisation des dépenses hospitalières en Allemagne et un pilotage au niveau des Länder par les caisses d’assurance maladie qui négocient les budgets des hôpitaux versus une déclinaison de l’Ondam en France au niveau régional appliqué par le bras armé de l’État, l’Agence régionale de santé ;

• un mécanisme de financement basé sur l’activité dans les deux pays, étendu à la psychiatrie en Allemagne, mais avec des tarifs identiques quel que soit le secteur en Allemagne, ne prenant pas en compte l’amortissement, les investissements étant financés directement par les Länder. Et une négociation et donc une fixation des tarifs entièrement régionalisée, dégressifs en fonction des volumes.

DES MÉDECINS PLUS ENCADRÉS MAIS MIEUX PAYÉS EN ALLEMAGNE

À l’instar des établissements de santé, les négociations entre les professionnels de santé et l’assurance maladie sont décentralisées au niveau des Länder, qui fixent des volumes d’activités encadrés par des enveloppes définies en fonction de la population et de la morbidité. Il en découle une rémunération des professionnels libéraux bien supérieure en Allemagne, dans un système de tiers payant entièrement généralisé et avec l’absence de dépassements d’honoraires. Autrement dit, l’inverse de la France.

CONCLUSION

Au moment où le Parlement s’apprête à voter une nouvelle loi portant modernisation du système de santé, il serait peut-être opportun de s’inspirer du modèle allemand, équilibré financièrement avec pourtant une population mieux couverte et des professionnels mieux rémunérés, dans un système entièrement régionalisé responsabilisant les partenaires sociaux et l’assurance maladie. Finalement, un modèle d’Agence régionale de santé qui avait été évoqué en 2009 mais qui n’a pas été retenu.

POUR EN SAVOIR PLUS

• Sécurité Sociale 2015 – septembre 2015, Cour des comptes – www.comptes.fr_@courdescomptes, pages 528 à 634.