Un projet régional de santé simplifié ? - Objectif Soins & Management n° 236 du 01/05/2015 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 236 du 01/05/2015

 

Économie de la santé

Didier Jaffre  

Les projets régionaux de santé, simplifiés et assouplis, viennent d’être adoptés en première lecture par l’Assemblée nationale. Seront-ils un instrument de planification au service du décloisonnement de la santé, donc de l’amélioration de la prise en charge des parcours des usagers ?

La planification consiste en une élaboration de normes ou de programmes destinés à orienter, par des mesures incitatives ou impératives, l’action d’opérateurs œuvrant dans un domaine déterminé ; mais également en une définition des objectifs à atteindre au cours d’une période de référence et des moyens nécessaires à leur réalisation (enveloppes financières limitatives). Depuis 1970, de nombreux instruments de planification ont été définis, puis abandonnés, chaque fois au profit d’un nouvel instrument censé mieux répondre aux besoins de la population.

L’ARTICLE 38 DU PROJET DE LOI DE SANTÉ

L’article 38 du projet de loi de modernisation du système de santé tel que l’Assemblée nationale l’a adopté en première lecture simplifie et assouplit les projets régionaux de santé (PRS), instrument de la planification en santé à la main des Agences régionales de santé (ARS) depuis la loi HPST de juillet 2009.

Définition

Le PRS intègre désormais un cadre d’orientation stratégique à dix ans ; les schémas régionaux de prévention (SRP), d’organisation des soins (SROS) et d’organisation médico-sociale (SROMS, premier du genre) sont supprimés et fusionnés dans un unique schéma régional de santé fixé pour cinq ans. Le PRS définit, en cohérence avec la stratégie nationale de santé et dans le respect des lois de financement de la Sécurité sociale, les objectifs pluriannuels de l’ARS dans ses domaines de compétences, ainsi que les mesures tendant à les atteindre.

Le schéma régional de santé s’établit sur la base d’une évaluation des besoins sociaux et médico-sociaux, des prévisions d’évolution sur l’ensemble de l’offre de soins et de services de santé, incluant la prévention et la promotion de la santé ainsi que l’accompagnement médico-social, et définissant des objectifs opérationnels.

Ces objectifs pourront être mis en œuvre par des contrats territoriaux de santé, des contrats territoriaux en santé mentale ou par des contrats locaux de santé.

Attentes

Ainsi, après la carte sanitaire, puis le SROS (schéma régional d’organisation sanitaire avant la loi HPST, à ne pas confondre avec le SROS, schéma régional d’organisation des soins depuis 2009 !), puis le PRS première génération, ce nouveau PRS de deuxième génération (et certainement pas le dernier) sera-t-il un instrument de planification au service du décloisonnement de la santé et donc de l’amélioration de la prise en charge des parcours des usagers au sein du système de santé ?

DE LA CARTE SANITAIRE AU SCHÉMA RÉGIONAL D’ORGANISATION SANITAIRE

L’année 1970 marque la naissance du premier instrument de planification en santé : la carte sanitaire.

La carte sanitaire

Instrument purement quantitatif, elle avait pour objectif de contenir le développement de l’offre hospitalière sur la base d’un calcul théorique des besoins de la population d’une zone donnée en termes de lits hospitaliers sous la forme d’un indice lit-population.

Trente-quatre ans plus tard, force a été de constater qu’elle avait imparfaitement rempli son objectif, vu les excédents de capacités en lits. Par ailleurs, elle était fondée sur le critère de lit devenu obsolète au fil du temps et ayant cédé sa place à celui de plateau technique, caractérisant plus l’activité d’un établissement de santé.

Enfin, si la carte sanitaire essayait de définir le volume d’offre de soins nécessaires pour répondre aux besoins de la population, elle n’indiquait en rien la répartition géographique de cette offre, facteur pourtant nécessaire pour apprécier la satisfaction des besoins de la population. Le seul aspect géographique pris en compte résidait dans la définition du secteur sanitaire, découpage lui aussi largement remis en cause car ne reposant sur aucune réalité géographique. Mais il faudra attendre 2004 pour que la carte sanitaire disparaisse au profit du SROS, pourtant instauré quant à lui dès 1991.

Le Sros

Créé par la loi portant réforme du système de santé en 1991, le SROS (schéma régional d’organisation sanitaire puis schéma régional d’organisation des soins depuis 2009) a pour objet de répondre au principal reproche adressé à la carte sanitaire, son manque d’analyse sur la répartition de l’offre de soins sur le territoire en fonction des besoins de la population. Le SROS fixe des objectifs en vue d’améliorer la qualité, l’accessibilité et l’efficience de l’organisation sanitaire.

Établi dans chaque région, il vise à susciter les adaptations nécessaires et les complémentarités de l’offre de soins, ainsi que les coopérations entre les établissements de santé. Il détermine l’organisation territoriale des moyens qui permettra de répondre aux objectifs, avec une annexe déterminant par secteur sanitaire (puis par territoire de soins après 2004) les créations, regroupements, transformations ou suppression des installations et unités nécessaires à sa réalisation.

À l’instrument quantitatif qu’était la carte sanitaire, s’est substitué un instrument qualitatif, le SROS. Trois générations de SROS se sont succédé : les premiers arrêtés par les Drass (Directions régionales des affaires sanitaires et sociales) en 1994 étaient une simple répartition géographique des moyens établis par la carte sanitaire, les deuxièmes élaborés par les nouvelles ARH (Agences régionales de l’hospitalisation) étaient plus stratégiques en matière de coopérations hospitalières, les troisièmes ont tenté l’ouverture sur la médecine de ville.

Mais les SROS avaient atteint leur principale limite : celle de ne concerner que le secteur hospitalier.

HPST ET LA CONSÉCRATION DU PROJET RÉGIONAL DE SANTÉ

En matière de planification, la loi HPST du 21 juillet 2009, en créant des ARS compétentes sur l’ensemble des champs prévention, soins et médico-social, a établi un nouvel outil de planification sanitaire : le PRS.

Fonctionnement

L’ARS doit élaborer un PRS qui définit pour cinq ans les objectifs et les priorités de santé pour la région visant à améliorer la santé de la population en réduisant les inégalités de santé, et l’efficience du système de santé régional dans le respect de l’Objectif national de dépenses d’Assurance maladie (Ondam). Il définit ses priorités pour cinq ans ; il couvre tous les secteurs de la prévention, de l’organisation des soins hospitaliers et ambulatoires, de l’organisation médico-sociale ; il développe une vision transversale de ces secteurs en cohérence avec le parcours de vie des personnes ; il est articulé avec les autres politiques de santé des autres acteurs. L’ensemble des ARS ont arrêté leur PRS en 2012 ; ceux-ci viendront donc à échéance en 2017.

Le projet régional de santé définit-il les grandes lignes des ARS ?

Le PRS donne les grandes lignes de la politique de l’ARS, qui seront ensuite déclinées dans les trois schémas. Il comporte :

• une évaluation des besoins de santé et leur évolution (démographie, état de santé de la population, inégalités sociales et territoriales de santé) : Observatoire régional de la santé (ORS), Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) ;

• une analyse de l’offre et son évolution prévisible : SROS, études CREAI (Centre régional d’études, d’actions et d’informations), PRIAC (Programme interdépartemental d’accompagnement des handicaps et de la perte d’autonomie) et PRSP (plan régional de santé publique) ;

• des objectifs en matière de prévention, d’accès aux soins, de réduction des inégalités, de respect du droit des usagers ;

• des mesures de coordination avec les autres politiques ;

• un suivi et une évaluation de sa mise en œuvre.

La mise en œuvre du PRS restait cependant un vrai défi. Elle supposait la coordination étroite d’acteurs qui se connaissaient mal et faisaient face à des situations souvent complexes. Ce n’était que le début de “nouvelles façons de faire” qui demandent plusieurs années pour faire évoluer les mentalités, les logiques, les structures et les formations des personnels.

Et cinq ans après, la logique des trois schémas n’a pas permis de faciliter le décloisonnement tant attendu des secteurs de santé. D’où la réforme engagée du PRS.

LE FUTUR NOUVEAU PRS : TRANSVERSALITÉ ET SIMPLIFICATION ?

Force est de constater, comme le fait le gouvernement, que le système de planification mis en place en 2009 a entraîné une lourdeur administrative au détriment de l’efficacité des politiques et des actions conduites par les ARS. Le système actuel de planification de l’offre sanitaire et médico-sociale articule au sein des PRS un plan stratégique régional de santé (PSRS), trois schémas sectoriaux (SRP, SROS, SROMS) et des programmes de mise en œuvre.

Les raisons du changement

« Cette organisation, qui visait à couvrir tous les champs de l’action sociale et médico-sociale entre lesquels il existe une évidente continuité, est devenue, avec le temps, complexe et difficile à coordonner. L’existence de documents cloisonnant les actions dans chacun des domaines diminue bien souvent la dimension stratégique de l’ensemble, c’est-à-dire coordonnée et de long terme, visant des objectifs précis, qui serait pourtant nécessaire. De surcroît, la conception de ces documents, leur adoption, mais également leur suivi, conduit systématiquement à des charges importantes liées à la multiplication des consultations et travaux d’adaptation. Cette situation est d’autant plus problématique que, bien souvent, ces procédures parallèles mobilisent des acteurs similaires. De surcroît, toute modification suppose un processus relativement contraignant. »

Dans son rapport annuel sur l’exécution des lois de financement de la Sécurité sociale pour 2014, la Cour des comptes a corroboré ce constat plaidant pour une simplification des conditions d’élaboration des PRS ainsi que de leur structure. La Cour a en effet mis en lumière l’existence de procédures d’élaboration trop lourdes et complexes. Les PRS sont des documents trop volumineux comportant généralement plusieurs centaines d’objectifs insuffisamment hiérarchisés et peu ou pas articulés avec l’Ondam. Quelques années seulement après leur adoption, la Cour constate ainsi l’échec relatif des PRS : ils n’ont pas permis de mettre en place une action sanitaire véritablement cohérente au niveau des régions.

« Par conséquent, réformer les PRS, c’est tout d’abord réaffirmer et renforcer leur caractère stratégique, ce qui suppose de définir ces documents en conformité avec la Stratégie nationale de santé. Il convient en outre, pour la mise en œuvre du PRS, de mettre fin à l’approche segmentée de la planification régionale, ce qui se traduirait par l’adoption d’un document unique rassemblant l’ensemble des éléments de pilotage et de gestion actuellement couverts par les SROS, les SROMS et les schémas régionaux de prévention. La fusion de ces documents permettrait mécaniquement de développer une approche transversale et de faciliter les parcours de santé. »

Les attentes de l’article 38

Ainsi l’article 38 vise à rendre le PRS plus stratégique fixant les grandes orientations à dix ans et établir un schéma régional de santé pour cinq ans mettant fin à la sectorisation.

CONCLUSION

La réforme des PRS semble aller dans le sens d’une meilleure prise en compte de l’approche du parcours des malades, en supprimant les schémas sectoriels, contraires justement à une logique décloisonnée. Toutefois, les futurs schémas régionaux de santé seront-ils assez innovants pour fixer des objectifs en matière de prise en charge de population et non plus en termes d’activités de soins ou de prévention ? Autrement dit, passera-t-on enfin d’une logique de l’offre à une logique populationnellen ? Rien n’est moins certain si on lit entre les lignes de l’article 38. Car cette logique de “contrainte” sur l’offre est encore très prégnante. Or l’important n’est pas tant de planifier l’offre, mais bien d’anticiper les besoins pour mieux y répondre. Peut-être que les PRS de troisième génération y parviendront-ils, après cinquante ans d’échec d’une planification institutionnelle au détriment d’une logique populationnelle. Le PRS est mort, vive le PRS !

NOUVEAU PRS (ARTICLE 38 DU PROJET DE LOI DE SANTÉ)

Le PRS définit, en cohérence avec la stratégie nationale de santé et dans le respect des lois de financement de la Sécurité sociale, les objectifs pluriannuels de l’ARS dans ses domaines de compétences, ainsi que les mesures tendant à les atteindre.

→ LE PROJET RÉGIONAL DE SANTÉ

> Il est constitué d’un cadre d’orientation stratégique qui détermine des objectifs généraux et les résultats attendus à dix ans.

> Il est constitué d’un schéma régional de santé, établi pour cinq ans, établissant des prévisions d’évolution sur l’ensemble de l’offre de soins et de services de santé, incluant la prévention et la promotion de la santé ainsi que l’accompagnement médico-social, et définissant des objectifs opérationnels, mis en œuvre par des contrats territoriaux de santé.

→ LE SCHÉMA RÉGIONAL DE SANTÉ

> Indique les besoins en implantations pour l’exercice des soins de premier recours et de soins de second recours.

> Fixe pour chaque zone “territoire de démocratie sanitaire”, les objectifs de l’offre de soins par activités de soins et équipements matériels lourds, les créations et suppressions d’implantations ainsi que les transformations, regroupements et coopérations entre les établissements de santé.

> Fixe les objectifs de l’offre des établissements et services médico-sociaux.

> Définit l’offre d’examens de biologie médicale en fonction des besoins de la population.

Les autorisations accordées par le directeur général de l’ARS sont compatibles avec les objectifs fixés ci-dessus. Pour les établissements et services médico-sociaux, ce schéma régional de santé est établi et actualisé en cohérence avec les schémas départementaux d’organisation sociale et médico-sociale relatifs aux personnes en situation de handicap ou en perte d’autonomie arrêtés par les conseils généraux de la région. Le directeur général de l’ARS détermine par arrêté les zones caractérisées par une offre de soins insuffisante ou des difficultés dans l’accèsaux soins et les zones dans lesquelles le niveau de l’offre de soins est particulièrement élevé. Dans ces zones sont mises en œuvre les mesures destinées à favoriser une meilleure répartition géographique des professionnels de santé, des maisons de santé, des pôles et des centres de santé. L’illégalité pour vice de forme ou de procédure du PRS et de ses composantes ne peut être invoquée par voie d’exception après l’expiration d’un délai de six mois à compter de la prise d’effet du document concerné.

→ DÉCRET EN CONSEIL D’ÉTAT : CONDITIONS D’APPLICATION

> Les règles d’adoption et les consultations préalables du PRS permettent notamment son articulation avec les autres documents de planification propres à l’ensemble des politiques publiques.

> Les conditions dans lesquelles des activités et équipements particuliers peuvent faire l’objet d’un schéma interrégional de santé ou d’un schéma régional de santé spécifique.

> Les modalités selon lesquelles sont prévues par convention la participation des organismes et services d’Assurance maladie à la définition et à la mise en œuvre du PRS ainsi que la coordination des actions prévues par les conventions d’objectifs et de gestion.

> Les conditions dans lesquelles les directeurs généraux des agences régionales de santé déterminent les zones “territoires de démocratie sanitaire”.

LES TROIS SCHÉMAS RÉGIONAUX

Organisation des soins

• Prévoit et suscite les évolutions de l’offre de soins afin de répondre aux besoins de santé de la population et aux exigences d’efficacité et d’accessibilité géographique.

• Précise les adaptations et les complémentarités de l’offre de soins, ainsi que les coopérations.

• Prend en compte également les difficultés de déplacement des populations, ainsi que les exigences en matière de transports sanitaires, liées en particulier aux situations d’urgence.

Organisation médico-sociale

• Prévoit et suscite les évolutions nécessaires de l’offre des établissements et services médico-sociaux pour répondre aux besoinsde prise en charge et d’accompagnements médico-sociaux des personnes en situation de handicap ou de perte d’autonomie.

• Veille à l’articulation de l’offre sanitaire et médico-sociale.

• Précise les modalités de coopération des acteurs de l’offre sanitaire, sociale et médico-sociale.

Schéma régional de prévention

• Précise les dispositions relatives à la prévention, à la promotion de la santé, à la santé environnementale et à la sécurité sanitaire.

• Organise, dans le domaine de la santé des personnes, l’observation des risques émergents et les modalités de gestion des événements proteurs d’un risque sanitaire.