Recherche Formation
La mise en place de partenariats internationaux de formations et de recherches, entre certaines universités françaises et québécoises, comme la Faculté des sciences infirmières de l’Université de Montréal, constitue l’opportunité d’une rencontre et d’une mise en perspective de la formation initiale en soins infirmiers ainsi que de la recherche en lien avec la formation infirmière. Regards croisés franco-québécois sur la discipline des sciences infirmières, qui, au Québec, est instituée dès l’ouverture d’une formation initiale universitaire en 1962 et qui émerge en France à la suite du processus d’universitarisation enclenché en 2009.
La France entretient avec le Québec des « relations directes et privilégiées »
Au Québec cohabitent deux formations menant à la profession d’infirmière, une collégiale (Diplôme d’études collégiales ou DEC) et une autre universitaire (Baccalauréat : traduction littérale de l’anglais bachelor, l’équivalent à une licence universitaire). Cette dichotomie trouve une causalité historique. Les années 1960 québécoises ont été marquées par la “Révolution tranquille” qui a amené le pays à réformer et laïciser son système d’éducation. Un ministère de l’Éducation a été créé ainsi que les Cégep (Collèges d’enseignement général et professionnel) en 1967. Situés entre les niveaux d’études secondaires et l’université, les Cégep font coexister l’enseignement pré-universitaire et l’enseignement technique, qui prépare directement au marché du travail. À la fin des années 1960, le Québec a cherché des métiers pour développer les formations au sein des Cégep et une formation technique de trois ans a été implantée sous la direction du ministère de l’Éducation. Aujourd’hui, malgré une demande réitérée de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ) en juin 2012 au gouvernement du Québec de rendre obligatoire l’obtention d’un baccalauréat en sciences infirmières avant d’accéder à la profession, les deux filières de formation initiale précitées demeurent. En pratique, se côtoient aujourd’hui deux types d’infirmières, les infirmières et les infirmières cliniciennes. L’une ou l’autre « évalue l’état de santé de la personne, détermine et assure la réalisation du plan de soins et de traitements infirmiers et prodigue des soins et des traitements infirmiers et médicaux »
Le niveau de responsabilités d’une infirmière clinicienne ayant réalisé une formation universitaire est donc le plus élevé. L’infirmière clinicienne qui a complété le premier cycle universitaire québécois peut également obtenir un poste de conseillère en soins infirmiers. Celle-ci, en plus de prodiguer les mêmes catégories de soins que l’infirmière clinicienne, peut conseiller les équipes de soins infirmiers, ou encore partager la responsabilité « des programmes d’orientation, de formation et de mise à jour des connaissances du personnel infirmier et des stagiaires en soins infirmiers »
Au Québec, la formation de premier cycle universitaire se déroule au sein de facultés ou d’écoles universitaires de sciences infirmières. L’équipe universitaire bénéficie d’une grande autonomie, il est possible d’élaborer un référentiel de compétences propre à chaque programme, tout en respectant le cadre légal de la profession. Il est aussi possible de choisir les repères conceptuels et théoriques enseignés pour guider la pratique infirmière des futurs professionnels. Le modèle humaniste des soins infirmiers de l’Université de Montréal (FSI, UdeM, 2013) ou le modèle du Human caring de Watson
En France, les universités se trouvent au carrefour de deux finalités : « Formation des esprits ou/et intégration politico-économique des citoyens. »
Actuellement, l’approche par compétences(
En France, le programme de formation initiale infirmier actuel, initié en 2009, est basé sur un référentiel de dix compétences. « Le référentiel de formation des infirmiers a pour objet de professionnaliser le parcours de l’étudiant, lequel construit progressivement les éléments de sa compétence à travers l’acquisition de savoirs et savoir-faire, attitudes et comportements. »
Deux risques sont présents. Le premier est l’inadéquation possible d’un dispositif se voulant professionnalisant et centré sur l’apprenant, alors que le référentiel de compétences se présente comme une prescription d’objectifs à atteindre (pédagogie par objectifs). En effet, les travaux de conceptions des référentiels sont encore trop souvent guidés par « un raisonnement implicite faisant comme si les compétences existaient en soi, indépendamment des porteurs des compétences »
En France, les premiers bilans(
Au Québec, notamment à la Faculté des sciences infirières de Montréal (UdeM), depuis 2004, tous les enseignements des connaissances essentielles, par exemple de physiologie, de pathologie, de pharmacologie, sont intégrés dans l’étude de situations infirmières cliniques. En formation de 1er cycle infirmière à l’UdeM, il y a un centrage sur l’étudiant et le développement de ses compétences infirmières. Le dispositif met en œuvre trois contextes d’apprentissage
En France, la question des outils et interfaces pédagogiques, notamment le recours aux DVD et à la visioconférence, constitue une réelle question vive liée au processus d’universitarisation, comme l’ont montré plusieurs enquêtes(
Au Québec, par exemple à la Faculté des sciences infirmières de Montréal, tous les professeurs utilisent l’environnement numérique universitaire (StudiUM) pour échanger des informations (plan de cours, articles à lire, réponses aux questions, dépôt de travaux, etc.) avec les étudiants de leurs cours. Depuis 2014, un e-portfolio est aussi utilisé pour l’ensemble du programme de baccalauréat. D’une part, il n’existe plus de cours magistraux et donc la question de la disponibilité ou de la proximité des enseignants ne se pose pas, d’autre part, l’interface numérique est pertinente à une formation où les « étudiants sont ceux de la génération Y, l’une de leurs caractéristiques, est d’avoir grandi avec Internet et, pour la plupart d’entre eux, de s’être retrouvé avec un ordinateur dans les mains »
Au Québec, dans les facultés des sciences infirmières, le corps professoral est formé de titulaires d’un doctorat (ou Ph D pour Philosophiæ doctor), principalement en sciences infirmières. Il se trouve également des enseignants (professeurs de formation pratique, chargés de cours, tuteurs, coordonnatrices de stages et responsables de formation en laboratoire) qui sont titulaires d’une maîtrise en sciences infirmières (équivalent du master 2 français), qui ont une activité courante et une expertise clinique importante pour l’enseignement en 1er cycle. Il y a un travail d’équipe entre tous ces formateurs, c’est une richesse. Les Ph D partagent leur temps entre 40 % dédiés à l’enseignement, 40 % à la recherche et 20 % au rayonnement des sciences infirmières. Ce qui caractérise la spécificité de la posture des formateurs, c’est véritablement de choisir les contenus ou connaissances essentielles et les activités qui vont faciliter le développement de compétences des étudiants. L’équipe pédagogique se situe dans l’organisation pour préparer l’environnement, le contexte d’apprentissage de l’étudiant. Par la suite, une fois que le contexte est préparé, l’étudiant est un participant actif dans son apprentissage. Les formateurs sont des accompagnants de l’apprentissage du développement de compétences. Ils posent des questions pour faire en sorte d’amener une pratique réflexive chez l’étudiant.
En France, le contexte socio-professionnel et l’universitarisation sont deux composantes qui viennent mettre en question l’évolution de la fonction de formateur en Ifsi. En effet, une étude démographique prospective à l’horizon 2015 énonce qu’en ce qui concerne les départs en retraite pour les filières des services de soins, « le volume annuel double à partir de 2010 : 20 940 départs en 2012 contre 10 794 en 2001 […] Infirmiers : quelle que soit la spécialité, un agent sur deux part à la retraite d’ici 2015 »
La formation initiale infirmière en France est désormais axée sur de grandes familles de situations de soins, dites situations emblématiques, permettant aux étudiants d’acquérir les savoirs d’action nécessaires pour la pratique. S’ajoute l’analyse des situations de soins que l’étudiant rencontre en stage et qui vient contribuer à l’approche réflexive. Cette analyse des pratiques de soins requiert la supervision de formateurs praticiens expérimentés. « Ces derniers sont supposés transmettre, à cette occasion, une expérience et une culture professionnelle, à travers les analyses et conceptualisations des activités en cours. »
Les infirmières, en développant leur champ disciplinaire, visent à renforcer la contribution des soins infirmiers à la santé des personnes et des populations, et la reconnaissance de cette spécificité. En France, les infirmiers (ières), grâce à la réforme de leur programme d’étude en 1972, adoptent une prise en soin globale du patient centrée, non plus sur la maladie, mais sur la personne en tant qu’entité vivante sujet et non objet de soins. Dans la même décennie, un pas sans précédent vers l’autonomisation de la profession est marqué avec la loi du 31 mai 1978, le législateur reconnaissant le rôle propre de l’infirmière. Cette dynamique se renforce aujourd’hui avec le processus d’universitarisation de la formation initiale, car « l’université constitue par définition le lieu de diffusion et de production du savoir. En ce sens, il s’agit d’une occasion sans précédent pour les infirmières d’affirmer et de développer leur objet et leur champ de connaissances et de pratiques »
Près d’un million de personnes en France ont une profession dite “paramédicale”, et le secteur regroupe une quinzaine de métiers phares. Un récent rapport de l’Igas a recommandé d’entreprendre des travaux de réingénierie pour passer d’une approche profession par profession à une approche transversale « indispensable pour développer une culture commune et faciliter les pratiques interdisciplinaires. De plus, elle devrait permettre d’organiser des enseignements communs à plusieurs professions, piste d’amélioration de la qualité de la formation, tout en réduisant les coûts »
Cependant, dans le cadre d’un concours organisé par Santé Canada, qui souhaitait valoriser la collaboration interprofessionnelle centrée sur le patient, les facultés de sciences infirmières, de médecine et de pharmacie de l’Université de Montréal ont contribué au développement de cours communs (3x1 crédit) dans les divers cursus qui ont le même sigle dans les divers programmes. Ces cours réunissent les étudiants des différentes facultés autour de situations cliniques. Il y a une discussion sur le rôle et l’identité de chacun, puis les participants échangent sur ce qu’ils peuvent apporter à la situation avant de passer à la pratique. En France comme au Québec, l’objectif en tant que professionnels infirmiers est d’être capable de travailler dans une complémentarité entre professionnels, pas dans une hiérarchie
Sur le plan international, la formation universitaire en sciences infirmières et la recherche qui s’y pratique existent institutionnellement depuis une centaine d’années. « L’une des caractéristiques essentielles des soins infirmiers professionnels est que leur pratique est basée sur les résultats de la recherche scientifique. La recherche en soins infirmiers, dans ses aspects qualitatifs et quantitatifs, est essentielle pour la qualité et la rentabilité des soins de santé. »
La France et le Québec, avec un départ décalé d’une cinquantaine d’années, sont lancés dans le développement de la recherche en sciences infirmières. Au Québec a été constatée une faible production de recherches axées sur la formation, les recherches portant principalement sur les aspects cliniques ses soins infirmiers. Dans ce domaine, le CIFI fait donc office de précurseur.
En France, avec la création en septembre 2009 du Programme hospitalier de recherche infirmière (PHRI), devenu ensuite Programme hospitalier de recherche paramédicale (PHRIP), il est constaté que les projets s’appuient très majoritairement sur des méthodes de recherches expérimentales, centrés sur les milieux de soins et l’aspect clinique de la pratique infirmière et donc peu de recherches semblent s’intéresser à ce qui se joue en formation. Par ailleurs, nous avons souligné que la mise en question du statut des formateurs constitue une question vive. « Si les formations paramédicales entrent à l’université, faudra-t-il continuer à être cadre de santé pour être formateur ? », a demandé Michèle Lenoir Salfati
À partir des années 1980, grâce notamment à l’avènement des sciences environnementales, le concept de santé s’est développé en privilégiant de plus en plus les aspects de confort et de qualité de vie. « Il semble que la profession infirmière ait pris conscience de cette opportunité pour affirmer son rôle spécifique et la plus-value qu’elle apporte par rapport aux médecins. »
Ce vers quoi la profession tend, c’est un équilibre soins infirmiers dispensés dans des établissements de santé ultraspécialisés et des soins auprès de diverses clientèles dans différents milieux extrahospitaliers ; avec des pratiques différentes, complémentaires. Il y aura donc potentiellement de plus en plus d’opportunités de recherches, notamment pour optimiser la formation en sciences infirmières en adéquation avec les évolutions sociétales, optique nécessitant définitivement de développer un espace international scientifique infirmier de partage et de diffusion des connaissances. C’est dans cette optique collaborative que le présent article a été co-écrit entre chercheurs québécois et français.
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→ CURSUS INITIAUX QUÉBÉCOIS
• Programme collégial. Lieu : Collège d’enseignement général et professionnel (Cégep). Durée du programme : 3 ans. Durée totale du cursus : 14 ans. Diplôme obtenu : Diplôme d’études collégiales (DEC). Titre : infirmière. Salaire annuel au 1er avril 2014 : de 41 600 $ à 66 400 $.
• Programme universitaire. Lieu : Université : Faculté ou École de sciences infirmières. Durée du programme : 3 ans. Durée totale du cursus : 16 ans. Diplôme obtenu : Baccalauréat en sciences infirmières. Titre : infirmière clinicienne ou conseillère en soins infirmiers. Salaire annuel au 1er avril 2014 : de 42 400 $ à 80 900 $ pour les infirmières cliniciennes et de 43 400 $ à 82 100 $ pour les conseillères en soins infinfirmiers.
→ CURSUS INITIAL FRANÇAIS
• Programme en partenariat universitaire. Lieu : Institut de formation en soins infirmiers. Durée du programme : 3 ans. Durée totale du cursus : 16 ans. Diplôme obtenu : Diplôme d’État infirmier/grade licence. Titre : Infirmière. Salaire annuel au 1er avril 2014 : de 1 842,86 € à 2 690,20 €
* Arrêté du 29 septembre 2010 fixant l’échelonnement indiciaire du corps d’infirmiers en soins généraux et spécialisés de la fonction publique hospitalière.