Dispositifs médicaux : un vaste champ de produits à surveiller - Objectif Soins & Management n° 236 du 01/05/2015 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 236 du 01/05/2015

 

Qualité Gestion des risques

Anne-Lise Favier  

Certains scandales sanitaires l’ont mise en avant : la matériovigilance veille sur les dispositifs médicaux et les possibles incidents relatifs à leur utilisation. Placée sous la responsabilité de l’Agence nationale de sécurité du médicament et de produits de santé, elle dispose au niveau local de correspondants qui remontent les informations chaque fois que nécessaire, permettant ainsi une mise en place d’actions correctrices, le cas échéant.

Élément essentiel dans le système de sécurité sanitaire depuis 1996, la matériovigilance veille sur les incidents liés à l’utilisation des dispositifs médicaux, ces derniers pouvant aller de la compresse à la prothèse, en passant par l’implant mammaire ou le lit médical, mais aussi les bas de contention et les appareils d’imagerie ; le champ de la matériovigilance est donc très large, même si certains dispositifs tels que ceux destinés au diagnostic in vitro n’entrent pas dans ce champ de compétences (ils relèvent de la réactovigilance).

PROCÉDURES DE CONFORMITÉ

C’est l’Agence nationale de sécurité du médicament et de produits de santé (ANSM) qui est en charge de cette matériovigilance depuis 1998. Pour autant, la mise sur le marché des dispositifs médicaux dépend d’un marquage CE, réalisé sous la responsabilité du fabricant du dispositif médical et sous contrôle d’organismes extérieurs, ce marquage étant un indicateur de la conformité aux exigences essentielles de santé et de sécurité fixées par les directives européennes.

C’est donc en aval de ces procédures de conformité qu’intervient l’ANSM pour surveiller le marché, c’est-à-dire s’assurer de la conformité aux exigences de santé et de sécurité des dispositifs. C’est donc elle qui est en charge de recenser les incidents graves liés à l’utilisation de tel ou tel dispositif et surtout d’apporter, si besoin, la correction nécessaire.

Risque potentiel ou incident avéré ?

C’est selon le Code de santé publique un incident (ou risque d’incident) qui « met en cause un dispositif ayant entraîné ou susceptible d’entrainer la mort ou une dégradation grave de l’état de santé d’un patient, d’un utilisateur ou d’un tiers ». La loi ne fait donc pas la distinction entre incident avéré et risque potentiel.

Alerte

Dans ces deux cas, il convient d’alerter l’ANSM : 75 % des déclarations proviennent des établissements de santé via le correspondant de matériovigilance qui est le référent sur ce type de problématique. Parfois, le chirurgien qui utilise un dispositif médical (DM) particulier et qui constate une avarie peut aussi faire un signalement – ce fut notamment le cas pour les prothèses PIP (cf. encadré p.40).

SUR LE TERRAIN

Au niveau local

Dans les établissements de santé, c’est le correspondant de matériovigilance qui est en charge de cette pratique : c’est à lui qu’incombe l’évaluation des incidents afin de statuer sur leur gravité (ou non) et donc sur leur signalement et éventuellement leur communication. En lien avec l’ANSM, il communique également avec les correspondants de pharmacovigilance (DM destinés à l’administration d’un médicament ou contenant un médicament, comme l’implant contraceptif) et d’hémovigilance (pour les DM utilisés dans la collecte, la fabrication ou l’administration de produits dérivés du sang) mais aussi avec l’Agence de biomédecine pour tout ce qui concerne les DM utilisés dans la collecte, la préparation, la conservation d’éléments et produits du corps humain.

Les textes en vigueur

Ils classent les signalements en deux catégories :

• ceux qui doivent obligatoirement faire l’objet d’un signalement et ceux qui sont facultatifs, notamment ceux ayant entraîné une réaction nocive et non voulue lors de l’utilisation du DM – conformément ou non conformément à sa destination première ;

• mais aussi tout dysfonctionnement ou altération des performances d’un DM ou une notice insuffisamment complétée.

Quatre niveaux de procédure

En outre, quatre niveaux de procédure peuvent être définis en matière de matériovigilance :

• un niveau “spécifique” pour des incidents connus et répertoriés sur des DM particuliers (agrafeuses chirurgicales, fils de suture, prothèses mammaires, etc.),

• et trois niveaux de criticité, mineur, majeur et critique – chacun requiert une procédure différente dans le suivi et la prise de décision. Les incidents mineurs, par exemple, ne nécessitent aucune information complémentaire de la part du fabricant : il peut s’agir, par exemple, selon l’ANSM, de la découverte d’un cheveu dans l’emballage non ouvert d’une sonde vésicale qui ne conduira à aucune mesure particulière.

SIGNALEMENT ET CRITICITÉ

Les incidents majeurs conduisent systématiquement à des investigations, suivies ou non de mesures correctives : cela peut être une rupture de cathéter avec migration du fragment dans les branches de l’artère pulmonaire. Dans cet exemple, une demande d’investigation est faite au fabricant qui a alors démontré que l’incident est lié à la technique de pose du DM et non pas au matériel : il n’y a donc pas de mesure de rappel. Dans le cas où le matériel est incriminé, un rappel de matériel est effectué, les sociétés savantes et les associations de patients relayant les recommandations de l’ANSM. Dans les cas critiques, une évaluation immédiate est entreprise pour d’éventuelles mesures conservatoires, que ce soit au plan local ou national.

Le cas d’un obturateur de cathéter présentant une porosité

Cas concret, celui d’un obturateur de cathéter utilisé en dialyse qui présentait une porosité entraînant une entrée d’air dans les branches du cathéter, et provoquant un malaise grave chez un patient après dialyse.

Après investigation, le fabricant a fait mener une expertise indépendante qui n’a pas montré de problème de conception. Cependant, il a tout de même diffusé un courrier aux sites utilisateurs du produit et modifié sa notice d’utilisation.

Le cas des prothèses PIP

Le cas des prothèses PIP (cf. encadré ci-dessous) montre qu’en matière de matériovigilance, l’enquête peut aller loin, même si le système reste imparfait, puisque le DM peut arriver sur le marché via un marquage CE délivré par un organisme extérieur (mais normalement compétent) et rester sur le marché malgré des alertes successives. D’autres cas de prothèses (de hanche notamment) disponibles sur le marché et non conformes aux normes CE viennent allonger la petite liste de couacs rencontrés en matière de matériovigilance.

Le CTMRV

Créé en 2013 pour une durée de six ans (membres renouvelables tous les trois ans), le Comité technique de matériovigilance et de réactovigilance (CTMRV) est constitué des correspondants locaux de matériovigilances des CHU (au nombre de 24) qui sont les référents régionaux de la matériovigilance. Ce comité veille à la qualité du système de surveillance et forme les intervenants de la matériovigilance. C’est également lui qui propose la stratégie de surveillance des DM et des dispositifs de diagnostic in vitro (qui dépendant, quant à eux, de la réactovigilance) et participe à la veille sur le sujet. Chaque information sur des faits marquants survenus en région peuvent ainsi remonter jusqu’au comité grâce à cette organisation.

À SAVOIR

• En matière de réglementation, la matériovigilance est fortement indexée sur les directives issues de l’Union européenne. L’ensemble de la réglementation, très évolutive, est disponible sur le site de l’ANSM via ce lien petitlien.fr/matériovigilance

PIP, itinéraire d’un scandale

Poly Implant Prothèses – PIP – a réussi à faire passer sur le marché de la santé des prothèses mammaires défaillantes, contenant, en lieu et place du silicone médical, du Baysilone, un silicone utilisé dans l’industrie du bâtiment ou avec des composants électroniques ! Non seulement la France a été touchée par cette fraude, mais aussi des pays d’Europe (Espagne, Italie, Suisse, Allemagne, Royaume-Uni, République tchèque, Belgique, Pays-Bas et Finlande) et d’Amérique du Sud (Brésil, Mexique, Colombie, Équateur, Bolivie, Chili, Argentine, Vénézuela), ce qui porte, au total, entre 400 et 500 000 femmes porteuses de prothèses PIP dans le monde ! En France, une étude réalisée a posteriori par l’ANSM montre qu’entre 2001 et juillet 2012, 3 013 femmes ont été victimes de rupture de prothèses PIP, parfois multiples (3 747 cas de rupture recensés), 1 689 d’entre elles ont subi des réactions inflammatoires, certaines patientes ayant même développé un cancer sans qu’un lien ne soit totalement établi entre les deux. Sur un ensemble de 30 000 femmes concernées par le port de prothèses, plus de 17 000 patientes se sont fait retirer des prothèses PIP à titre préventif : sur 30 000 implants retirés, 25 % étaient défectueux. Comment la société varoise PIP a-t-elle pu mettre sur le marché de tels produits ? Et pourquoi la défaillance n’a-t-elle pas été mise au jour plus rapidement ? En fait, PIP produisait de faux documents pour sa certification CE (contrôlée par un laboratoire extérieur), la seule exigée pour une mise sur le marché du dispositif médical. Dès 1997, différentes mises en garde à l’égard de ces prothèses sont produites et, en 2000, elles sont interdites aux États-Unis, la FDA (Food and Drug Administration) ayant estimé qu’elles étaient non conformes. En France, il faudra attendre 2010 et un contrôle inopiné de l’Afssaps (ancienne ANSM) pour mettre en route la machine judiciaire pour tromperie et escroquerie.