Hélène Coisne Cadre à l’institut médico-légal, une unité de soins à part entière - Objectif Soins & Management n° 235 du 01/04/2015 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 235 du 01/04/2015

 

Sur le terrain

Laure de Montalembert  

Au centre hospitalier universitaire de Nantes (Loire-Atlantique), l’institut médico-légal dispense des soins à part entière. Cadre de santé en institut médico-légal revêt plusieurs aspects, et la notion d’équipe prend ici tout son sens. Immersion au cœur des derniers soins dispensés à une personne.

Objectif Soins & Management : Comment vous êtes-vous retrouvée à exercer dans un service de médico-légal ?

Hélène Coisne : Lorsque j’ai postulé au centre hospitalier universitaire de Nantes après mon diplôme de cadre de santé, cela m’a été proposé. Au début, j’étais un peu sceptique, mais j’ai contacté une collègue rencontrée à l’institut de formation cadre qui était passée par ce type de service. Elle y avait vécu une expérience positive. C’est alors que je me suis décidée. Cela fait deux ans et demi, maintenant.

OS&M : Cela vous éloigne-t-il un peu du soin ?

Hélène Coisne : Au contraire ! Les corps qui arrivent chez nous sont avant tout des personnes. Nous sommes une unité de soins à part entière, avec nos spécificités. C’est ce que je me suis appliquée à transmettre auprès des soignants de l’équipe mais aussi des unités de soins. Le chef de service et moi avons mis en place des temps de formations, cours médicaux pour les aides-soignantes (et aussi aux autres membres de l’équipe) afin de professionnaliser leur exercice. Avec l’équipe, nous avons travaillé sur la création d’un dossier spécifique à nos différentes prises en charge. Il contient des fiches de soins sur lesquelles nous traçons les soins effectués, une check-list pour les prises en charge relevant de l’institut médico-légal qui regroupent l’ensemble des actions à effectuer de la part des aides-soignants et des adjointes afin de limiter les oublis. Un temps de transmissions orales a également été mis en place pour permettre l’échange des informations, qui fédère également l’équipe autour de la traçabilité des informations. Cela permet de valoriser le travail des aides-soignants, de s’approprier les démarches de qualité du centre hospitalier universitaire à notre niveau. Pour améliorer la démarche qualité, nous avons également dû revoir l’organisation de notre travail avec les organismes de pompes funèbres, un cadrage de leurs opérations, comme par exemple la justification du mandat de la famille avant de leur remettre les documents officiels et la prise en charge de la personne décédée.

OS&M : Vous arrive-t-il parfois de vous retrouver face à des situations complexes ?

Hélène Coisne : Parfois, comme des prises en charge très compliquées de certaines familles. Lorsque le décès est attendu, il y a déjà eu un accompagnement dans les unités de soins dans la plupart des cas. Mais lorsque c’est soudain, violent, inopiné, comme dans les cas d’accidents et de meurtres, l’accompagnement ne commence qu’ici. C’est d’autant plus violent pour les prises en charge des corps qui peuvent être très dégradés, voire putréfiés. Une violence subie aussi par l’équipe, avec laquelle nous sommes très attentifs à remettre chaque jour du sens à ce que nous faisons.

OS&M : En pratique, comment les choses s’organisent-elles pour la partie médico-légale ?

Hélène Coisne : Mon équipe est composée d’aides-soignantes. Elles assistent le médecin légiste pendant les autopsies pour les prélèvements et les incisions puis elles sont chargées de restaurer le corps de manière à ce qu’il puisse être présenté à la famille. C’est primordial pour les proches, mais c’est parfois dur. La restauration des corps est un exercice complexe pour lequel il faut donner beaucoup de temps afin d’avoir un résultat optimal. Les aides-soignants s’efforcent de travailler jusqu’à reconstituer des parties du corps avec du plâtre afin de reconstituer l’intégrité du corps. Sur les zones visibles, les aides-soignants suturent en surjets pour des raisons esthétiques. Tous ces gestes visent à rendre les choses moins brutales, à effacer au maximum les traces de blessures ou de l’autopsie. C’est un gros travail d’équipe et de collaboration avec les médecins qui ont formé les aides-soignants à cette technique. D’autant plus lorsque l’autopsie a été demandée par la justice.

OS&M : C’est là que vous parlez de soin…

Hélène Coisne : Exactement. Un jour, une aide-soignante de l’équipe m’a dit que cela l’aidait de restaurer les corps quand il y avait de grosses dégradations corporelles. Les aides-soignants sont très professionnalisés, leur travail est valorisé et important pour les familles. Prendre soin de la personne, c’est prendre soin de son corps. C’est également prendre soin de la famille qui va passer ses derniers moments avec la personne qu’elle aimait. Il faut favoriser au maximum ces moments-là. Cela dit, certains corps sont trop dégradés pour que la question de la présentation aux proches ne se pose pas. Il faut alors trouver les mots pour l’expliquer. Mais les gens font leur choix. Un jour, nous avions dans le service un homme retrouvé deux ou trois mois après son décès. Nous avons longuement discuté avec son épouse. Malgré la description de son état, elle a absolument tenu à le voir et à le toucher. Nous avons donc répondu à sa demande. Ils n’ont pas les mêmes yeux que nous. C’est avant tout un corps qu’ils ont aimé. L’accompagnement est vraiment personnalisé. Le sens du travail, du soin, doit toujours être présent.

OS&M : Comment les aides-soignants du service sont-ils formés ?

Hélène Coisne : À leur arrivée, ils ont une formation obligatoire de huit jours, portant sur le côté légal, les procédures d’hygiène, l’accompagnement des familles en deuil et le rôle de chacun au sein de l’équipe. Tout ce qui est travail de restauration et assistance du médecin légiste s’enseigne sur le terrain, en doublure avec un ou une collègue expérimenté (e) et avec l’aide du médecin légiste.

OS&M : Qu’est-ce qui les motive lorsqu’ils postulent pour entrer dans votre service ?

Hélène Coisne : C’est très variable. Cela s’inscrit dans un parcours ou dans un projet professionnel pour ceux qui souhaitent s’occuper plus tard de thanatopraxie. Ils y trouvent également un intérêt professionnel car ils seront amenés à travailler directement avec le médecin et exerceront une vraie responsabilité administrative. C’est pourquoi nous sommes extrêmement vigilants au recrutement. Après une première sélection, je reçois les candidats en entretien. J’y explique de manière très claire nos différentes activités et je suis vigilante aux motivations de venir travailler sur ce secteur. S’ensuit un stage de comparaison de deux ou trois jours durant lequel nous observons leur comportement. Puis vient le dernier entretien avec le chef de service.

OS&M : Les aides-soignants participent-ils également à l’accompagnement psychologique des familles ?

Hélène Coisne : Pleinement. Nous nous trouvons face à des situations très diverses, selon les croyances, le vécu, la culture des gens. Cela demande une grande ouverture d’esprit ainsi que beaucoup d’humanité. Pour l’accompagnement à la suite du décès d’un enfant, nous installons l’enfant dans un environnement personnalisé avec son doudou ou des peluches ou tout autre affaire. L’équipe essaie d’être à l’écoute de ses parents et de pouvoir répondre au plus près de leurs demandes. Les musulmans, quant à eux, procèdent à une toilette rituelle. Une salle leur est attribuée pour cela. Certaines familles se lancent dans des chants. Notre rôle est aussi d’essayer de composer avec tous, de comprendre ce qu’ils attendent et de leur faire comprendre que nous avons aussi des contraintes. Toute l’équipe y participe.

OS&M : D’un point de vue légal, avez-vous aussi des liens avec les forces de l’ordre ?

Hélène Coisne : Très régulièrement. Des liens très proches avec les gendarmes et les autorités judiciaires qui sont parfois les premiers interlocuteurs des familles en cas de mort violente. Ils interviennent au cours des différents examens. Et nous sommes chargés de conserver les scellés judiciaires. Pour cela, la cadre administrative de l’institut médico-légal travaille très en lien avec l’équipe pour les aider à gérer ces scellés, ce qui nécessite une rigueur autant dans la tenue du registre informatique que dans l’accomplissement des formalités administratives et judiciaires.

OS&M : Comment l’équipe gère-t-elle les moments vraiment difficiles à vivre ?

Hélène Coisne : Lors des décès d’enfants, par exemple, c’est difficile et lourd. Lorsque je sens que la prise en charge est particulièrement complexe, il m’arrive de prendre le relais avec les familles. Émotionnellement, cela renvoie à beaucoup de choses, d’autant que l’équipe est composée d’un personnel qui peut être assez jeune, qu’il s’agisse des aides-soignants ou des assistantes administratives. Ils sont nombreux à avoir des enfants eux-mêmes. Du coup, chacun est très attentif à l’autre. Si un membre de l’équipe a l’air d’aller mal, le collègue prend le relais, et ses collègues sont encouragés à m’en parler. On s’assoit alors tranquillement autour d’un café avec la personne ou l’équipe et/ou le chef de service pour discuter. Il arrive aussi que nous ayons besoin d’un regard extérieur pour prendre du recul. Nous faisons alors appel à l’équipe de psychologues du service de soins palliatifs. Il y a une grande liberté de parole entre nous mais certaines affaires nous touchent plus que d’autres.

OS&M : Quelles sont vos relations avec les autres services de l’établissement ?

Hélène Coisne : Un de nos objectifs est de resserrer les liens avec les unités de soins. La prise en charge d’une personne ne s’arrête pas au décès, elle va jusqu’aux obsèques, ou son départ du centre hospitalier universitaire.

Nous avons, par exemple, constitué un kit décès, dossier cartonné, composé d’une check-list et d’un mode opératoire, qui leur permet de connaître les différentes actions en cas de décès. Ils bénéficient également d’une fiche de liaison avec ce kit. Le but étant d’améliorer au maximum la prise en charge en cas de décès, ce qui rend les choses plus faciles pour la famille, les équipes des unités et notre service également. Sollicités par le développement professionnel continu, nous organisons également un jour de formation par an destiné aux aides-soignantes et aux infirmières sur les soins après la mort, les formalités administratives et la présentation du service. C’est sur la base du volontariat et suivi, à chaque fois, par une vingtaine de personnes. J’y participe avec une aide-soignante du service et un médecin légiste. Cela existe depuis trois ans et nous avons de bons retours. Il nous arrive également de faire des formations éclair au sein des unités lorsque nous constatons des manquements, comme un pacemaker non retiré, une trachéo non suturée ou la pose de pansements non occlusifs.

OS&M : Comment êtes-vous accueillis dans ces cas-là ?

Hélène Coisne : Certains professionnels, dont des médecins, se sentent peu concernés. Pour tout le monde, la mort, c’est difficile. Les aides-soignants doivent être pédagogues mais il leur arrive aussi d’en avoir assez de répéter mille fois les mêmes choses. C’est pourtant nécessaire.

OS&M : Vous arrive-t-il d’être confrontée à des situations de colère ou de violence ?

Hélène Coisne : Cela arrive, en effet. C’est pourquoi nous avons monté un temps de formation avec un psychiatre et l’équipe de psychologues des soins palliatifs sur le thème de la gestion des décès compliqués. Certains proches ne parviennent pas à entrer dans le deuil, ce qui les mènent à des réactions de violence verbale ou même physique à l’encontre du personnel. C’est encore trop récent pour en évaluer les effets bénéfiques. Je n’y participe pas, de manière à laisser une parole libre des aides-soignants.

OS&M : Que sont les deuils compliqués ?

Hélène Coisne : Les décès d’enfants, évidemment. Mais aussi les problématiques médico-judiciaires qui peuvent interdire aux proches l’accès au corps pendant le temps de la procédure. Lorsqu’il s’agit d’enfants, il nous arrive de contacter le procureur pour demander l’autorisation exceptionnelle de présenter le corps en présence d’un soignant. Uniquement si les parents ne sont pas soupçonnés, cela va sans dire.

OS&M : Vous parliez de relations parfois difficiles avec les entreprises mortuaires…

Hélène Coisne : Il arrive aux aides-soignants de constater des comportements et des attitudes non respectueuses de la personne. Dans ces cas, non seulement j’interpelle immédiatement le professionnel en cause, mais j’en réfère à son directeur. Nous prenons soin de ces gens en tant que personnes et il est inacceptable que d’autres ne le fassent pas ! Il a aussi fallu leur faire comprendre qu’ils n’ont pas à entrer librement dans le service. Ils ont leur zone d’intervention et s’y tiennent maintenant. Cela a engendré des tensions mais les choses se sont améliorées. Nous veillons également à ce que ces entreprises ne présentent pas des factures abusives aux familles.

OS&M : Vous avez également un mi-temps en consultations de médecine…

Hélène Coisne : Je souhaitais également continuer à m’intéresser aux problématiques liées aux vivants. Cela dit, je suis présente dans mon bureau et disponible à chaque instant pour le secteur médico-légal. Cette expérience du service mortuaire m’apporte énormément. Je ne regretterai jamais d’avoir accepté ce poste.