Escarre : coopérer pour mieux soigner - Objectif Soins & Management n° 229 du 01/10/2014 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 229 du 01/10/2014

 

Promotion de la santé

Françoise Vlaemÿnck  

Malgré des progrès constants dans les pratiques, l’escarre demeure une pathologie trop fréquente dont le retentissement sur l’étatphysique et psychique des patients peut être extrêmement sévère. Sa prise en charge appelle une coopération pluriprofessionnelle et pluridisciplinaire, car l’escarre se prévient et se soigne.

Pathologie chronique à part entière, l’escarre est « une lésion cutanée d’origine ischémique liée à une compression des tissus mous entre un plan dur et les saillies osseuses ».(1) Cette lésion, qui atteint dans la même proportion femme et homme, est courante en milieu hospitalier touche particulièrement les patients qui séjournent dans les services de gériatrie, de neurologie, de rééducation et de soins intensifs et de chirurgie. « Le rôle de la pression et de la perte de mobilité est prédominant. Cette notion souligne le fait que l’escarre vient de l’intérieur et qu’une partie des lésions n’est pas visible », comme la rappelé la première conférence de consensus dédiée au sujet en 2001.

RISQUES MAJORÉS

Mais l’escarre n’est pas qu’une “simple” plaie. Outre la souffrance physique et morale qu’elle peut engendrer – certains patients vivent cette atteinte comme une véritable humiliation –, elle peut également entraîner une perte ou une limitation de l’autonomie et des conséquences importantes sur la qualité de vie des patients – des aspects souvent sous-estimés, comme l’a également rappelé l’association Perse (Prévention, éducation, recherche, soins, escarres), à l’origine de la conférence de consensus de 2001 et de sa réactualisation en 2012 et dont les travaux de mise à jour ont été publiés en mars 2013(2). Aujourd’hui, on estime que près de 300 000 personnes souffrent d’escarre et que près de 9 % des patients hospitalisés en France sont atteints d’une escarre au moins. Ainsi, et nonobstant les progrès indéniables dans les pratiques, l’escarre demeure une pathologie encore trop fréquemment liée aux soins. Elle touche une grande diversité de patients mais la population âgée est particulièrement vulnérable au risque d’escarre avec des répercussions sur la mobilité et l’état nutritionnel. Pathologie multifactorielle, l’escarre nécessite une prise en charge globale du patient et de sa plaie par une équipe pluridisciplinaire, aussi bien dans le domaine du dépistage et de la prévention que dans celui du traitement.

PRISE EN CHARGE GLOBALE

Dépistage, prévention et traitement des escarres sont encadrés par moult recommandations professionnelles édictées par les agences sanitaires, telle la Haute Autorité de santé, des sociétés. Pour autant, fréquemment, ces recommandations ne sont pas utilisées alors que la pathologie présentée par le patient nécessiterait une prise en charge adaptée à ces préconisations. Selon la Mission nationale d’expertise et d’audit hospitaliers (MEAH), qui a conduit une étude sur le sujet en partenariat avec l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (Anap)(3) : « Un des freins à la mise en œuvre des recommandations peut être directement lié à l’individu, par exemple en raison d’une absence de mise à jour des connaissances. » Et de préciser : « Les freins proviennent principalement de la manière dont le groupe de professionnels intervenant dans la prise en charge s’est organisé : planification des soins, échange d’informations, coordinations des actes, organisation de formation… Cette exigence d’organisation est rendue encore plus prégnante car la prise en charge des escarres nécessite un travail d’équipe intégrant de nombreux acteurs : médecins, infirmiers, aides-soignants, kinésithérapeutes, ergothérapeutes, nutritionnistes, assistantes sociales… » et parfois des psychologues.

FACTEURS DE RISQUE

Différents facteurs de risque à l’origine de la formation d’escarres ont été répertoriés. Ainsi, la conférence de consensus de 2001 classifie les escarres selon trois situations :

→ les escarres “accidentelles” : la compression des parties molles conduit à une baisse de la pression capillaire et à l’anoxie tissulaire, le cisaillement des plans sous-cutanés ainsi que la friction et macération des plans cutanés ;

→ les escarres dites “neurologiques” et “plurifactorielles” définissent une immobilité due à des troubles moteurs ou de la conscience, la malnutrition protéino-énergétique, une neuropathie, le diabète avec complications dégénératives, la fragilité de la peau, le syndrome de glissement, les contentions physiques ou psychiques (par psychotropes), la fièvre et la déshydratation. Soulignons que seules l’immobilisation et la dénutrition sont reconnues comme facteurs prédictifs par les experts.

DIAGNOSTIC ET CLASSIFICATION

L’escarre peut présenter des formes de gravité très différentes : simple rougeur, induration de la peau, plaie plus ou moins profonde pouvant atteindre l’os sous-jacent. Retenue par la Haute Autorité de santé, la classification des escarres reste celle du National Pressure Ulcer Advisory Panel (NPUAP). Toutefois, suite aux travaux menés par des équipes de l’hôpital de Garches (Hauts-de-Seine), cette classification s’est enrichie d’un stade 0, ainsi que des notions de nécrose sèche ou humide en stade III et de décollement, fistulisation et infection en stade IV (voir tableau ci-contre).

ÉVALUATION ET ÉCHELLES

L’utilisation d’une échelle de risque associée à une évaluation clinique initiale permet de développer une stratégie de prévention adaptée, de former et de mobiliser les soignants et les aidants autour d’un projet de soins. Dans cet esprit, est recommandée l’utilisation d’un outil commun du risque dès le premier contact avec le patient – cet outil restant un indicateur de traçabilité et de qualité. L’échelle de Braden, contrairement à celle de Norton, prend en compte le statut nutritionnel du patient est celle recommandée par la Haute Autorité de santé (voir tableau ci-contre).

AIDE À LA PRÉVENTION

Une fois évaluée et l’examen clinique effectué, la prévention de l’escarre passe par la réduction des points d’appui. Il faut ainsi soulager la pression par l’emploi de supports adéquats, sachant que les talons et le sacrum sont les zones les plus à risque. Aujourd’hui, au regard des indications, il existe différents types de matériels de prévention : matelas, coussins en mousse, à mémoire ou à cellules pneumatiques ou encore des gouttières moulées en mousse évidée pour les talons. Le rôle de ces supports est de permettre une meilleure répartition des pressions exercées. L’installation du patient reste cependant primordiale. Les soins de nursing doivent permettre d’inspecter régulièrement les zones à risque. Mais quelle que soit la qualité du support employé, elle ne dispense pas des retournements réguliers… Outre les soins d’hygiène et de confort, les soins infirmiers doivent inclure l’inspection des zones à risque, l’utilisation de produits non irritants pour la toilette, l’hydratation de la peau avec des émollients, la protection des peaux fragilisées par l’incontinence par application d’un protecteur cutané ou l’application de pansements en regard des proéminences osseuses pour réduire les forces de cisaillement (voir tableau ci-contre).

QUELS SOINS, QUELS TRAITEMENTS ?

Le traitement de l’escarre comprend bien évidemment la prise en compte de l’état général du patient et la recherche de toute cause susceptible d’aggraver ou de ralentir la guérison des escarres. Une attention toute particulière doit concerner la prise en charge de la douleur facteur de mauvais soins. Devant une absence de cicatrisation, un avis chirurgical et une mise à plat de la plaie peuvent complètement modifier la donne, et c’est notamment dans ce cas que pourra être utilisée la thérapeutique par pression négative (TPN) – à savoir que l’utilisation du TNP fait malgré tout débat dans le traitement de l’escarre. Pour autant, le traitement local ne se résume pas à la simple question : “Quel pansement pour qu’elle plaie ?” Comme déjà évoqué, il nécessite de connaître les stades de gravité de l’escarre, leurs complications et les différentes classes de pansements utilisables. Des notions de “bon sens” doivent aussi être mises en œuvre : comment mobiliser le patient, contrôler l’incontinence, assurer l’hygiène… sont autant d’objectifs de soins pour l’équipe soignante et expliquent également la multidisciplinarité des acteurs. Les principes actuels de la cicatrisation des plaies sont de contrôler l’humidité, soit en apportant de l’humidité si la plaie est sèche, soit d’en diminuer l’excès en veillant à respecter l’écosystème bactérien en évitant l’utilisation systématique d’antiseptique et, surtout, d’interdire tout antibiotique local. La prescription du pansement relève très souvent d’un partenariat médecin-infirmière, selon le stade, l’état de la plaie, en respectant la compatibilité et le temps d’application avec, pour le soignant, un objectif prioritaire : traquer et traiter la douleur.

QUEL PANSEMENT POUR QUELLE PLAIE ?

En fonction de leurs caractéristiques et de celle de la plaie, différents types de pansements sont aujourd’hui à disposition des soignants (voir tableau page précédente). Si la plaie stagne ou s’aggrave, l’avis d’un spécialiste, comme celui d’une infirmière référente, peut être nécessaire.

NUTRITION : PRÉVENTIVE ET CURATIVE

La conférence de consensus de 2001 a insisté sur l’importance de la dénutrition en tant que facteur de risque et de pérennisation des escarres, notamment chez le sujet âgé. En 2007, la Haute Autorité de santé a aussi proposé une stratégie thérapeutique sur la prise en charge de la dénutrition chez le sujet âgé. Dans le cadre des escarres, en particulier de stade III et IV, la dénutrition est très souvent mixte : à la fois exogène par carence d’apport et endogène du fait d’un processus catabolique lié à la plaie, tandis que les besoins nutritionnels sont souvent considérables chez des patients très souvent à tendance anorexique. Les objectifs nutritionnels représentent des apports énergétiques de 30 à 40 kcal/kg par jour associés à des apports protidiques compris entre 1,5 g à 2 g/kg par jour. L’évaluation nutritionnelle, en particulier le pourcentage de perte de poids, l’indice de masse corporelle et l’albuminémie associée à la protéine C réactive (CRP) sont des indicateurs de diagnostic et de suivi. Soulignons enfin que les patients atteints d’escarre ont un risque d’infections nosocomiales supérieur aux autres patients et davantage de complication durant leur hospitalisation. De fait, le coût et la durée de leur hospitalisation se trouvent majorés.

NOTES

(1) D’après la définition du National Pressure Ulcer Advisory Panel (NPUAP), 1989.

(2) www.escarre-perse.com

(3) Améliorer la prévention et la prise en charge des escarres, www.anap.fr

PRÉVENTION : MIEUX CERNER LES FACTEURS DE RISQUES

Nous ne sommes pas tous égaux face au risque d’escarre. C’est ce que s’attachent à établir, dans le cadre de recherches fondamentales, le Pr Dominique Sigaudo-Roussel et Bérangère Fromy, chercheuses au CNRS à l’Institut de biologie tissulaire et ingénierie thérapeutique de l’université Claude-Bernard, à Lyon (Rhône). Objectif : améliorer la prévention. « Pourquoi, à sujet équivalent, une peau va-t-elle céder ou non à la pression ? Cela fait des années que nous tentons de répondre à cette question et cela nous a permis à mettre en évidence des facteurs, des neuropeptides notamment, prédisposant à l’escarre. Nous ne sommes pas égaux devant le risque d’escarre, des sujets sont à risque du fait même de la nature et de la qualité intrinsèque de leur peau », explique le Pr Sigaudo-Roussel. « À terme, les résultats de ces recherches pourraient être intégrés aux échelles de risque afin qu’elles prennent en compte, ou pas, ces marqueurs biologiques. » L’objectif serait notamment de permettre une hiérarchisation des facteurs de risque afin d’affiner l’évaluation. « À score équivalent, en effet, on sait aujourd’hui qu’un certain nombre de patients ne développeront pas d’escarre », dit le professeur. « Nous travaillons également sur l’interaction nerfs/vaisseaux lorsqu’ils sont stimulés par une pression extérieure sur la peau. Schématiquement, si une pression appliquée provoque une vasodilatation, cela traduit une peau saine. À l’inverse, si on observe une vasoconstriction, cela veut dire que la peau est en danger car elle n’est pas en capacité de réagir. En modèle expérimental, nous avons administré un traitement à des souris diabétiques qui n’avaient plus cette réponse à la pression. Cette thérapeutique a permis de restaurer en partie ou totalement la vasodilatation. Mais, pour autant, nous ne pouvons pas affirmer aujourd’hui que cela protège des escarres », indique Bérangère Fromy. Pionnières dans ce type de recherches, les deux chercheuses ont vu leurs travaux confirmés par des équipes qui travaillent désormais sur ce champ. « C’est à la fois encourageant et rassurant », concluent-elles d’une même voix.

Les Hospices civils de Lyon, engagés depuis plus de vingt ans

Les Hospices civils de Lyon, qui comptent une douzaine de sites, sont engagés dans la lutte contre l’escarre depuis plus de vingt ans. « Depuis 1993, un cadre de santé participe ainsi à la rédaction du cahier des charges, tant pour l’achat des matériels que pour les pansements. Ensuite, nous avons créé un groupe “escarres et plaies chroniques”, l’HARPM2 (Harmonisation des pratiques et des matériels des paramédicaux). Aujourd’hui, environ 35 fiches de bonnes pratiques sont à la disposition des soignants. L’HARPM2 anime également une douzaine de sous-groupes de travail. Cependant, au fil des années, nous avons fait le constat que l’engagement contre l’escarre restait trop “personne dépendante” et qu’il manquait donc à notre démarche une dimension institutionnelle. En 2009, en collaboration avec le groupe “qualité et gestion des risques”, un comité de pilotage (Copil) a été mis sur pied dans tous nos sites et nous avons entre autres formalisé le rôle du référent escarre et celui de l’infirmière, notamment dans le cadre des dispositifs médicaux non médicamenteux. Depuis, nous avons organisé deux journées d’échanges et de partage d’expériences entre les Copil. Et si, dans un premier temps, leurs actions étaient surtout axées sur la formation et l’acquisition de compétences, aujourd’hui, elles sont davantage centrées sur les aspects opérationnels : le qui fait quoi et comment ? On pourra faire les plus beaux pansements du monde, mais sans prise en charge globale du patient et sans analyse des comorbidités, ça ne marchera pas », explique Christiane Bollon. Selon l’enquête annuelle de prévalence conduite par les Hospices civils de Lyon, 12 % des patients sont atteints d’escarre. Mais 50 % d’entre eux ont une escarre à leur admission, c’est même le motif de leur hospitalisation.